Le choc de l'histoire

Un bon lecteur d’histoire et d’émotion nationale se souviendra de l’occupation américaine d’Haïti de 1915, comme le souvenir qui se vit en choc de l’actualité à la mode de l’écrivain Léon Laleau. Le choc de se souvenir de la guerre diplomatique entre, d’une part, les États-Unis, et d’autre part,  la France, et quelques commerçants anglais et allemands qui redoutaient l’idéologie du président américain James Monroe. Une idéologie qui n’a jamais été revendiquée par les autres nations de l’Amérique. Une idéologie qui n’a jamais pu construire la continentalité des nations de l’Amérique, sans que celles-ci ne puissent lire sous le vocable l’Amérique le drapeau étoilé des États-Unis comme une menace pour leur souveraineté nationale. « L’Amérique AUX Américains » a été une formule, dont l’application par les différentes interventions militaires des États-Unis  a divisé les autres nations du continent de ceux-ci, car l’Amérique Étoilée de James Monroe n’a jamais contribué au renforcement des souverainetés régionales dans la Caraïbe, l’Amérique centrale et du Sud faisant partie de l’Amérique Continentale. Et donc la formule n’a jamais insufflé à œuvrer à la construction d’une représentation collective du continent, comme une Amérique de toutes les nations souveraines. Comme ce fut le cas de l’effet de l’idée d’une Europe des nations lancée dans les années 1830, au moment de la restauration de l’empire napoléonien et le nationalisme de puissance de l’Allemagne-Prusse. Une idéologie qui a précédé les deux guerres destructrices du continent, et aider à la construction de l’Union Européenne.

Mais, la mort par assassinat du président Jovenel Moise n’ayant pas provoqué les mêmes conséquences que la lapidation du président Vilbrun Guillaume Sam, peut-on croire que l’histoire n’est pas cyclique, et que les antagonismes diplomatiques n’ont plus les mêmes effets dans un contexte sociopolitique national et international différent par les acteurs et les idéologies, mais qui est similaire à l’époque de l’occupation de 1915 par les intérêts et les enjeux que représente Haïti avec ses ressources non exploitées et toujours convoitées par les mêmes puissances du 19e siècle ? Est-ce que la vérité d’une époque historique peut jouer le rôle de facteur explicatif d’une actualité choquante au regard de l’histoire ?

En effet, la dette de l’indépendance, les emprunts injustes imposés à une nation de noirs et de mulâtres engorgée dans l’isolement, les taxes douanières exclusivement au bénéfice de la France, et le transfert de la réserve d’or d’Haïti vers une banque américaine ne peuvent guère s’actualiser pour expliquer la crise qui sévit dans la société haïtienne, où les nouvelles formes de la flibuste sont des pratiques de banditisme des groupes armés commandités par les antinationaux et les commissaires diplomatiques (commissaires civiles). Même s’il s’agit de faits sociohistoriques, financiers et économiques ayant contribué à retarder le développement économique et social du pays. Au même titre que la fuite vers les paradis fiscaux de l’argent de la CIRH et de l’accord Petrocaribe a créé un marasme post-séisme.

Donc, il n’y a plus lieu de lire des contradictions entre une France d’hier qui a été chancelante dans un continent allumé par les tensions internes pour la montée des nationalismes d’existence, et les États-Unis qui s’étaient donné un droit de leadership économique et politique, à l’aube des deux guerres. Ce qui serait contradictoire avec la relation entre la France et les États-Unis d’aujourd’hui, dont les liens diplomatiques ne sont que plus cordiaux.  Au fait, avec le président Emmanuel Macron, un américaniste qui n’a jamais caché sa passion pour les États-Unis et un chef de la diplomatie américaine qui est un franco-américain, Anthony Blinken, les vues des deux puissances continentales ne peuvent être que complémentaires et s’accordent sur le partage de la domination des territoires et des intérêts régionaux et historiques.

