« La pandémie ne peut être stoppée que par un effort mondial ! »

Comme beaucoup d’autres de ses confrères, l’épidémiologiste américain Larry Brilliant avait mis en garde le monde contre une pandémie qui causerait des dommages considérables. Dans une récente interview (1), il annonce que le monde devra se préparer à d’autres catastrophes et estime que la maîtrise de la Covid-19 sollicite la collaboration de tous les peuples et nations de la terre.

« Aidez-moi à empêcher les pandémies ! », n’arrêtait-il pas de lancer. En 2006, l'épidémiologiste Larry Brilliant avait prévu qu'un virus en provenance d'Asie attaquant les voies respiratoires pourrait déclencher une catastrophe mondiale. Ceci coûterait 3 billions de dollars à l’économie américaine, beaucoup mourraient et de plus en plus de citoyens perdraient leurs emplois et leurs assurances-maladie. Et de fait ! En décembre 2019, la Chine a alerté l’OMS des cas mystérieux de pneumonie. Entre-temps, 2 millions de personnes sont infectées de par le monde.

Aujourd’hui, le chercheur explique par quel cheminement intellectuel, il était parvenu à cette grave prédiction réaliste. « Les épidémiologistes divisent le monde en "zones chaudes", des foyers de feu, explique Brilliant. Historiquement, de nombreuses maladies fécales-orales provenaient de la région du delta du Gange, notamment du Bangladesh et de l'Inde. La "zone chaude" pour les agents pathogènes transmis par les fluides corporels se trouve en Afrique, avec des maladies telles que le virus Ebola, la fièvre de Lassa et le sida. »Les maladies respiratoires ont, elles, des lieux d'origine différents. « La grippe espagnole vient probablement du Midwest des États-Unis, certains disent : du Minnesota. En revanche, la plupart des grippes saisonnières proviennent de Chine, du Laos, du Cambodge et de l'Indonésie. La Chine a eu la malchance d'avoir eu le pathogène Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002, le premier coronavirus devenu une épidémie. »

Il affirme qu’il n’était d’ailleurs pas le seul à avoir prédit l’éventualité d’une pandémie : les scientifiques en Allemagne, en Angleterre, en France et aux États-Unis avaient eux aussi tiré la sonnette d’alarme. Mais en vain : les classes politiques n’ont pas écouté beaucoup les épidémiologistes.

À l'époque déjà, Larry Brilliant estimait que le monde n’était pas assez bien préparé à une pandémie : trop peu de lits de soins intensifs, trop peu d’appareils respiratoires et trop peu de personnel.

Il y a aussi la lenteur des politiques. Et la méfiance de certains régimes soupçonneux et prudents. « Nous avions découvert le Sras bien trop tard, et la Chine essayait activement de supprimer des informations. » Il confie que sans les Canadiens, ses pairs n’auraient guère assisté à la propagation rapide du virus. « Le Canada abrite le Réseau mondial d'information en santé publique (RMISP) dont les ordinateurs passent constamment au peigne fin l'Internet afin d’y trouver des rapports sur des maladies inhabituelles. » Le RMISP a été créé à la fin des années 90. L’épidémiologiste raconte qu’en 2006, il a encore fallu environ six mois avant que les scientifiques découvrent des virus qui se propagent des animaux aux humains et qui sont susceptibles de provoquer une pandémie.

La situation se serait améliorée entre-temps. « Le mandat de l'Organisation mondiale de la santé s'est élargi, dit-il. Pendant longtemps, seuls les ministères de la Santé des États membres de l'OMS avaient le droit d'alerter l'OMS sur les maladies ». La situation a changé en 2006 et 2007 lorsque de nouveaux systèmes numériques de surveillance des épidémies ont été mis en place et que sept centres régionaux d'alerte rapide pour les agents pathogènes inconnus ont été créés dans le monde entier, notamment en Afrique et en Asie. « À l'heure actuelle, se félicite-t-il, le délai entre la première infection et la découverte d'un nouveau virus a été ramené à environ deux semaines. » Un progrès encourageant.

Interrogé à propos des maladies, il explique que leur signalisation dépend de la volonté politique d'un gouvernement. Il en est de même que la décision de les rendre publiques. Brilliant constate que la vitesse globale à laquelle les scientifiques détectent les nouvelles maladies a « augmenté de manière significative ». Il en est différent des politiques. Par exemple, Pékin aurait été très lent à libérer le génome du Sras-CoV-2. Le gouvernement chinois aurait maintenant interdit aux chercheurs de leur propre pays de publier des résultats sur l'origine de la pandémie. « Cette forme de censure est plutôt rare. Je ne suis pas un théoricien du complot, mais il est très suspect d'interdire aux scientifiques de publier une étude épidémiologique. »

L’Américain attend que la Chine aide la science à trouver le patient zéro ou cas index. C’est, d’après lui, la partie la plus importante de la recherche sur une épidémie, celle consistant à découvrir d’où est venu le premier cas infecté par l’agent pathogène. Histoire d’en connaître la voie de transmission. En tant que membre de l'OMS, le chercheur estime que la Chine devrait permettre à tout le monde de faire ces recherches.

