Enquête

Le Consulat haïtien à Paris : entre gestion calamiteuse, corruption, privilèges et réformes !

(Première partie)

Plusieurs années de mauvaise gestion ont plongé le Consulat d’Haïti dans une situation calamiteuse et les « réformes » entreprises par la chancellerie au mépris des droits fondamentaux des employés ne font qu’aggraver les choses (1). Surtout que le ministère de tutelle ne pénalise pas les consuls payés à ne rien faire, mais s’attaque uniquement aux employés qui accomplissent le vrai travail du consulat avec le très peu de moyens techniques mis à leur disposition.

 

Le Consulat haïtien à Paris est la plus importante des institutions administratives haïtiennes en Europe. Du fait de cette position dominante, de fortes sommes d’argent versées par les Haïtiens pour l’obtention de documents y circulent quotidiennement. Jusqu’en 2021, le Consulat n’acceptait que des espèces du public. Était-ce pour dissimuler la transparence ou par incompétence ? Les deux à la fois, affirment des personnes interrogées. Dans tous les cas, il est inadmissible qu’une telle structure étatique soit gérée dans les mêmes conditions bureautiques que dans les années 1970.

Ce qui est certain, c’est qu’il attire la convoitise de beaucoup d’acteurs et surtout pour le statut de chef de poste grâce aux possibilités pécuniaires qu’il génère. Il y règne une véritable confrontation entre les employés eux-mêmes, mais aussi entre ces derniers et les diplomates. Sinon, comment expliquer que ce soit une employée qui remplit le rôle de secrétaire, traitant également les dossiers juridiques et qui rédige tous les courriers des diplomates soi-disant diplômés et quelques fois sorbonnards ? Bien qu’elle n’ait pas un gros salaire, elle se plaint que le ministère veut la « virer comme une chienne » dans le changement du personnel qu’il est en train d’entreprendre sous prétexte que ses charges salariales reviennent trop chères à l’État haïtien.

Salaires et privilèges

D’après nos sources, un consul général à Paris perçoit un salaire de $7.700 par mois et 1500 euros de frais de représentation, soit environ 9.200 euros nets par mois. Il dispose d’un logement de fonction chèrement payé par les contribuables haïtiens. Une voiture de fonction de grosse cylindrée avec chauffeur sans compter les frais d’entretien et de gazoline. Une carte bancaire à son nom pour les frais de restauration sans limitation de dépenses, seules les preuves appropriées sont obligatoires.

M. James Jules, n’a pas souhaité indiquer le montant de son salaire. Mais, il explique que son service utilise la carte bancaire du Consulat pour effectuer un certain nombre de dépenses. Il a le droit de s’en servir pour le restaurant si le consulat a des invités, mais pas pour ses besoins personnels.

« M. Jules est un inconscient, confie un employé, il sait que beaucoup d’entre nous ne perçoivent pas de salaire, il utilise fréquemment la carte pour commander à manger uniquement pour lui et son réseau au Consulat au su et au vu de nous autres qui n’avons pas un rond et vivons grâce à nos conjoints et familles ! » Il est aussi important de mentionner que seul le consul général a droit à des frais supplémentaires en plus de son salaire.

Les autres salaires varient entre $3.000 et $6.000. Les consultants engagés sur place touchent un salaire de $3.000 ou $4.000 dollars ; un conseiller $5.000 et un ministre-conseiller entre $6.000 et 7.700 dollars. Les consuls ont droit au statut de diplomate et à la plaque d’immatriculation diplomatique qui leur confèrent prestige et pouvoir. D’autant plus qu’ils sont loin des ordures qui jonchent les rues de la capitale et des gangs qui empêchent la population de vivre.

Au Consulat, les employés jugent exagéré le budget du logement du chef de poste. L’État devrait financer les frais du logement à hauteur de 50%, expliquent-ils, de façon à le dissuader de s’octroyer un appartement trop cher. Mme Wédline Pierre, prédecesseure de James Jules, s’était offert un appartement dans un quartier huppé de Paris qui coûtait la rondelette somme de 4.000 euros par mois. Le Consul actuel a conservé l’appartement moins onéreux qu’il occupait en banlieue parisienne à l’époque où il était simple diplomate.

Une visite des bureaux

J’ai eu un très long entretien avec M. James Jules, le mercredi 19 juillet 2023. À cette occasion, il m’a fait visiter les bureaux pour constater par moi-même les progrès que connaît le Consulat en matière de sécurité administrative. Il voulait, m’a-t-il dit, faire entendre « un autre son de cloche » J’en ai profité pour observer et interroger le personnel présent, notamment ceux qui sont concernés par le problème des salaires impayés et de révocation.

Néanmoins, pendant j’attendais d’être reçu par le chef de mission, j’ai eu donc le loisir de discuter avec des Haïtiens qui étaient venus déposer des dossiers de demande de passeports. Ils m’ont raconté qu’ils étaient là depuis 8 heures du matin, alors qu’il était midi passé et que personne n’était venu leur parler. « Pourquoi le Consulat a-t-il augmenté le prix du passeport, qui est passé de 145 à 160 euros ? », me demande-t-on. Une dame raconte qu’une employée au guichet qui vérifiait ses documents l’a traitée « comme un animal ». Cette même personne venait tout juste de m’agresser, moi aussi, quand je me suis présenté à elle - parce qu’il n’y avait personne à l’accueil, - pour lui demander à qui m’adresser pour annoncer au consul mon arrivée.

Dans un autre bureau, une jeune femme, parmi les nouveaux arrivants d’Haïti, essaie de traiter le cas d’une Haïtienne divorcée et veuve qui sollicitait un document pour renouveler sa carte de résidence. Selon l’employée, quand elle coche la case veuve, l’ordinateur réclame l’acte de décès. Or elle portait encore le nom de son mari sur sa carte d’identité et voulait que le document lui soit livré au nom qui y figure. « Impossible, lui fait-on savoir, car vous êtes divorcée, vous devez me fournir l’acte de décès pour effectuer le document à votre nom de jeune fille. » La dame répond qu’elle avait déjà fourni l’acte au service juridique. Cette perte est imputable au fait que jusqu’à très récemment encore, le Consulat n’archivait pas les copies des pièces officielles. On pourrait aussi se questionner s’il le fait aujourd’hui dans les règles de l’art.

Cette fonctionnaire ignore que la loi française autorise une femme divorcée à conserver le nom de son ancien conjoint si ce dernier ne s’y oppose pas. D’ailleurs, sa carte de résidence est délivrée par la préfecture avec le nom de son ex-mari défunt. Le Consulat aurait dû répondre à la demande légitime de la dame : ou le logiciel n’est pas adapté ou cette femme est inapte à traiter ce type de dossier qui pourtant doit être une procédure courante dans un consulat.

Même M. Jules semblait ne pas connaître non plus la bonne solution à prendre puisqu’il a autorisé l’employée à sortir le document au nom de jeune fille de la requérante. Car si la préfecture établit la nouvelle carte de séjour avec le nom de jeune fille, la pauvre dame aura toutes les peines du monde à changer de nom sur tous ses documents officiels en France, notamment à la banque et aux organismes sociaux. L’incompétence en action !

Peu d’intérêt pour la communauté haïtienne

On fait attendre en moyenne une trentaine de personnes toute une journée dans une salle juste pour déposer un dossier de passeport. Parfois ils peuvent être plus de quarante. Malgré les vacances annuelles dont les employés bénéficient, le personnel diplomatique est souvent absent ou indifférent au travail administratif. Qu’est-ce qui empêche l’État haïtien de transformer les diplomates « tourneurs en rond » en agents administratifs dynamiques ? Et pourquoi eux-mêmes manifestent si peu d’intérêt pour leurs compatriotes alors qu’ils sont grassement payés pour leur rendre service ?

Les problèmes au Consulat sont tellement nombreux qu’on ne saurait tous les énumérer dans un seul reportage. Pour qu’il devienne fonctionnel, il y a beaucoup à faire. J’ai pu constater au moment d’essayer d’entrer en relation avec le secrétariat du chef de poste que même le service de communication est dans un état de médiocrité absolue.

