Ce que cache le révisionnisme de « l’historien » Michel Soukar

Première partie

Mise en contexte 

Présentant son roman, «Acaau, que ta mort ne tue pas ta vie», sur Magic 9, Michel Soukar a souillé l’histoire de notre pays et la réputation de nos ancêtres en traitant le père de la Nation, Dessalines, ainsi que Toussaint Louverture et Henry Christophe, de voleurs de terres, Dessalines se lan volè tè li mouri. Activité illicite, qui selon lui, a occasionné et justifié l’assassinat de l’Empereur. Il ne s'agirait, en d’autres termes, que d'une histoire de voleur qui a été à juste titre abattu.

            Personne jusqu’à présent n’a demandé l’arrestation de Soukar pour profanation. L’action publique n’a pas été mise en mouvement. Même la société d’Histoire et de Géographie n’a pas jugé bon de protester. Notre nation est vraiment en train de mourir !

Choqué de cet affront à la Nation, j’ai appelé des amis intellectuels et présumés progressistes, pour exprimer mon étonnement face aux propos haineux de Michel Soukar. Ils exprimèrent leur étonnement que je sois étonné, en me disant qu’ils l’avaient déjà entendu dire pire que cela. Ils étaient pour la plupart indifférents à ce que pourrait prononcer Soukar sur l’histoire d’Haïti et le mal qu’il causait dans l’esprit des jeunes haïtiens et haïtiennes. Donc, ce que j’écris aujourd’hui est à l’intention des simples citoyens et amis sur les réseaux sociaux qui m’ont signifié leur indignation et qui se sont sentis insultés, mais également frustrés après cette entrevue.

Cette publication est faite sous réserve que Soukar fasse des excuses aux Haïtiens et rectifie ses paroles haineuses. Vu ses interventions répétées, apparemment progressistes sur Métropole, interventions diffusées à grande échelle comme s’il était en campagne, je m’interroge sur l’objectif poursuivi et sur les raisons qui ont porté Magic 9 à le laisser débiter de tels propos.

À priori, je ne porte aucun jugement sur le contenu du livre de Soukar. Cependant, l’interview donne l’impression que le thème n’est qu’un  prétexte pour développer et sceller théoriquement le discours anti-noir, pour ne pas dire mulâtriste, de la réalité politique historique haïtienne.

Ceci étant dit, regardons de plus près ce que cache l’essence de la théorie qui sous-tend ce discours trompeur et les prémisses fallacieuses de Soukar.

 

«Nèg nwa ki gen kòb se milat, milat pòv se nèg nwa»

«Nèg nwa ki gen kòb se milat, milat pòv se nèg nwa», une déclaration contextuelle de Jean Jacques Accaau, utilisée hors contexte et de manière abusive par des opportunistes intellectuels et mulâtristes pour accabler les noirs, sans distinction, qu’ils soient riches ou pauvres et gommer ainsi la réalité du racisme culturel et institutionnel en Haïti.

Cette citation cache la réalité effective des relations sociales, de classes et de couleur dans le contexte passé et présent haïtien. En fait, elle renvoie et résume la question de couleur et de classes à des privilèges superficiels, accessibles à ceux ayant les moyens. – ce qui est faux -.

Mais surtout, elle fait fi des structures établies et de l’idéologie dominante qui sous-tendent et renforcent les différents statuts économiques et sociaux liés à la couleur de la peau.

Donc, le noir, en étant riche, perd son identité et bénéficie d’une promotion sociale, celle de devenir mulâtre, puisque sa place et son environnement naturels, ce serait d’être pauvre ; surtout s’il veut garder son identité et rester noir. Son gîte naturel est de fait, la pauvreté

En revanche, le mulâtre, dont le statut naturel est qu’il soit riche, se trouve rétrogradé à être noir s'il ne l’est pas.

Alors, il faut déduire l’ordre naturel des choses, si tout le monde devrait garder sa place : Noir = Pauvre; Mulâtre = Riche. Et le noir qui devient riche est un traitre alors que le mulâtre qui devient pauvre est une victime.

Voilà la logique et l’idéologie dont fait usage Michel Soukar sur Magic9, pour se positionner faussement en intellectuel progressiste de gauche dévoué à la cause de la paysannerie. Chemin faisant, il réinvente l’histoire d’Haïti, fait la promotion de Pétion par la petite porte et assassine la mémoire de notre Empereur une énième fois.

Sa méthode n’est pas nouvelle. Il s’agit de nous offrir un héros, en la personne d’Acaau, pour mieux en détruire un plus grand.

