Il pleut sur Carrefour Feuilles à Port-au-Prince

Il pleut sur Santiago tel est le titre d’un film qui a fait dérouler les évènements liés au sanglant coup d’État du 11 septembre 1973 contre le président socialiste Allende au Chili. 50 ans plus tard, il pleut sur Carrefour Feuilles.

 

À chili, ce fut le renversement d’un ordre prometteur de justice sociale pour asseoir le néolibéralisme et le militarisme. À Carrefour Feuilles, c’est le règne d’un ordre spéculatif et d’une économie souterraine annoncés. Les dépossessions sont à l’ordre du jour. Des riverains qui ont conquis à la sueur de leur front et construit le mythe d’habiter quelque part ont vu leur projet volatilisé. Des gens qui ont investi 20 ans et plus de leur vie sans avoir pu assurer la finition d’un logis pour un pied à terre se retrouvent dans l’itinérance.

 

Depuis le 10 novembre 2022, c’est le désarroi dans la population de Carrefour Feuilles. Des groupes armés dans plusieurs assauts tentent leur irruption dans la zone. La porte d’entrée est le quartier de Savane Pistache puis celui de Caridad.

 

Érigé dans les années 1940 dans les alentours de l’Église Saint Gérard, Carrefour Feuilles s’établit sur l’axe du quartier de Déprez et de la route des Dalles. Sa population concurrence les 150,000 habitants après avoir connu des migrations et des disparitions après le séisme meurtrier du 12 janvier 2010.

 

Ce lieu est de plus  en plus vidé en raison du règne du banditisme. Une population errante alors stable et tranquille dans le temps. Carrefour Feuilles était récemment un lieu d’hospitalité des gens d’autres quartiers fuyant la terreur à Martissant, la Plaine du Cul de Sac, Canaan, et Petite Rivière de l’Artibonite.

 

Carrefour Feuilles est exposé aux pluies de balles qui fusent dans toutes les directions. Aussi a-t-il connu des viols, des tueries. On évoque le projet fumeux de prébendes et de rentes dans le contrôle des mines de carrières et de sable. Le rançonnement de marchés et des activités économiques. Le contrôle des installations d’eau potable et le monopole du commerce et de la distribution de l’eau dans la zone ont garanti le pouvoir invisible des groupes armés , visibilisé de nos jours. Les dépossessions, occupations de terrains et de propriétés sont imminentes. Des maisons ont été même détruites dans des incendies d’origine criminelle. Des gens sont davantage décapitalisés et dans l’attentisme du programme Humanitarian Parole (Prorgamme de Biden couramment dénommé).

Il pleut sur Carrefour Feuilles quand des marées humaines se déferlent des montagnes vers des migrations internes et chaotiques. Malgré l’érosion, les gens se sont nourris du mythe d’habiter dans un décor aride, populeux et insalubre. Pour un Occidental, c’est inimaginable d’habiter des lieux imminemment à risques environnentaux. Des études des populations en situation de relocalisation au Canada (Maltais et autres,2001), » des victimes malgré les risques imminents auxquels elles se sont constamment exposées se maintiennent dans leur milieu de vie. Elles se déplacent certes, mais reviennent pour se réapproprier les terrains ». En effet, l’attachement à la demeure s’associe à des liens affectifs très forts pour ces populations. L’habitat a la fonction d’identification personnelle et d’extension ou de prolongement de l’individu. Les luttes pour le droit à la terre ont fait de l’Haïtien un acteur en relation ombilicale à la terre. Le revirement de l’histoire a donné le champ à la fuite, l’exil et l’abandon pour s’installer dans l’itinérance à la recherche d’un refuge au milieu de n’importe où pour parodier Mary Pipper.

 

Il pleut sur Carrefour Feuilles

 

Les Haïtiens s’identifient du fait leur forte peur de la pluie. Ils n’ont pas peur des balles, à se rappeler leur rôle de spectateurs actifs lors de la guerre des  corps militaires de Palais national contre ceux des Casernes Dessalines.

Les Haïtiens n’ont pas peur de la pluie. Ils sont aussi attachés à leur demeure ou à la terre. Les voici abdiqués à des réflexes et attaches jonchés à de longues traditions ancestrales.

 

Il pleut sur Carrefour Feuilles et c’est le déracinement de la population de Carrefour Feuilles qui s’est installée dans sa culture de riverains et de sédentaires paisibles, chaleureux et hospitaliers.

 

Il pleut sur Carrefour Feuilles, et les habitants de Carrefour Feuilles ont peur de la pluie des balles de la haine, de l’exclusion, de l’esclavagisme et des séquestrations sous la coupe de la complicité de l’État.

 

Il était une fois l’Amérique centrale avait expérimenté la guerre de basse intensité des escadrons de la mort, dans les années 1980. C’est comme une reddition en Haïti. Les quartiers sont pris en otage et la décentralisation sous les décombres. Qu’en est-il de l’effort des pouvoirs publics à endiguer la terreur dans les quartiers. Un ancien président du Sénat de la République d’Haïti a fait état d’un banditisme d’État. « Se li k konnen », soit une formule créole qui renvoie au secret de polichinelle.

 

Il était une fois Carrefour Feuilles dans un sens d’appartenance et d’identité locale très fort des habitants.

 

Je me souviens aussi de la consistance des organisations de jeunes à Carrefour Feuilles. Elles sont déroutées déjà dans le cadre de la politique de promotion de l’émigration des jeunes après le coup d’État de 1991 quand la population avait connu un mirage de bien-être sous la présidence du révérend père Jean Bertrand ARISTIDE , démis de ses pouvoirs après 7 mois.

Il pleut sur Carrefour Feuilles depuis lors, c’est le modelage d’une déstabilisation et l’avènement de la terreur ouverte associée à une économie criminelle.

 

Il pleut sur Carrefour Feuilles et la population est dans l’itinérance sous la forte pluie de balles de la haine et de l’exclusion endémique que l’État ne cesse de vanter comme patrimoine politique.

 

Hancy Pierre, Citoyen engagé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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