Par exemple, j’avais envoyé au consul un mail pour lui faire connaître mon intention d’écrire un article sur le Consulat et j’y avais joint quelques questions à son attention. Ce n’est que dix jours après, - mon reportage avait d’ailleurs déjà paru dans Le National - qu’il m’a envoyé un mail pour m’informer qu’il acceptait de me recevoir. Je lui ai répondu tout de suite, mais le mail m’est retourné. J’ai ensuite appelé au Consulat, mais le téléphone ne fonctionnait pas. Mes contacts m’ont donné d’autres numéros et d’autres mails, rien ne marchait ! Ce problème a duré plusieurs jours. Quand on sait que ce sont les mêmes moyens de communication qu’utilisent les Haïtiens de la communauté, on comprend pourquoi leurs demandes prennent autant de temps avant d’être traitées.

Sachant que je n’avais pas le moyen pour entrer en communication avec lui, M. Jules m’appelle pour convenir d’un rendez-vous le lendemain. Au moment de m’y rendre, comme j’allais avoir un peu de retard, j’ai cherché le numéro du consul parmi les appels récents, mais il a disparu. J’ai dû envoyer un message WhatsApp à un contact du Consulat qu’il a transmis immédiatement à M. Jules. Huit minutes après l’heure convenue, ce dernier m’appelle comme s’il n’était pas au courant de mon retard, me reproche plus ou moins indirectement de n’avoir pas respecté mon engagement. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à un de mes informateurs qui a traité ce fonctionnaire de « manipulateur ».

Gestion financière et corruption

Selon ce que j’ai appris, ce sont en moyenne 6.150 euros par jour qui entrent dans la caisse du Consulat, correspondant aux frais de passeports – une trentaine en moyenne - d’une valeur de 4.950 euros et de documents juridiques pour 1.200 euros. Ce qui fait environ 147.600 euros sur 24 jours ouvrables. Cette somme représente plus du double du budget de fonctionnement mensuel qu’envoie la Chancellerie. Tout compte fait, on constate que ce sont les Haïtiens de France qui financent entièrement le fonctionnement du Consulat, pour un service au rabais.

Le chef de mission gère « une mine d’or » incontrôlable par la DGI haïtienne et par le ministère des Affaires étrangères. Il s’agit de recettes journalières perçues sur les documents juridiques. Les consuls généraux successifs prenaient une fâcheuse habitude de ne jamais établir de rapports financiers aux autorités compétentes sur ce fond. Aussi, la DGI et la chancellerie minimisaient peut-être ce service, car la plus grosse recette émanait de la délivrance des passeports.

D’après un employé, qui a travaillé au service administratif, les seuls rapports qu’il a pu voir sont datés d’il y a 15 ans, lorsque Maître Emmanuel Charles était Consul général. M. Jules lui-même reconnaît qu’il n’existe pas de rapports financiers récents. Il m’a montré deux gros classeurs datant des mois de mai et juin 2023 reprenant les opérations financières de l’exercice fiscal de 2022/2023, mais rien ne dit que ces rapports ont été effectivement envoyés au Ministère. En tout cas, on constate que ce n’est que maintenant que celui-ci, en poste depuis juillet 2022, se penche sur cette épineuse question des rapports financiers.

Un employé affirme que les recettes perçues sur les documents ne peuvent plus être détournées vu que le Consulat remet une facture informatisée pour chaque pièce livrée. « Faux, rétorque un autre, on pourrait toujours faire disparaître le double des factures payées en espèces ». M. Jules ne conteste pas cette possibilité et avance qu’il espère installer un système informatique qui permettra que l’édition des factures puisse être vue directement en Haïti. En réalité, il suffirait que le Consulat exige tous les paiements par carte bancaire pour résoudre ce problème. Cependant, vue l’étendue de la corruption dans l’administration haïtienne, on se demande si cette réforme ne va pas seulement déplacer le détournement de fonds.

Avec une recette de 147.600 euros par mois, si le consulat était géré dans les normes administratives requises, il ne devrait avoir aucun problème à verser les salaires impayés et même à régler progressivement la dette envers les organismes sociaux. (Suite demain)

 

 

Sergo Alexis

 

(1) Voir le premier article paru dans Le National, le 18 juillet 2023, intitulé Scandales au Consulat haïtien à Paris.

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