Soukar ne s’est pas trompé ou mal exprimé. N’importe quel marxiste adulte qui aurait un tout petit peu voyagé saurait pertinemment, que dans ce monde, le blanc reste blanc, avec tous les privilèges que cela comporte, avec ou sans argent. A contrario, le noir reste noir, avec ou sans argent et fondamentalement, ne saurait se substituer au blanc. Surtout avec les stigmates découlant de trois cents ans d’esclavage.

En Haïti, depuis l’assassinat de Dessalines, il y a un privilège inhérent à être mulâtre, blanc et maintenant, Arabe. Avec ou sans argent.

La notion en elle-même est biaisée et trompeuse. En effet, le noir doit d’abord travailler pour devenir riche avant d’être considéré mulâtre. Il apparaît donc plus important d’être mulâtre que d’être un noir riche. 

Mais en réalité, la situation de la paysannerie haïtienne, des masses noires ou des mulâtres sur l’échelle économique et sociale n’est pas du tout la préoccupation de Soukar. Il a seulement besoin d’un justificatif pour semer son venin mulâtriste et nous préparer à une éventuelle candidature mulâtresse. Car, si on lui avait demandé de qualifier le statut de l’Arabe arrivé pauvre en Haïti et devenu riche, il nous aurait probablement répondu que ce sont de rudes travailleurs.

 

Le mensonge inhérent dans la thèse de Soukar

Soukar nous apprend fièrement que Acaau était un illettré, une affirmation sans argumentaire véhiculée sur la plupart des noirs qui ont fait l’indépendance. Il est certain que ni Goman ni Acaau n’ont fait les belles lettres ni eu un parcours académique classique, comme ce fut le cas pour Pétion et les mulâtres qui ont étudié en France. Mais, aller jusqu’à dire qu’il était illettré, est du domaine de l’imagination de Soukar. Ils devaient être au moins tous allés à l’école de la révolution anti-esclavagiste, n'est-ce pas ? Qu’un soi-disant marxiste, même élitiste, adepte de l’école marxiste de l’expérience, de la pratique et de la maîtrise, les qualifie d’illettrés relève purement du racisme.

Tout arrogant et intellectuel qu’il soit, Michel Soukar n’a fait aucun effort pour détecter et analyser toute faille éventuelle dans la déclaration d’Acaau. Il a préféré en trafiquer le propos pour satisfaire son agenda politique et idéologique propre. Agenda qui consiste à faire fi des structures établies et de l’idéologie raciste dominante, pour en innocenter les bénéficiaires.

Une simple observation à l’arrivée de l’aéroport international Toussaint Louverture nous expose la réalité que décrit Acaau. Les portefaix, tous noirs, approchent en tout premier lieu les voyageurs blancs et mulâtres pour les aider avec leurs bagages, comme si les autres n’existaient pas. Les quelques mulâtres qui ne sont pas abordés sont ceux qui ont la mine fermée et sont réputés fauchés.  Ils traînent alors leurs propres bagages. La diligence et le choix des portefaix sont vraisemblablement dus à une présomption de richesse envers les blancs et les mulâtres et à un espoir de récompense financière.

En deuxième lieu, ce sont les officiels du gouvernement, les hommes noirs du milieu politique et économique (généralement connus) qui sont sollicités. Ils sont costumés ou ils portent des vêtements et des chaussures de marque. Le reste des voyageurs, pour la plupart des noirs, sont royalement ignorés et se débrouillent avec leurs propres bagages. Il est entendu qu’ils n’ont ni les moyens ni la culture du pourboire. Au parking des VIP, la plupart des blancs, les mulâtres et les noirs influents rejoignent leurs chauffeurs et agents de sécurité. Ils se disent au revoir, se font la bise et partent tous ensemble, noirs, blancs et mulâtres, en convoi.

Ainsi, Acaau, selon la lecture de Soukar, aurait pu, de façon fort simpliste, en déduire que les noirs qui sont riches sont traités et se comportent comme des mulâtres et les mulâtres pauvres sont ignorés comme des noirs.

Cependant, la scène à l’aéroport Toussaint Louverture ne raconte pas toute la réalité. Et, ça, Soukar le sait. Si nous voulons connaître la réalité effective des privilèges liés à la couleur de peau, il nous faudrait faire un inventaire des propriétaires de banques, des importateurs de carburant, des concessionnaires de voitures, des propriétaires de grandes industries, l’inventaire de ceux qui contrôlent les moyens de production, l’exportation et l’importation. Ou alors, l’inventaire des oligarques. Ne serait-ce pas là, la démarche d’un vrai historien, marxiste de surcroît ?

En passant, les portefaix, qui se retrouvent les mains vides, ont tout le loisir d'aider les mulâtres qui ont la mine au front et sont fauchés, à titre gracieux !

Soukar aurait pu se contenter de mettre les oligarques du secteur privé, les politiciens noirs et mulâtres dans le même panier pour faire son « analyse ». Mais non, son objectif était de détruire Dessalines et d’humilier le peuple.

 

Les bases idéologiques du discours de Soukar

Il est déplorable que le discours du marxiste/intellectuel haïtien ait été dogmatiquement introduit en Haïti, par des intellectuels bourgeois qui ont étudié en France et qui ne juraient que par la lutte des classes et la dictature du prolétariat blanc, selon Karl Marx. Et cela, même quand ce prolétariat n’existait pas encore en Haïti et dans la plupart des pays dits du Sud. Marx lui-même avait ignoré les luttes des peuples du Sud et de l’Asie, jusqu’à faire une boutade sur le pouvoir de Soulouque. Son modèle s'est appuyé sur la France, l’Allemagne, en fait l’Europe occidentale. Pas une parole pour les colonisés et les esclaves noirs. La perspective eurocentrée de la lutte des classes importée en Haïti, n’a jamais donné de résultats politiques probants, sinon quelques productions littéraires importantes, des analyses théoriques de bonnes factures, bien que sans application pratique sur le terrain. À force de nier la réalité de la société haïtienne et les vraies contradictions en son sein, particulièrement la question agraire, celles de la langue nationale, de la religion et la question de la couleur, qui constituent l’essence même de l’identité haïtienne, les marxistes haïtiens n’ont jamais su s’implanter réellement dans le pays, ou apporter des solutions. Ils ont fini par s’aliéner des masses noires et sont devenus, de fait, leurs ennemis et les alliés de la bourgeoisie majoritairement mulâtre. Leur dogme se heurtait à une réalité qui n’était pas dans les classiques marxistes. Ils se sont retrouvés dépourvus et confus, car les masses travailleuses haïtiennes n’étaient ni blanches, ni prolétaires.

L’arrivée au pouvoir de François Duvalier qui a fait de l’établissement d’un pouvoir noir en Haïti son cheval de bataille, les embryons de luttes anti-impérialistes dans la région aidant, a donné un nouveau souffle au mouvement communiste/marxiste haïtien. Il y avait, en effet, non seulement une dictature qui n’était pas prolétarienne à combattre, mais également un pouvoir qui faisait la promotion des noirs au lieu du prolétariat. Ce nouveau souffle a du même coup, consacré le mouvement communiste/marxiste haïtien, comme étant un mouvement de mulâtres.

Dans cette perspective du marxisme dogmatique, il faut ignorer et, si possible, éliminer tout ce qui ne correspond à la vision étroite du marxisme et de la lutte des classes. Il faut substituer toute lutte ou revendication spécifique des peuples noirs/chinois ou arabes, en une lutte prolétarienne. Pour ce faire, il faut s’opposer à leurs revendications, à leurs mouvements, à leurs aspirations, voire, à leur histoire. Si possible, il faut détruire leurs symboles et leurs leaders.

C’est la raison pour laquelle, ces marxistes intellectuels sont devenus les alliés incontestables des bourreaux de ces peuples. Voilà pourquoi, Karl Marx a dénigré Soulouque ; Staline n’a pas soutenu Mao Tsé-Toung au début de sa lutte de libération nationale; et c’est ce qui explique que  Michel Soukar traite Dessalines, Tousaint et Christophe de voleurs.

L’intellectuel marxiste/communiste haïtien est foncièrement, et des fois, malgré lui, anti-noir.

C'est pourquoi il ne s'intéresse pas à l'Afrique, ni aux luttes de libération nationale, ni aux injustices (comme le franc CFA), pratiquées sur ce continent.

Voilà ce qui explique qu’un marxiste à posture révolutionnaire, disciple du soi-disant visionnaire Acaau a pu quand même s'associer à un groupe politique à la solde de pays étrangers, particulièrement la France, dont l’un des objectifs était de boycotter la célébration du bicentenaire de l’Indépendance.

Il ne peut pas se justifier en prétextant avoir été ignorant de la lutte d'Acaau à cette époque-là, puisqu'il prétend que son projet remonte à sa jeunesse.

