« Le Covid-19, un risque parmi d’autres ? »

Certains scientifiques estiment que les mesures de confinement et de distance sociale adoptées en Occident ne constituent pas forcément le meilleur moyen de limiter la propagation du nouveau Coronavirus, le Covid-19 ou Sras-CoV-2. Certains, comme le docteur Santiago Ewig (60 ans), professeur allemand de pneumologie, estiment la stratégie du gouvernement de son pays est « excessive ». Selon ce médecin, il faudrait apprendre à vivre avec le virus, comme on le fait déjà avec les morts dus aux accidents de la route.

Après des semaines de confinement en Allemagne, un débat a éclaté sur le sens, les coûts et les risques du lockdown. « Les politiques ont dépassé les bornes ! », estime Santio Ewig. Pourtant, comparées à la politique sanitaire de l’Italie, de la France et de la Belgique, les mesures d’endiguement prises en Allemagne sont parmi les moins contraignantes. Mais le pneumologue les considère avec scepticisme. « Les soins médicaux de base ont pour principe, dit-il, de permettre la meilleure protection de la santé possible pour le plus grand nombre de personnes avec le moins d'effort possible. » Il ne fait aucun doute pour lui que la réponse politique à la pandémie ne répond pas à cette équation.

Selon ce médecin, ces mesures sont justifiées si les objectifs peuvent être atteints et si l'effort est proportionnel au résultat. Le but, c’est d’arriver à réduire le nombre de gens infectés et maintenir le nombre de décès au plus bas niveau possible. Ces objectifs ont été « clairement atteints dans un premier temps ». Pour Ewig, l'un des résultats escomptés était de stabiliser l'épidémie à un niveau gérable. Cependant, dès le départ, on n’était pas vraiment clair sur la façon de gérer cette stabilisation. « Nous avons besoin de toute urgence d'une réponse à cette question maintenant ! »

Les données concernant le taux d'infection au sein de la population allemande sont peu claires. « À l'heure actuelle, malgré une intervention considérable - l'abolition partielle des droits fondamentaux, la perturbation des communications quotidiennes, l'arrêt partiel de l'économie - nous supportons un taux de base de nouvelles infections, de maladies et de décès. » Pour le scientifique, au vu de ce résultat, le coût était « probablement trop élevé ». Il pense que même avec des mesures beaucoup moins radicales, les objectifs actuels auraient été atteints.

Il déplore les coûts économiques « époustouflants », qui doivent être financés par la dette. « Je n'ai pas besoin d'être économiste pour reconnaître que le niveau de la dette atteint un tel niveau qu’un certain nombre de questions de justice se posent : en raison de la perte de richesse et des désavantages que doivent supporter les citoyens qui ne tombent pas malades avec Covid-19 et surtout en ce qui concerne la génération à venir. »

En ce qui concerne les discussions sur les mesures de déconfinement, Ewig pense que l'interdiction des grands événements doit être encore maintenue. Il en va de même pour les manifestations culturelles, où les gens se rapprochent trop. Le relâchement des mesures est possible partout où le nombre de personnes est gérable. Par exemple les réunions de famille, les rencontres entre amis, les petits événements où les règles de distance peuvent être respectées, comme cela s'est déjà produit lors de services religieux.

Ewig ne va pas jusqu’à dire comme Klaus Püschel, médecin légiste de Hambourg, que le danger posé par le virus avait été « surestimé ». « Nous avons vu, affirme-t-il, que le Covid-19 peut être plus agressif et traître que la grippe. » En hiver 2017/18, environ 25 000 personnes sont mortes de la grippe en Allemagne. Ce nombre est beaucoup plus élevé que celui des décès dus au Coronavirus, et ce, même si l'on inclut un nombre estimé de cas non signalés.

L’exemple de la grippe saisonnière
Pour Ewig, l'État ne peut pas empêcher un taux de reproduction de base de l’infection, de nouveaux cas de maladies et de décès. Du moins pas à l'heure actuelle. Il prend l’exemple de la grippe. « Jusqu'à présent, l'État a tacitement accepté que des milliers de personnes meurent chaque année de la grippe. Principalement les personnes âgées et les malades, mais aussi les jeunes et les personnes en bonne santé. » Le pneumologue reconnaît que l’État voulait, dès le début du déclenchement du Covid-19, empêcher un afflux massif de malades et une hécatombe, mais « il ne peut avoir pour objectif d'éradiquer l'épidémie ».

Il pense toutefois qu’à l’heure actuelle « beaucoup d'éléments indiquent que les politiques savent qu'ils ne peuvent pas ordonner des mesures plus strictes, ni les prescrire une deuxième fois ». Mais il constate que l’État continue « à grands frais » d’essayer de réduire le niveau de la propagation du virus, des maladies et des décès de manière à ce qu'une résurgence de l'épidémie devienne improbable.

Mais Ewig nous invite plutôt à « prendre conscience que le Covid-19 est un risque qui doit être considéré et géré comme les autres risques. » Il s'agit, selon lui, de trouver un « équilibre approprié entre l'effort et le résultat de la lutte contre l'infection ». Une autre manière de dire « quel taux de reproduction de base de l’infection sommes-nous prêts à accepter ? Quel prix sommes-nous prêts à payer ? ». Il rappelle que dans la circulation routière par exemple, « nous acceptons un pourcentage de gens blessés et de décès, tout en essayant constamment de réduire leur nombre. » On devrait, selon lui, faire pareil avec le Sras-CoV-2.

Quant aux exigences des citoyens en matière de sécurité sanitaire, il ne pense pas qu’elles soient particulièrement élevées. « Comme le montre l'exemple de la grippe, fait-il remarquer, les gens sont même parfois assez négligents quant à la menace que représentent les infections pour leur santé ». Pour lui, l'État n'a pas un contrôle total sur l'épidémie. « La nature radicale des mesures imposées seules a fait évoluer les attentes vers une maîtrise de l'épidémie par l'État et vers ’’un retour à la santé’’. Un prix élevé entraîne de grandes attentes !»

Le danger, pour Ewig, ce ne sont pas seulement les coûts économiques élevés, mais aussi la peur d’unepolitique de surveillance des citoyens similaire à celle de la Chine où il existe même un système de crédit social pour « bonne conduite ». Même si les gens ont accepté volontairement de renoncer à leurs libertés, le temps de l’épidémie, le pneumologue craint que la vie de tout un chacun ne soit dorénavant en permanence numériquement surveillée au nom de la santé. « La prochaine vague de grippe pourrait déjà justifier une nouvelle suspension des droits fondamentaux et la mise en œuvre d'une politique de surveillance qui pourrait fondamentalement menacer l'individu et sa liberté. Les masques sur les visages publics sont déjà de tristes présages de cette situation. » Pour l’instant, le danger n’est pas réel, mais dans le cas où l’extrême-droite néo-nazie arrivera au pouvoir, la peur n’en serait plus que justifiée.

Huguette Hérard

N.d.l.r.
1) Santiago Ewig, 60, est rédacteur en chef de la revue « Pneumologie » et médecin-chef au Centre du Thorax (« Thoraxzentrum Ruhrgebiet »), à Bochum (Allemagne).
2) Interview accordée à Alfred Weinzierl, « Spiegel » du 6 mai 2020.

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