Le virus du nationalisme

Lorsque le coronavirus a fait son apparition, les États se sont automatiquement recroquevillés sur eux-mêmes alors qu’une coopération internationale aurait été plus efficace pour lutter contre la pandémie. L’Union européenne paie maintenant le prix de cette politique de repli sur soi. Dans une interview, l’ancien président du Conseil européen, Donald Tusk (62 ans), indique ce que l’UE doit faire pour polir son image aux yeux des pays membres.

On se rappelle comment l’Union européenne avait géré la crise des migrants. Très mal. On a payé des pays tiers pour garder les réfugiés dans leur pays. Le geste humanitaire de la chancelière Angela Merkel d’accueillir un million de réfugiés en 2015, a été vertement critiqué non seulement au sein de l’Union européenne, mais aussi à l’intérieur de sa propre formation politique, l’Union des démocrates chrétiens (CDU). Et pour couronner le tout, cet acte de générosité a contribué à la montée de l’extrême droite en Allemagne. « Il s’agissait d’émotions, de peurs et d’incertitude », se souvient Donald Tusk dans un entretien accordé à l’hebdomadaire allemand « Der Spiegel ».

Mais l’ancien président du Conseil européen pense que maintenant c’est encore pire avec la crise du coronavirus, car les citoyens de l’Italie et de l’Espagne « profondément déçus de l’UE » veulent même s’en séparer. « Dans les capitales, les politiciens renforcent l’impression que Bruxelles a réagi trop tard et avec trop d’hésitation par rapport au coronavirus ! », déclare-t-il. Il reconnaît toutefois que ce qui s’est passé dans le sud de l’Europe (Italie, Espagne) était une « catastrophe ». Le fait que la Russie et la Chine aient été plus présentes auprès des populations souffrantes que l’UE a conduit à une « perte d’image » de l’Europe. Que ce soit en Italie, au Portugal, mais aussi chez les voisins directs et dans les Balkans occidentaux (Kosovo, Albanie, Bosnie, etc.)

À propos des discussions houleuses autour des « Corona bonds », Tusk pense qu’il faut des
« mesures exceptionnelles » et non des disputes à propos d’éventuels fautifs.

Concernant l’idée d’une dette commune, il pense que « celui qui a plus doit donner plus ». C’est ça, pour lui, la vraie solidarité. « L’Allemagne est financièrement forte et peut protéger son industrie et ses entreprises, fait-il remarquer. Les autres pays de l’UE n’ont pas cette possibilité. L’avantage de l’Allemagne en matière de concurrence sur les pays de l’UE sera encore plus grand qu’avant après la crise. » Il affirme que beaucoup d’Européens considèrent que cette situation est injuste et qu’elle est aussi la conséquence d’un manque de solidarité.

Certains secteurs de l’opinion publique européenne pensent que les États veulent déterminer le taux de restriction des droits et des libertés une société peut supporter. Interrogé à ce propos, Tusk estime que si un État pense exploiter la crise sanitaire actuelle pour acquérir plus de pouvoir sur ses citoyens ou des avantages pour son économie, « ce serait la fin de l'UE ».
Plusieurs États dont la Hongrie ou la Pologne utilisent la lutte contre la pandémie comme prétexte pour violer les droits fondamentaux. « Liberté ou sécurité, je suis sûr que cette alternative diabolique est mauvaise, affirme Donald Tusk. Il est possible de répondre efficacement à la pandémie tout en préservant la démocratie ».

Choisir entre liberté et sécurité

Ce sont des pointes lancées à l’adresse de l’autocrate hongrois Viktor Orbán. Le Parlement a approuvé une loi l’habilitant à gouverner par décret. « Orbán a régné en Hongrie depuis la crise des réfugiés avec des mesures d'urgence. Il avait utilisé la peur de la migration et maintenant le virus, pour étendre son pouvoir. » Si certaines de ses mesures sont justifiées politiquement et certaines actions irréprochables d'un point de vue juridique, elles n’ont rien à voir avec l'esprit démocratique. