Ce que la Covid-19 fait avec notre corps !

Philip Bethge (53 ans) est biologiste et journaliste scientifique et de l’environnement. Après avoir consulté les travaux effectués par certains médecins et biologistes, il nous décrit de manière imagée « l’anatomie » de ce « tueur » silencieux qu’est le nouveau coronavirus et ce qu’il fait de notre corps, surtout quand celui-ci est déjà affaibli.

Le Sars-CoV-2 a un « pouvoir destructeur à peine croyable » sur l’organisme, estime Philip Bethge (1). L'épicentre de l'infection est presque toujours les poumons, mais qu’entre-temps les médecins ont maintenant découvert que le virus peut également affecter d'autres organes et tissus, notamment le cœur, le cerveau, les reins et les intestins. Dans le pire des cas, il arrive aussi que le corps s'attaque à lui-même, quand par exemple le système immunitaire devient incontrôlable, phénomène que les médecins désignent sous le vocable de « tempête de cytokines ». Lorsque le malade meurt, c'est souvent à cause d'une défaillance de plusieurs organes.

Si on veut mieux connaître le nouveau coronavirus, Bethge croit qu’il faut commencer par le microcosme. « Les virus Corona ne font que 160 nanomètres, explique-t-il. Pour se multiplier, ces minuscules créatures ont besoin de la machinerie cellulaire d'un autre organisme. »

Selon les scientifiques, le nouvel agent pathogène provient probablement des virus de chauve-souris. Déjà chez ces animaux, il pense que le virus a probablement développé le mécanisme par lequel il s'arrime aux cellules humaines. « Certains virus de chauve-souris sont capables de se lier à un récepteur appelé ACE2, a-t-il observé. Cette molécule est située à la surface des cellules humaines et aide normalement à réguler la pression sanguine. Mais en même temps, il fonctionne comme une porte vers l'intérieur de la cellule. Les virus qui en ont la clé peuvent entrer dans les cellules par cette voie. »

Les chercheurs estiment qu'environ 3 200 virus Corona différents sont présents chez les chauves-souris. Selon Bethge, « coïncidence, temps et opportunité ont donné naissance à l'agent pathogène qui a finalement réussi à se propager aux humains. »

Pour montrer comment le Sars-CoV-2 pénètre exactement dans le corps humain, Bethge se réfère au travail de Christian Strassburg, professeur de médecine interne à l’Université de Bonn. Ce médecin interniste traite actuellement 10 à 20 patients atteints de Covid-19 à l'hôpital universitaire de Bonn. Au départ, les virologues ont supposé que le nouveau coronavirus se propageait lentement. Ils le croyaient parce que le Sars-CoV-2 est similaire au premier coronavirus du nom de « Syndrome respiratoire aigu sévère » (Sars-Cov) qui est apparu en Chine en 2002. Entre novembre 2002 et juillet 2003, près de 800 personnes sont mortes des suites du Sars (Syndrome respiratoire aigu sévère). Mais la maladie a ensuite disparu à nouveau.

Une bataille se livre dans le corps humain

Bethge constate que bien que l'ancien agent pathogène (Sars-Cov) semble avoir été plus mortel que l’actuel Sars-CoV-2, mais pourtant il n’a affecté que les poumons. Les virus se sont reproduits en profondeur dans l'organisme, ce qui a réduit le risque d'infection. De plus, il était aussi « plus facile d'identifier et d'isoler les personnes malades »; ce qui est loin d’être le cas pour la Covid-19.

C'est ce que les experts espéraient avec le Sars-CoV-2. Mais ils se sont trompés. Le nouveau coronavirus n'attaque pas seulement les poumons. « Des prélèvements de gorge effectués sur des personnes infectées ont révélé aux chercheurs à un stade précoce que l'agent pathogène s'attaque d'abord principalement aux muqueuses des voies respiratoires supérieures. »

Pour le scientifique, ceci présente pour le virus un avantage. « Le chemin de la gorge à la gorge est beaucoup plus court que le chemin du poumon au poumon », fait-il remarquer. Pour Strassburg lui-même, les porteurs du virus sont donc « très contagieux ». Il a découvert de très grandes quantités de virus dans le nasopharynx. Même chez les personnes qui ne présentent pas encore de symptômes. Voici la raison pour laquelle l'agent pathogène a fait le tour du monde si rapidement.

Bethge constate que l'attaque sur le corps se déroule en trois étapes. « Tout d'abord, les virus Corona s'arriment aux récepteurs ACE2 des cellules humaines grâce à des complexes protéiques en forme de lobe, indique-t-il. Ensuite, le matériel génétique de l'agent pathogène pénètre dans la cellule hôte et transforme son appareil cellulaire en une usine à virus. D'innombrables virus filles quittent bientôt la cellule hôte asservie et attaquent les cellules suivantes. »

On nous apprend aussi que la charge virale est énorme, en particulier dans la première semaine suivant l'infection. Les symptômes ne se manifestent presque jamais au début. Dans de nombreux cas, le seul symptôme est une « toux sèche », rapporte pour sa part Strassburg. La température du corps n'augmente pratiquement pas. Le médecin certifie que même chez les patients atteints de maladies plus graves, la température atteint généralement moins de 38 degrés. Alors que pour la grippe, il en va autrement : « La grippe se caractérise par une forte fièvre soudaine avec une sensation de maladie prononcée, constate-t-il, mais ce n'est pas le cas ici ».