Donc. Le choc à lire n’est plus cet antagonisme entre la France et les États-Unis qui divisaient les élites noires et mulâtres haïtiennes n’ayant pas eu une vision claire du type de nationalisme à faire promouvoir dans les institutions nationales, pour restaurer l’indépendance et la souveraineté multidimensionnelle de l’État d’Haïti et de la nation haïtienne prise en otage par des foyers de groupes armés institués par la haine internationale. Une haine internationale que les soldats de l’armée indigène avaient suscitée pour avoir obtenu une victoire spectaculaire contre un monde raciste, colonialiste, devenu aujourd’hui le monde du G8, parallèlement à l’Organisation des Nations Unies (ONU) chantant le crédo mal orchestré sur le droit à l’autodétermination des peuples. Le choc à lire c’est plutôt l’attitude offensante et humiliante des pays se disant amis d’Haïti, mais qui ne veulent pas favoriser une solution à la crise, en refusant de fournir une aide diplomatique coopérative pouvant renforcer les structures des institutions répressives de la PNH et de la FAd’H. Le choc à lire, c’est la désinvolture des missions diplomatiques ayant toutes les informations sur le plan national et international relatives à la circulation des armes et munitions alimentant et transformant des catégories juvéniles en groupes armés nuisant et chassant les populations des quartiers urbains de l’ouest, et de l’Artibonite, et sur l’implication des oligarques des élites économiques et politiques. Le choc à lire, c’est la volonté infâme des dirigeants du pouvoir et de l’opposition politique haïtienne d’enfoncer le pays dans un chaos qui n’est pas une fatalité irréversible, parce qu’ils n’ont pas la grandeur des hommes d’État qui osent définir les modalités de la coopération internationale. C’est pourquoi, il est pour tout lecteur consciencieux du rôle de l’intellectuel comme spectateur engagé dans la société de son temps, de relire l’histoire avec le prisme des faits du quotidien, d’indexer l’avenir comme incertain, et d’accuser le quotidien offert par les dirigeants politiques comme un choc historique qui se revit au présent de l’actualité.

Qui n’a pas été pas choqué de penser à l’événement historique de 1915-1934 à l’approche du 28 juillet 2023, en observant ce qu’est devenu le pays pendant les 108 années ayant succédé à l’année initiale de l’occupation américaine d’Haïti de 1915 ? Même les générations des marines de l’armée américaine d’après les années 1960, où les politiques publiques américaines ont propulsé les changements sociaux au profit des Afro-Américains et des Latino-Américains, seraient sous le choc de s’engager dans une deuxième occupation militaire d’Haïti par les États-Unis, qui ne serait pas la mission d’un plan Marshall pour la reconstruction d’un pays détruit par 3 décennies de la mauvaise coopération internationale ayant conduit la société au bord du précipice. Mais, une éventuelle deuxième occupation que pourrait justifier une catastrophe innommable que provoquerait la montée incessante en puissance des groupes armés qui fragilisent les zones de localisation de l’ambassade des États-Unis, et encerclent la ville administrative de l’État haïtien, dont les compétences régaliennes n’arrêtent pas de se réduire à néant.  Une deuxième occupation que semblerait justifier les menaces périphériques de l’ambassade des États-Unis, représentées non par les groupes armés, mais par la détresse des victimes innocentes de l’insécurité qui ont eu la logique de l’instinct de conservation pour se rendre chercher un refuge devant les portes de l’ambassade des États-Unis. Qui peut ignorer que l’ambassade n’est pas et ne sera jamais une cible des attaques des bandits armés agissant à la solde des agents diplomatiques internationaux, des nationaux des secteurs politique et économique. Qui peut ignorer que seuls les citoyens innocents seront les éternelles victimes de l’insécurité, en attendant que la bonne foi de la raison théorique et de la raison politique des acteurs nationaux et internationaux se manifeste dans les prochaines discussions et décisions qui auront lieu dans les institutions internationales et nationales. Et le choc sera aussi d’attendre indéfiniment…

 

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