Ce que Montana va symboliser à travers l'histoire

Ce dimanche 30 janvier, les 42  délégués du Conseil national de transition (CNT) de l'accord de Montana ont  organisé  des élections pour élire Fritz Jean président et Steven Benoît, Premier ministre qui auront la lourde tâche d'assurer le vide institutionnel constaté au lendemain de l'assassinat du président Jovenel Moïse en plein exercice de sa fonction. Ce pays se trouve alors dans une telle situation puisque, pour une raison ou une autre, les trois pouvoirs prévus par la constitution du 29 mars 1987 en vigueur ne sont plus à 100% de leur capacité. En vertu de cela, aucune formule proposée par notre charte fondamentale ne se révèle applicable. Eu égard à cela, les différents organes politiques et de la société civile réunis à l'hôtel Montana ont opté à la mise en place d'une transition politique tendant vers un consensus. 

L'accord Montana, signé en date du 30 août 2021 par plus de 200 organisations,  a , au regard de la sociologie, un sens pour nous. Analysons ce que Montana va symboliser dans notre histoire; 

Partons de la sociologie pour circonscrire notre réflexion. La sociologie compréhensive, au regard de laquelle nous analysons la portée symbolique de Montana, donne un sens à tout événement d'une certaine représentation. En effet, selon la définition retenue par Michel Pastoureau, un symbole est « un signe qui exprime une idée, un concept, une notion », et derrière une dimension charismatique intentionnelle se révèlent les « croyances » d'une époque, voire des fragments d'un imaginaire collectif comme autant de traces visibles de la normalité [1]. 

Les politiques symboliques s'expriment principalement par l'intermédiaire de deux grands modes de fonctionnement. Le premier relève du rituel, c'est-à-dire d'un ensemble de cérémonies normées, récurrentes et pérennes, dont le rôle, comme d'ailleurs la justification, est de signifier la maîtrise d'un espace, qu'il soit géographique, social ou simplement spirituel. Le second regroupe toutes les manifestations qui se rattachent à l'emblématique, dont les signes sont comme autant de caractères identitaires.

 Montana, présenté comme objet de ma réflexion, a toujours accueilli  des événements qui le placent comme une référence d'une portée symbolique. À  force de rentrer plus profondément dans les annales, elle se projette du coup l'image d'un patrimoine qui sera alors  étudié comme un symbole pérennisant l'illégalité et l'illégitimité. Étant souvent un lieu décisif dans les prises de décision sur le destin du pays, son symbolisme, au regard du champ conceptuel de Pierre Bourdieu, charrie la domination, la violence et le pouvoir. Montana a dans notre imaginaire une certaine représentation de domination, de violence symbolique faite au  peuple haïtien. 

D'abord  en 2006, Montana a accueilli le premier grand événement d'un mauvais goût qui  a donné à l'hôtel sa toute première représentation d'un lieu où l'on enlève au peuple son droit, car c'est à lui seul qu'appartient la souveraineté. Qu'on se le rappelle, René Préval n'a pas élu dès le tour; ce fut là  où le Conseil  Électoral de Max Mathurin a publié les résultats des élections présidentielles donnant à Préval vainqueur en violation du décret électoral et de la constitution; ces résultats n'ont pas reflété la volonté populaire. Le CEP a alors bafoué les droits des électeurs lorsqu'il a comptabilisé les votes blancs qui ont évité  à René Préval un second tour face à Lesly Manigat. 

C'est encore à Montana où l'on a choisi de parapher un accord qui prévoit une transition politique en son genre. 44 personnes formant un Conseil national de transition en lieu et en place du peuple ont décidé de voter des personnages appelés à diriger une transition politique qui est de loin non conforme aux vœux de la constitution. À aucun moment, notre charte fondamentale ne parle d'un collège présidentiel; à aucun moment, on ne prévoit un mode de scrutin pour élire nos élus. À aucun moment, la constitution ne prévoit un Conseil  national de transition. On nage dans la totale illégalité.

Avant 1956, le pays a eu une forte tradition d'élire les présidents au suffrage des élections indirectes. La dernière fois qu'un président accède à la présidence par cette voie ce fut en 2016. Exceptée l'élection de Jocelerme Privert, toutes étaient alors en conformité à la loi. Le mode de scrutin, utilisé par les porteurs de l'accord Montana, est une grande première dans l'histoire de peuple. On ne peut pas même en parler de jurisprudence. Ce mode de scrutin est loin de respecter la volonté populaire. 

Jean Jacques Rousseau, celui qui a proposé la souveraineté populaire, n'était pas contre l'usage du tirage au sort en démocratie, mais tout va dépendre de la représentativité de l'échantillon. L'élection indirecte de Jocelerme Privert a eu une certaine légitimité puisque ce sont les  parlementaires au même titre que lui qui lui ont conféré le pouvoir au nom du peuple qui les a votés. 

Tout cela confère à Montana une certaine représentation de l'inconstitutionnalité, contre la volonté populaire. À dire vrai, les accords politiques s'opposent toujours à la démocratie, comme a fait remarquer l'ex-député Rolphe Papillon dans une réflexion publiée dans les colonnes Lenouvelliste en date du 25 octobre 2021. Car, ils sont toujours les vœux d'une minorité. 

 

Notes bibliographiques 

 

  1. M. Pastoureau, Les Emblèmes de la France, Paris, 1999, p. 8. p. 11-25
  2. Rolphe Papillon, comment l'accord politique s'oppose à la démocratie? 25 -10-2021

 

James St Germain, sociologue et professeur de philosophie 

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