Cependant, je ne souhaite pas faire l’analyse psycho-sociale d'intellectuels/communistes haïtiens, du genre de Michel Soukar, mais plutôt déposer une parole pour la jeune génération, pour leur dire qu’il ne faut jamais laisser le mensonge prospérer, particulièrement quand il s’agit de nos ancêtres. Qu'il faut se battre pour que la vérité et la science règnent. Et, que nous devons être prêts à périr pour elles et avec elles. Une façon de rallier ceux qui peuvent l’être, pour contribuer à sauver notre pays et notre histoire.

      

La vérité historique, sur Dessalines et le phénomène Goman/Acaau

Pour bien comprendre le phénomène Goman/Acaau, il faut d’abord revisiter les défis auxquels Dessalines faisait face, son projet et sa vision. Dessalines a voulu construire un État, militairement et économiquement fort. Il a fait construire des forts partout dans le pays afin de combattre un retour éventuel des forces occidentales, notamment de l’armée française. La constitution qu’il a promulguée en 1805 contient l’essentiel de sa vision et de sa stratégie, à savoir : que tous les Haïtiens étaient égaux, devraient avoir un métier, être de bons soldats, prêts à se battre et sont tous connus sous la dénomination de noirs, quelque soit la couleur de leur peau. L’article 14 de la constitution impériale n’était pas vu d’un bon œil par nombre de mulâtres. Gerin eut ainsi à déclarer que la progéniture d’un esclave ne saurait jamais être égale à la sienne. 

Le conflit éclata ouvertement entre les mulâtres et Dessalines quand celui-ci prit les dispositions pour bloquer les tentatives des mulâtres du Sud de s’approprier les biens des anciens colons. Dessalines pensait que c’était l’État qui devait être fort et riche, pas les particuliers. Il fit rentrer tous ces biens dans le patrimoine des villes et des régions. La corruption avait déjà eu le temps de gangrener tout le Sud.

Les mulâtres commerçaient clandestinement avec les Anglais et les Américains, ce qui représentait un manque à gagner considérable pour les caisses de l’État alors même que ces pays ne nous reconnaissaient pas en tant qu’État. Les anciens affranchis et les hauts dignitaires de l’armée commencèrent à accaparer des terres, des habitations et des maisons que les colons français avaient abandonnées dans leur fuite. Ils arrivèrent même à fabriquer de faux titres de propriété jaunis avec de la fumée pour avoir un aspect d’ancienneté.

Soukar, voulant reconnaître le droit des mulâtres à s’accaparer des terres et à hériter des biens des anciens colons au détriment des masses d’esclaves noirs devenus libres, estime que c’est Dessalines, le criminel. Se considérant comme un mulâtre honoraire et défendant la cause des siens, il souille la réputation de l’Empereur.

Néanmoins, n’en déplaise à Soukar, Dessalines mit un frein à toutes ces combines en réclamant la vérification de tous les titres de propriété. À cette occasion, il prononça des paroles qui signèrent son arrêt de mort : « De la même façon qu’on traite ceux qui volent des poules, des denrées ou du bétail, je ferai fusiller ceux qui ferment les yeux sur l’accaparement des biens de l’état…avant de prendre les armes contre Leclerc, les mulâtres, tout fils de blancs qu’ils furent, ne recevaient aucun héritage de leur père. Comment comprendre que sitôt que nous avons chassé les colons, ces fils se mettent à réclamer leurs biens » ? « Les noirs dont les pères sont en Afrique, n’auront-ils donc rien » ?

Dessalines, en fait, faisait référence aux pères et grand-pères de Goman et d’Acaau.

Le 1er septembre 1806, Dessalines a passé une loi pour faire cesser le vol des terrains.

Gerin qui normalement signait les lois, ne l’a pas signée. Dessalines l’a fait signer par son secrétaire privé, Boisrond Tonnerre. Un peu plus d’un mois plus tard, soit le 17 octobre 1806, l’Empereur fut assassiné. Sept jours après, Boisrond Tonnerre fut lui aussi assassiné en prison, sous l’ordre du général Gérin.

Certains leaders militaires noirs moins puissants, comme Goman, puis Accau, n’ayant pas bénéficié des largesses de Pétion, se sont révoltés contre lui, avec comme objectif de déstabiliser son pouvoir. Christophe, qui avait réalisé que le coup d’État de Pétion avait été accompli avec l’appui de l’international, particulièrement de la France, s’est mis à consolider son pouvoir et à construire son propre État dans le Nord. En 1807, il a promulgué sa propre constitution.