« L’incompétence de Trump »
Concernant les États-Unis, Brilliant pense qu’ils sont si durement touchés « à cause de l’incompétence » de l’administration Trump. Au début de la pandémie, le gouvernement américain a, reproche-t-il, perdu six semaines de temps précieux parce qu'il n'a pas fourni suffisamment de tests. Comme on n’a pas détecté les nombreux cas de Corona, les médecins n'ont pas pu traiter leurs patients correctement. Les personnes en contact avec les personnes infectées n'ont pas été retrouvées pour enrayer la propagation. « Plus on intervient tard dans une pandémie, plus c'est grave. »

Brilliant estime que les prédécesseurs de Donald Trump ont mieux réagi pour prévenir les épidémies. Il prend l’exemple de George W. Bush qui, à son avis, a fait un excellent travail de préparation à une telle catastrophe en faisant élaborer des plans de pandémie. Il aurait également mis en place un comité chargé de conseiller le président sur les questions d'armes biologiques et de biosécurité, qu’il (Brilliant) a présidé pendant un certain temps. Barack Obama a pour sa part créé le poste de commissaire national à l'Ebola et a donné plus de ressources à l'Agence de contrôle des épidémies. « Trump, en revanche, n'était pas intéressé par tout cela, déplore-t-il. Il n'a rien lu de ce que ses prédécesseurs lui avaient laissé. Il a réduit de nombreux instruments et mécanismes qui étaient censés nous protéger contre une pandémie. »

Trouver un meilleur équilibre entre le contrôle du virus et l’ouverture de l’économie est, selon Brilliant, « un choix trompeur ». D’après lui, on devrait choisir non pas entre confinement et croissance, mais entre un arrêt économique et des essais complets. « Nous avons besoin de tests fiables et gratuits, pour tous ceux qui en ont besoin ». C’est à ce moment que chaque pays pourrait lâcher du lest. Pas avant.

Brilliant annonce que le monde va assister à un pic, mais la diminution du nombre de cas n'aura pas la même amplitude que l'augmentation. Il y aura, selon lui, probablement d'autres vagues. Ce à quoi ils ressemblent, à quelle hauteur ils sont, cela dépendra de nous.

Pour lui, il n'était pas difficile d'imaginer que la prochaine pandémie allait arriver. « Nous défrichons les forêts tropicales, les hommes et les animaux vivent de plus en plus près les uns des autres, nous mangeons des animaux sauvages. » Il prévoit qu’au cours des deux prochaines décennies, 30 à 50 nouveaux virus seront transférés des animaux aux humains. « Mais ce que je n'ai jamais pu imaginer, c'est une nouvelle ère de nationalisme, le rejet de toutes les normes que nous avons établies après la Seconde Guerre mondiale. J'ai toujours pensé que les Nations unies resteraient importantes et que mon propre pays, les États-Unis, serait le chef de file mondial dans la lutte contre cette organisation. » Rien de tout cela.

Quant au nombre de temps qu’il faudra pour maîtriser le virus, Brilliant souhaite en premier lieu que les gouvernements du monde entier élaborent un plan triennal. « Nous avons besoin d'un vaccin, certes, mais un programme de vaccination est tout aussi important, et cela nécessite un consensus mondial.» Il pense que nous ne devrions pas nous leurrer, car on ne va pas se débarrasser aussi vite du coronavirus. « Ce virus est implacable. Elle continuera jusqu'à ce qu'elle ait infecté tout le monde ou jusqu'à ce que nous soyons tous immunisés contre elle. » De plus, nous ne pouvons arrêter cette pandémie que « si les chrétiens, les musulmans, les juifs et les bouddhistes travaillent ensemble, des gens de toutes les couleurs, de toutes les langues et de toutes les origines ». Il est persuadé que c’est seulement « par un effort mondial », « par la coopération » que le monde parviendra à résoudre les problèmes causés par cette pandémie. Or, pour le moment, ce n’est guère ce qui se dessine à l’horizon : au contraire on observe un repli nationaliste très fort, de partout.

Huguette Hérard

N.D.L.R.
1) Interview accordée à Christoph Scheuermann, paru le 5 mai 2020 dans « Spiegel ».
2) Larry Brilliant (75 ans) a passé la moitié de sa vie à s’occuper d’épidémies. Dans les années 1970, il a combattu la variole en tant que médecin pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Plus tard, il a accepté un poste de professeur en santé mondiale à l'université du Michigan (États-Unis). Aujourd’hui, il dirige aujourd'hui « Pandefense », une entreprise qui développe des stratégies pour les entreprises en cas de pandémie.
 

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