Coronavirus : les fascistes aux portes de l’Allemagne ?

En Allemagne, plusieurs manifestations ont eu ces derniers temps pour protester contre les mesures de protection décrétées à la mi-mars par le gouvernement Merkel visant à limiter la propagation du Coronavirus. Les extrémistes de droite essaient d’avoir la mainmise sur ces protestations. Dans une interview accordée à la revue « Der Spiegel » (16 mai 2020), le sociologue Matthias Quent explique la manière dont ces manifestants procèdent et où cela pourrait mener.

Alors que le gouvernement allemand est en train d'assouplir les mesures de protection contre la Covid-19, des manifestations baptisées « Hygienedemo » (manifestations pour l’hygiène) ont eu lieu dans plusieurs villes d’Allemagne. Le fait que l’extrême droite tente de dominer ces manifestations « pose problème », estime le sociologue Matthias Quent (34 ans). Interrogé à ce sujet, il affirme que la plupart des manifestants ne s’intéressent pas vraiment aux mesures de restriction : ils utilisent ces dernières pour faire passer d’autres préoccupations. Beaucoup de demandes et d’idées lancées maintenant dans les rues sont connues depuis longtemps dans les cercles idéologiques des théoriciens du complot et des milieux d'extrême droite, principalement dans les médias sociaux.

Selon Quent, ces groupes sont en plus grand nombre que ceux qu’on voit dans les rues. De nombreux participants s’insurgent contre ce qu’ils appellent une « dictature » en Allemagne. Ils protestent contre la vaccination, contre la chancelière Angela Merkel, contre le ministre fédéral de la Santé Jens Georg Spahn, contre « ceux d'en haut ». Ils incarnent aussi la critique contre la globalisation que l'antisémitisme. Ils se positionnent fondamentalement contre la politique, les médias et la science. Dans les manifestations, Quent déplore le fait que les idéologies des milieux fascistes non seulement s’imposent dans les manifestations, mais elles sont prises au sérieux par des gens dits normaux. Ceux-ci ne prendraient pas de distance contre les radicaux de droite, adversaires de la démocratie.

Évoquant le rôle des extrémistes de droite dans ces manifestations, Quent précise qu’ils constituent une partie importante de ces protestations, même si localement c’est différent. Mais on retrouve dans ces manifestations, les narratifs d’extrême droite, ses symboles et les mythes conspirationnistes. Ils dominent les manifestations et savent les utiliser afin de pouvoir prétendre que « le peuple » se soulève enfin.

Pour les manifestants qui ne sont pas des extrémistes de droite, mais qui prennent la rue que par pur besoin existentiel, Quent pense qu’ils doivent clairement prendre leurs distances avec ces extrémistes de droite. « Il serait facile d’organiser leur propre événement et de se distancier ainsi de l'antisémitisme et de l'Alternativ für Deutschland (Ndlr : Parti d’extrême droite fasciste, raciste et xénophobe). Dans de nombreux cas, cela n'arrive pas parce que ceux qui adoptent une position critique ont peur d’être traités de "scissionnistes" ».

Dans les manifestations, il n'y a donc pas de distanciation claire entre l'extrême droite et les milieux modérés.« Cette frontière est floue depuis longtemps, et les manifestations de rue ne sont que la partie émergée de l'iceberg », explique le sociologue. Il craint que la normalisation de l'antisémitisme, des radicaux de droite, de l'irrationalisme et de la haine ne s’aggrave lors d'une prochaine crise économique. Même s’il doute que cette levée de boucliers fasciste conduise à la création d’un parti « parce que beaucoup d’acteurs aux motivations diffuses peuvent difficilement se mettre d'accord sur le programme d'un parti ». Il croit qu’il est plus probable que l’AfD en tire profit, car ce parti, entré en 2017 au Parlement fédéral, a « les structures et les narratifs nécessaires ». D’ailleurs, ce parti a déjà annoncé ses propres manifestations, et « tente de canaliser les incertitudes ».