C’est dans ces circonstances que Goman sous Pétion, ensuite Acaau sous Boyer, réalisant que les deux avaient construit un pouvoir exclusivement au profit des mulâtres, contrairement au projet de Dessalines, ont voulu renverser le pouvoir de Pétion et ensuite celui de Boyer. Goman avait réussi à recruter et à faire cause commune avec certains mulâtres pro-Dessalines, qui étaient en fuite, pour sauver leurs vies. Acaau a en partie hérité de cette alliance ou affection envers Goman, mais n’a pas pu convaincre certains militaires, généraux et nantis noirs au parlement de rejoindre ses rangs, bien qu’ils furent tous dans l’opposition à Boyer. De jeunes mulâtres frustrés, revenus de France, sans emploi et gardés à l’écart du pouvoir de Boyer, étaient davantage animés par la ferveur révolutionnaire de l’époque, que les noirs au parlement, ou proches du pouvoir, censés représenter le peuple, majoritairement noir. Plus tard, pour calmer la ferveur populaire, il y aura une succession de présidents noirs fantoches, auxquels Acaau ne s’était jamais identifié. C’est alors, et dans ce contexte qu’il a prononcé cette fameuse phrase : «Nèg rich se milat, milat pòv se nwa».

 

Le cynisme de Michel Soukar

En bon manipulateur de l’histoire, Michel nous dit que Pétion fut le premier à dire qu’il fallait donner des terres aux paysans. Mais, devinez quoi, aucune preuve n’existe en dehors d’une soi-disant lettre de Pétion, dont il attribue la préservation au courage de Myrtha Gilbert qui aurait été la seule à l’avoir publiée ; comme si elle l’avait publiée sous un pseudonyme, dans la clandestinité, de peur d’être guillotinée. Seuls des révisionnistes entre eux ont accès à cette lettre fictive.

Après avoir distribué toutes les terres aux mulâtres, et à certains généraux noirs, des dispositions furent prises par Pétion dans les articles 7 et 8 de sa constitution du 27 décembre 1806, afin de leur garantir leur butin. Il est clairement écrit dans l’article 8: “La propriété est inviolable et sacrée ; toute personne soit par elle-même, soit par ses représentants a la libre disposition de ce qui est reconnu de lui appartenir. Quiconque porte atteinte à ce droit se rend criminel envers la personne troublée dans sa propriété.” Ce qu’il faut comprendre ici, c’est qu’on se trouve dans le contexte de décembre 1806, soit trois mois après l’assassinat de Dessalines. Il était encore question que Christophe hérite du pouvoir, et vraisemblablement pour continuer la politique agraire de Dessalines. De ce fait, Pétion a confirmé la possession des terres accaparées par les mulâtres, afin d’assurer leur allégeance. D’où la phrase : Quiconque porte atteinte à ce droit se rend criminel envers la personne troublée dans sa propriété. Ils sont tous devenus des propriétaires de fait.

Mais, pour bien apprécier le mobile criminel de Pétion et la complicité malsaine de Soukar, qui se pose en historien, il faut bien lire l’article 12 des dispositions générales de la constitution impériale de 1805, de Dessalines :

Art. 12. Toute propriété qui aura ci-devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit, confisquée au profit de l’État. Notons qu’il a précisé ''blanc français''. Cet article ne s’appliquait pas aux Polonais.

Voici, dans un seul article, ce qu’était la vision de notre grand génie et libérateur. Tous les pays à vocation socialiste et nationaliste vont adopter ce concept, plus de cent ans après Dessalines, cependant, selon le marxiste Soukar, quand un blanc nationalise les terres au bénéfice des blancs, c’est du socialisme. Par contre, quand c’est un noir au bénéfice du noir c’est du vol. Notons en passant que Dessalines n’a laissé ni biens ni héritage. Dans sa constitution, sa famille n’était pas l’héritière de son trône.

Qui est donc Michel Soukar, pour venir souiller l’image d’un tel homme ? On n'ose imaginer le sort qu'il aurait eu s’il avait déshonoré un tel symbole dans un pays musulman... Mais certains d’entre nous, les Haïtiens, avons un peu perdu le don de l’essentiel et la portée de notre valeur. Soukar devrait s’en réjouir.