Comme il était à prévoir, dans cette première phase de la maladie, tout dépend beaucoup du système de défense de la personne infectée. Les scientifiques remarquent que « les cellules immunitaires attaquent les envahisseurs. Comme l'organisme ne connaît pas encore le virus, les armes des cellules de défense sont relativement émoussées. »

Et le combat commence, âpre. « Une dure bataille commence qui décide du sort de la personne infectée. La défense immunitaire réussit-elle à repousser l'attaque virale déjà dans les voies respiratoires supérieures ? se demandent les soignants. Ou bien l'agent pathogène est-il capable de pénétrer plus loin dans les poumons par la trachée ? Cela dépend si la maladie devient mortelle ou non ».


Pourquoi le virus parvient-il à pénétrer dans les poumons de certains sujets, mais pas dans ceux d’autres personnes ? Les chercheurs n’ont pas encore de réponse à ce sujet. Selon Bethge, « le nombre d'agents pathogènes qui attaquent le corps au début semble avoir une influence. Mais surtout, les personnes ayant des conditions préexistantes doivent craindre le Sars-CoV-2 ».

Parmi les personnes à risque, on compte les patients en surpoids, diabétiques et hypertendus. Et les fumeurs aussi. Strassburg en présente la raison : « Les muqueuses (des fumeurs) et la ventilation de leurs poumons sont déjà endommagées ». Par exemple, les cils (minuscules poils) qui transportent normalement les agents pathogènes et le mucus (sécrétions collantes) des poumons et de la trachée vers le haut, ne fonctionneraient plus correctement. Dans ce cas, il n'y a pratiquement aucun obstacle à l'entrée des virus dans les poumons. « La force de gravité est suffisante pour permettre aux minuscules créatures d'atteindre leur destination !», dit métaphoriquement notre interniste.

Un combat qui laisse des traces

Pour bien montrer ce que le virus fait dans nos poumons, le chroniqueur se réfère au travail du médecin Keith Mortman de l'hôpital universitaire George Washington à Washington, D.C. Celui-ci a dressé la carte des dégâts avec l'aide d'un ordinateur. Les images 3-D haute résolution de la clinique montrent les poumons d'un homme de la fin de la cinquantaine. En de nombreux endroits, on peut voir des dépôts jaunâtres dans l'organe.

Les médecins savent maintenant comment le Sars-CoV-2 endommage le tissu pulmonaire. « Les globules blancs détectent les virus et attirent d'autres cellules immunitaires, précise Bethgen. Les cellules scavenger (récepteurs éboueurs) attaquent les cellules pulmonaires infectées et les tuent. Ce qui reste, ce sont des débris cellulaires qui obstruent les fins vaisseaux sanguins du poumon. Les murs des alvéoles se gonflent. » Si l'organisme ne parvient pas à contrôler la réaction inflammatoire, il en résulte une insuffisance pulmonaire aiguë.

Mais l'infection peut également endommager d'autres organes. Des données en provenance de Chine montrent que le cœur est endommagé chez environ 20 % des patients hospitalisés. On ne sait pas si les virus attaquent directement les cellules du muscle cardiaque ou s'ils endommagent les artères coronaires. En tout cas, on nous fait savoir que « la coagulation du sang est également perturbée et entraîne la formation de caillots de sang qui peuvent s'agglutiner. Les crises cardiaques, les embolies pulmonaires et les accidents vasculaires cérébraux peuvent en être la conséquence. ».

Chez certains patients hospitalisés, les reins sont attaqués. La présence de sang ou de protéines dans les urines est la preuve de l'attaque du virus.

Les médecins observent aussi des encéphalites et des crises d'épilepsie chez les patients infectés. « Les agents pathogènes semblent pénétrer jusqu'au tronc cérébral. C'est là que se trouvent d'importants centres de contrôle, comme le centre respiratoire. Le virus pénètre probablement dans le cerveau par la muqueuse nasale et le nerf olfactif. » Ce qui explique le fait que de nombreux patients perdent leur odorat, au moins temporairement.

Le Sars-CoV-2 peut également affecter le tube digestif, décrit Bethge. Les patients se plaignent alors de diarrhées sanglantes, de nausées et de douleurs abdominales.

Selon notre auteur, les médecins signalent également un lien possible entre Covid-19 et une inflammation vasculaire rare appelée « syndrome de Kawasaki ». Au Royaume-Uni, certains enfants infectés par le Sars-CoV-2 sont morts des suites de cette maladie. Les scientifiques décrivent que les vaisseaux sanguins se gonflent en conséquence. Le cœur peut être endommagé.

Les médecins supposent maintenant que le Sars-CoV-2 attaque les tissus et les organes presque partout dans le corps. La Covid-19 peut aussi apparemment causer des dommages à long terme. Des chercheurs chinois ont examiné le sang de personnes infectées. Ils notent que même après la maladie, certaines valeurs sanguines restent anormales pendant longtemps. Bien que les anciens patients aient été libérés du virus, leur foie, par exemple, n'a pas fonctionné normalement.

En outre, les poumons risquent de subir des dommages permanents après une évolution grave de la maladie. « Si l'inflammation ne disparaît pas rapidement, les poumons peuvent laisser une cicatrice », décrit le médecin américain Mortman. Il semble que certains des survivants de la première épidémie de sars avaient encore une fonction pulmonaire limitée 15 ans après la maladie.

Huguette Hérard

N.d.l.r.
(1) Der Spiegel, 9 mai 2020.
 

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