Le culte du corps sain

Le rôle joué par la question de la santé jusqu'à présent dans le milieu de l'extrême droite est proche de l’idéologie nazie. « Le culte extrême du corps dans la vision fasciste, qui vise la pureté, le naturel et le biologisme, a toujours fait partie du radicalisme de droite, tout comme les liens entre l'anthropologie, l'ésotérisme, l'antisémitisme et le racisme. Il existe une attitude contre les interventions du monde extérieur et moderne sur le corps (populaire), y compris la vaccination. », indique Quent. L’idée de la « sélection naturelle » est propagée. Ce qui, du point de vue de l’eugénisme, signifie que seuls les plus forts survivent.Même aux maladies. C'était un élément essentiel de l'idéologie nationale-socialiste. Même dans les milieux modérés, on a tendance à attribuer la paternité d’une maladie à un groupe. Il rappelle que le virus du sida avait fait l'objet d'une forte accusation raciste et homophobe. L'inimitié envers les Juifs en a toujours fait partie, par exemple dans le cas du virus Zika ou même de la peste au Moyen Âge. Aujourd'hui, il constate que cet ésotérisme politisé représente également un « pont entre les extrémistes de droite, l'ésotérisme et la critique abrégée de la mondialisation. »

Quent veut dire par là que les critiques justifiées - par exemple en ce qui concerne la monopolisation et les chaînes de production mondiale mettant les États en concurrence et les rendant susceptibles de chantage ou sur les effets secondaires des vaccins et des médicaments - deviennent partie intégrante d'un « plan sinistre » dans la vision des conspirationnistes. « Les idéologues conspirationnistes croient donc dans des structures globales de contrôle extrêmement cohérentes d'un petit groupe de personnes économiquement influentes ». Actuellement c’est surtout Bill Gates. Avant le Coronavirus, c'était Georg Soros. De là, on n'est pas loin de l'antisémitisme et de l'idée d'une conspiration juive mondiale puisqu’on sait que l’extrémisme de droite et l’antisémitisme sont souvent logés à la même enseigne.

Des policiers ont été attaqués lors de certaines manifestations. Il y a même eu des accrochages et des attaques contre des journalistes. Pour ce qui est du degré d'agressivité de ces manifestants, Quent estime que le spectre est plutôt diffus. Chez une partie des manifestants, il dénote un « fort potentiel de violence », au point que des attaques sont même discutées sur le net. D'autres mettent l'accent sur la non-violence et font référence à Gandhi.

À la question de savoir si ce type de protestations pourrait prendre encore plus d'ampleur, le sociologue estime que le nombre de participants a été plutôt faible jusqu'à présent, quand on les compare par exemple avec les protestations contre les lois sur les tâches de la police ou pour la politique de logement social. Pourtant, les manifestations anti-confinement avaient reçu beaucoup moins d'attention du public parce qu’elles ont bénéficié d’une plus grande couverture médiatique. Le fait que ces manifestations aient attiré si peu de gens dans les rues tient de ce que, selon lui, l'écrasante majorité de la population est satisfaite de cette politique et les partis de l'Union (3) sont mieux placés dans les sondages qu'ils ne l'ont été depuis des années. Il juge frappant de constater que les groupes d'intérêt qui ont été réellement touchés par la crise de Corona ne se joignent pas à ces protestations. Par exemple, les associations de femmes (les femmes étant menacées de retraditionnalisation), le personnel soignant, les indépendants ou les syndicats. « Les protestations pourraient s'intensifier à la suite de bouleversements économiques ou d'une deuxième vague, suppute-t-il.On parle de la plus grande crise économique depuis 1929. Nous savons ce qui s'est passé à l'époque. Il y a une menace de montée de l’extrême droite.Mais nous verrons probablement aussi de nouveaux mouvements de gauche ».

Huguette Hérard

N.d.l.r.
1) Interview accordée à Timo Lehmann, „Der spiegel“, 16 mai 2020.
2) Matthias Quent, né en 1986, est un sociologue politique spécialisé dans la recherche sur la radicalisation, l'extrémisme de droite et la démocratie. Depuis 2016, il est directeur de l’Institut für Demokratie und Zivilgesellschaft (l'Institut pour la démocratie et la société civile) à Iéna. Son livre « Deutschland rechts außen » (traduction libre : « L'Allemagne se positionne à l’aide droite du terrain ») est un best-seller de « Spiegel », reconnu par la Fondation Friedrich Ebert comme « le livre politique 2020 ».
(3) « Union » est une coalition de la CDU (chrétien-démocrate) et de la CSU (sociaux-chrétiens)

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