 Le 20 avril 1807, soit un an après, une fois qu’il était devenu clair que son pouvoir n’était pas menacé, le Sénat de Pétion rédigea une loi traitant de la question agraire, consolidant les droits de propriété des mulâtres en imposant les limites aux bossales/noirs et en mettant des restrictions à leurs mouvements. L’article 1 de cette loi en dit long : “tout cultivateur actuellement propriétaire de n’importe quelle quantité de terres, en vertu de titre légal sera maintenu dans sa propriété, pourvu que dans l’an et jour, il soit établi en cafés, cotonnier ou autres denrées. La femme mariée suivra la profession de son mari, avec leurs enfants en bas âges. Ceux qui ne le seront pas pourront se marier dans l’année, s’ils veulent jouir du bénéfice de la loi.”

Voilà que Pétion non seulement, concède de vastes terres aux mulâtres, mais fait immédiatement de leurs familles des héritiers, au détriment de l’État.

 Qui pis est, l’article 2, précise que les mulâtres ne peuvent pas acquérir moins de 10 carreaux de terres, tandis que, comme l’avait prédit Dessalines, les bossales dans les montagnes dont les pères étaient en Afrique n’ont rien eu !

Le vagabondage agraire des mulâtres que Dessalines avait voulu éviter, s’était tellement répandu sous Pétion, que Boyer arrivé au pouvoir après avoir éliminé Goman, a voulu faire une ouverture, pour retourner à la politique de Dessalines, afin de calmer l’insatisfaction populaire. Quand il réalisa, qu’il pourrait y laisser sa peau, il s’est ravisé et a même renforcé l’application de la politique de Pétion.

J’espère bien croiser Soukar prochainement. Peut-être qu’il aura alors la copie conforme de cette lettre de Pétion, dans sa poche. Ces intellectuels et historiens mulâtristes trouvent toujours un dernier document sorti d’un chapeau, comme par un tour de magie, pour justifier leurs affirmations douteuses, pour réhabiliter leurs idoles, ou défendre leurs patrons impérialistes. Il en était de même, lorsque le New York Times a publié des articles sur le crime français de la dette de l’indépendance. Pour défendre leurs patrons français, ils ont cette fois-là sacrifié, leur idole, Pétion. Ils ont vraiment le sens des priorités. Ils étaient plusieurs à faire valoir que ce n’était pas la France qui avait réclamé la dette. Selon eux, c’était plutôt Pétion qui l’avait proposée, dans une lettre à la France. Quelle supercherie ! Un président en fonction qui propose un dédommagement à une puissance coloniale pour la perte des revenus provenant de l’esclavage ! Ils en sont venus à dire que Pétion espérait une ristourne. Si Pétion a effectivement fait cette proposition, ce serait une preuve de plus de la trahison des mulâtres, sous son leadership.  Si cela était vrai, comment des intellectuels progressistes ont-ils accepté que la commune la plus importante de la ville porte son nom? Le nom de celui qui a tué l’empereur, qui a dirigé un coup d’État, changé le drapeau et la constitution du pays? Il faut être un marxiste haïtien, comme Michel Soukar, pour justifier tout cela.  Vraiment, comment célébrer un Pétion, au détriment d’un Toussaint Louverture, d’un Henry Christophe, du Grand et Immortel Jacques 1er ?

Soukar a affirmé, sans donner de sources, que Dessalines aurait tué Lamour Dérance et pris son drapeau, le drapeau noir et rouge. Mais, il ne nous dit pas où se situe le problème. C’est dans son timbre de voix qu’on peut déceler qu’il décrit un acte de vagabondage : en sous-entendant que Dessalines n'aurait été qu'un vulgaire tueur, usurpateur de drapeau. C’est ça l’arrogance mulâtre.

Sans entrer dans les différends qui opposaient l’armée indigène, sous la direction de Toussaint et ensuite Dessalines, aux troupes de Lamour Dérance, notons que Dessalines fut nommé empereur par acclamation, par l’ensemble des généraux qui ont fait la guerre de l’indépendance. En 1805, il promulgue la première constitution haïtienne et hisse le premier drapeau haïtien, un drapeau noir et rouge. Qu’il ait choisi le drapeau flotté par Lamour Dérance, c’est tout à son honneur et à l’honneur des bossales. En plus des couleurs symboliques du drapeau, c’était un hommage certain au courage et à la contribution de ces bossales, dans la guerre de l’Indépendance. D’ailleurs, Dessalines s’est toujours soucié du sort et du bien-être du peuple haïtien, à l’époque, composé en majeure partie de bossales. C’étaient les intérêts du peuple et des bossales qu’il avait en tête, lorsqu’il a interdit aux mulâtres d’accaparer les terres pour eux-mêmes.

