Enseigner la République dominicaine dans les écoles haïtiennes ?

Dans  les relations contemporaines entre la République d’Haïti et la République dominicaine, les diverses crises qui persistent, les nombreuses tensions et les quelques incidents qui reviennent, et qui ne sont pas toujours réparables,   offrent souvent de nouvelles occasions d’affirmation, de discussions ou de distractions à de nombreuses couches de la population haïtienne, et pourquoi pas de l'autre côté des frontières. Les interactions sont très actives sur les réseaux sociaux. Chacun tente de faire valoir ses arguments, ses émotions, ses sentiments, ses sensations et dans certains cas ses illusions optiques.

Derrière tous ces débats animés, il faudra reconnaître que la population haïtienne n’a pas été assez informée, et semble être très loin d'être formée, motivée et sensibilisée sur tous les aspects,  et dans  toutes les dimensions qui définissent le fonctionnement et les grandes lignes de la dynamique des relations entre les deux États. À défaut, que les médias en Haïti complètent ce vide d'information et d'animation sur  l'évolution des relations de ces deux nations, il manquera terriblement une masse critique et une écoute intelligente pour comprendre certains non-dits entre les deux pays. 

Dommage qu'à travers les bancs de l'école classique, des examens officiels, et durant le parcours universitaire et dans le cadre de la promotion de la recherche et d'une culture scientifique dans le pays,  la société haïtienne continue de manquer l’occasion pour maîtriser ce sujet aussi important. L'absence d'une politique nationale encourageant la diffusion des statistiques comparées entre les deux pays, dans une démarche de compétition et de rattrapage, ne facilite pas une certaine ambition chez les jeunes, qui doivent se mobiliser pour  réduire ces écarts entre les deux pays.    

Dommage que l'enseignement des sciences sociales en Haïti ne prend pas en compte les notions les plus pertinentes  sur l’histoire, la politique, l'économie et la culture de  République dominicaine, en dépit de l'importance et de l'influence de cette dernière  sur le présent et l'avenir d'Haïti. À la fin des cours d’histoire et de géographie, rares sont les écoliers haïtiens qui peuvent maîtriser réellement des connaissances utiles et pratiques, transversales et déterminantes, pouvant leur permettre d'apprécier les vrais  enjeux de ces relations. Pourtant l'inverse n'est pas aussi vrai. Chez le voisin, le petit dominicain est éduqué en mode "D": défendre son territoire contre l'invasion haïtienne ;  dominer, diviser et définir son plus proche voisin comme une province dépendante de son commerce.  

De l’enseignement de la langue espagnole dans les écoles haïtiennes, comme un instrument stratégique et géopolitique, un outil culturel de rapprochement et de renforcement des relations entre les deux pays, les écoliers haïtiens ne sont pas assez sensibilisés et motivés, documentés et préparés pour  profiter des atouts que cette langue pourrait leur offrir.  À la fois comme une porte d’entrée sur l’histoire et la littérature dominicaine, par la poésie, les valeurs et d'autres créations  qui définissent l'identité de ce peuple frère, les Haïtiens méritent de valoriser beaucoup plus l'espagnol.  Un passage obligé pour une meilleure compréhension et appréciation de l'autre qui nous héberge et nous nourrit, en attendant cette véritable et verticale prise de conscience collective, citoyenne et nationale chez les descendants de Dessalines, qui cherchent à ruminer quelques brins de  dignité. 

Dans l'arithmétique des problèmes qui affectent les relations entre Haïti et la République dominicaine, on retient la somme des atouts, des acquis et les avances dont dispose Santo Domingo sur Port-au-Prince, en matière de stabilité politique, de croissance économique, de développement des infrastructures de base, touristique et stratégique. La République dominicaine a bel et bien rattrapé et dépassé Haïti, dans plusieurs domaines, voilà pourquoi nous devons nous mettre à l'école pour apprendre de nos erreurs sans orgueil. Combien d'auteurs non racistes et des figures politiques dominicaines parmi les plus progressistes qui sont enseignés dans les écoles haïtiennes ?  Comment utiliser l'approche d'interdisciplinarité dans l'enseignement des connaissances stratégiques sur la République dominicaine au bénéfice des écoliers haïtiens ? 

De manière abusive, la République d’Haïti s’est contentée de multiplier des actions visant à renforcer progressivement sa dépendance de son voisin. Entre les importations d’une grande majorité des produits de toutes sortes, et la migration des masses, d’une couche importante de la classe moyenne et une partie des élites, cela ne fait qu'affaiblir ses leviers de négociation, en dehors de son économie, avec le détour des transferts des familles haïtiennes évoluant dans la diaspora vers leurs proches en terre voisine, qui fuient les violences en Haïti. À quand la formulation d'un modèle d'éducation spécifique officielle,  pour les populations haïtiennes évoluant dans les villes frontalières haïtiennes avec le territoire voisin, mettant en valeur les notions de civisme et patriotisme, d'éducation financière, de négociation,  d'intelligence collective et de géopolitique ? 

Dans la division déséquilibrée de ce territoire, qui profite largement à l’ancienne colonie espagnole depuis l'occupation américaine des deux États, si les incidents peuvent faciliter une certaine unité nationaliste apparente en Haïti  au sein de la population, à travers certaines réactions de solidarité. Ce sont ces mêmes Haïtiens, dans la plupart des cas, qui  vont  continuer passivement à importer et à consommer les  produits dominicains, et qui vont encore  encourager des proches et des jeunes à aller se former chez le voisin. Pire, ils sont très insensibles, et gardent le  silence face à la souffrance des autres migrants haïtiens oubliés depuis des décennies  qui travaillent dans ces plantations, ces champs d'esclavages modernes connus sous le nom de “Batay”.

De l'indifférence à l'incohérence qui alimente ce modèle de patriotisme artificiel, cette forme de solidarité cosmétique occasionnelle. Il est venu le temps d’encourager l’enseignement d’un nouveau modèle  l’intelligence insulaire, des notions capables de développer, de réveiller une véritable et verticale conscience chez l'Haïtien. Sans une éducation responsable pour encourager des relations plus harmonieuses entre Haïti et la République dominicaine, nous allons continuer chaque saison à discuter des détails, pendant que l'autre partie se concentre sur des projets plus ambitieux. En inscrivant un chapitre sur la République dominicaine dans certaines des matières de base et stratégiques dans le  curriculum haïtien, la prochaine génération sera moins émotive et folklorique, mais  beaucoup plus informée, formée, sensibilisée et préparée pour entreprendre et négocier des projets insulaires plus ambitieux, qui vont, espérons-le,  dépasser la vision et l'horizon à court terme, pour canaliser des opportunités plus intelligentes et durables d'ici 2030. 

 

Dominique Domerçant

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