Soukar, comme la plupart des historiens révisionnistes, ne peut contester que le drapeau original d’Haïti est le drapeau noir et rouge. Il préfère se réfugier dans le dénigrement, pour souiller le Drapeau de l’empereur, notre Drapeau, le Drapeau fondateur de notre Nation ! Comme diraient les Américains: “Shame on you, Michel!”

 

“Les politiciens haïtiens: le problème”, ou le racisme honteux des intellectuels mulâtristes

Soukar s’acharne à nous rappeler que Acaau était un illettré qui avait vu juste. Un génie conjoncturel de l’histoire, dont la découverte de la primauté des questions économiques et sociales sur le discours de couleur, jugé démagogique, est encore valide aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard. Soukar fait sa propre interprétation des propos d’Acaau. Il trafique la vérité, et il nous ment!

Acaau réclamait certainement des terres pour les paysans, c’était une réclamation juste, populaire et stratégique, afin d’élargir sa base sociale. Il avait même l'appui de certains noirs qui étaient au parlement et dans l’armée. Mais, il n’a jamais nié ni minimisé la question de couleur. De fait, la revendication principale et première d’Acaau, dès qu’il a été à la tête des piquets, c’était d’avoir un président noir. À telle enseigne, qu'après le départ forcé de Boyer du pouvoir, pour donner satisfaction à sa base sociale comme aux masses et atténuer les troubles politiques, ce ne sont pas des terres que les mulâtres ont cédées, mais plutôt la présidence avec une succession de présidents noirs, de doublure. Des incompétents, qu’ils ont choisis sur le volet, jusqu’à ce que Soulouque veuille s’affirmer et se déclare empereur. Et vous l’avez bien deviné : il est tombé, victime d’un coup d’État. 

Mais, ce que Soukar veut vraiment, c’est nous faire oublier qu'aujourd’hui encore, à plusieurs égards, nous vivons sous l’égide du crime et du coup d’État de Pétion, contre lequel Goman et par la suite, Acaau ont lutté. Coup d’État dont Soukar est l’un des promoteurs et héritiers tardifs. Bien sûr, il y a eu des intermèdes, mais une partie du secteur privé, certains nantis, les historiens et intellectuels de services, les conzés de toutes les couleurs et la communauté internationale sont toujours au rendez-vous pour nous faire revenir à la “norme” - intervention militaire – occupation – correction démocratique – élections truquées – et j’en passe. En deux cents ans, les mêmes forces nous ont empêchés de célébrer notre indépendance. Soukar, comme un bon intellectuel de service, nous dit que nous n’avons rien à célébrer, pas d’histoire, pas de héros, pas d’Indépendance. Juste un groupe de vandales, pro-esclavagistes, qui se sont réunis à l’Archaie pour voler les terres des colons de Saint-Domingue. Ensuite, un premier janvier 1804 qui ne vaut rien, puisqu’ils se sont réunis pour se créer un pays pour eux-mêmes. Quelle ignominie, quelle honte pour quelqu’un qui se targue du titre d’historien, et d’Haïtien. Soukar non seulement prend ses distances par rapport à notre histoire, notre pays et nos héros, mais il n’est même pas reconnaissant de ce que ce pays ait accueilli ses arrière-grands-parents. Même quand il aurait cru tout ce qu’il imagine, il aurait pu faire honneur à l’histoire, respecter un tant soit peu la vérité historique, s’en tenir aux faits, par décence et faire honneur à son aspiration d’historien.

Mais hélas, revenons à la simple et banale vérité, Michel n’en a rien à cirer d'Acaau, ses nombreux ouvrages constituent une plateforme pour faire la promotion du mulâtrisme et manifester son racisme latent. Dans un de ses ouvrages sur le président Hippolyte, il décrit un général mulâtre en ces termes, “depi sou longè bwa nen misye, ou wè li konnen ki kote li pwale”. Ces genres de déclarations sont à l'origine de manifestations et de boycott aux États-Unis. En Haïti par contre, nous avons développé une tolérance excessive envers le racisme et les racistes.  

C’est fort de cette tolérance que Soukar se sent libre de débiter ses diatribes sur Dessalines et notre pays, jusqu’à dire, “il n’y a pas de problème de couleur en Haïti, ce sont les politiciens qui utilisent cette question pour manipuler les masses.”

C’est le comble de l’indécence. Soukar a dû être tombé sur la tête et les journalistes de Magic9 ne s'en sont pas rendus compte. Oui, cela arrive même aux marxistes. Je ne pense pas qu'il croit à son propre discours, mais je ne peux pas imaginer qu’il soit assez arrogant pour le prononcer à haute voix. Car même en France, les racistes d’extrême-droite comme Eric Zemmour, se donnent une certaine limite dans l’expression de leur haine de l’autre, en respectant l’humanité des gens et leur histoire. Soukar n’a pas su faire ce minimum.

Croit-t-il vraiment que les problèmes de couleurs existent en France, aux USA, aux Japons, en République Dominicaine, en Chine, en Russie, en Italie, en Allemagne, au Liban, au Turkménistan, en Afrique du Sud, en Ukraine, pour ne citer que ceux- là… (on pourrait même dire que l’histoire de certains de ces pays, c’est en partie, l’histoire du racisme), mais, pas en Haïti? Oops, pas de problème de couleur ! Bien sûr, selon Soukar, le pays qui a sauvé l’humanité du système esclavagiste connaît toutes sortes de maux : problèmes économiques, eau potable, éducation, inégalités de tout genre, problèmes environnementaux, de gouvernance, d'ingérences étrangères, mais pas de problème de couleur ? Il est tombé deux fois sur la tête.

Soukar n’est pas le seul dans cette bulle soi-disant marxiste, et cette campagne de nier aux masses noires, leur propre expérience et réalité du racisme. Toutes les voies privilégiées, mulâtristes et bénéficiaires du statu quo, s’accordent à faire croire que ce sont les politiciens qui sont responsables de tous les maux du pays. Politiciens ? Un vocable qui veut dire noir en Haïti, et qui ne s’applique ni à Maxime Roumer, ni à Boulos, ni à Apaid, ni à Michèle Pierre-Louis, ni à Baker; ni même aux noirs qui sont considérés comme des mulâtres tels que Préval, Alix (Boulon) Fils-Aimé, ni même à Jerry Tardieu, Laurent Lamothe, Bernard Gousse, Frantz Large, Ted Sindic ou même Maryse Penette, Thierry Mayard Paul, Marie Michèle Rey, Myrtho Flambert, Michel Clérier, Lesly Delatour, Lesly Voltaire, pour ne citer que ceux-là. Selon le discours mulâtriste, ce sont tous des gens de bonne volonté qui sont venus aider, ils sont au secours de la Nation. Cette distinction s’étend à Pétion tout comme à Cédras.

Mais, quel est le bien-fondé de cette accusation faite aux politiciens noirs ? Certains de ces politiciens, sont souvent incompétents et corrompus, certes. Mais, cela ne devrait pas constituer une justification pour les noirs de ne pas diriger leur propre pays. Au Liban, où la situation de corruption et de pauvreté est pire qu’en Haïti, personne n’argue que les Libanais sont tous des voleurs et ne devraient pas diriger leur pays. Le pire, c’est que le racisme existant au Liban fait que les noirs ne peuvent même pas y séjourner ou y vivre.

Il faut reconnaître que ces politiciens sont mis en poste par les membres de l’élite économique qui les financent, ou par la communauté internationale qui les contrôlent, ils sont à leur solde. Le problème fondamental est que l’élite économique qui contrôle les ressources du pays n’a rien à voir avec le peuple haïtien ou avec leurs désidératas. Elle n’a aucun sentiment d’appartenance avec les masses, ne partage pas leur religion, méprise leur langue, leur culture et se soucie peu de leur bien-être. Ses ressources financières et le soutien de pays étrangers puissants, font qu’elle a le contrôle effectif des finances du pays et du pouvoir. Les politiciens noirs qui résistent à cet état de fait, sont chassés du pouvoir, victimes de coups d’état, ou plus récemment d’assassinats

Le Député Gary Bodeau, prétendument riche, a été dernièrement sanctionné par les États-Unis, pour avoir collecté près de $8,000.000.00 du secteur privé haïtien, à distribuer aux parlementaires, en vue de l'approbation du choix d’un Premier ministre réputé corrompu. Voilà donc un parlementaire noir, qui collecte de l’argent pour faire approuver un politicien noir réputé corrompu. Par contre, personne ne pose la question de savoir, qui sont ceux qui ont financé cette mobilisation de ressources pour un montant aussi élevé. Les Américains n’ont pas partagé la source de ces fonds; les journalistes ne l’ont pas investiguée ; Soukar n’en a pipé mot. Les noirs riches, sont-ils vraiment des mulâtres?

 

À suivre dans l'édition du 22 juin

 

Garaudy Laguerre

Port-au-Prince, 19-06-2023

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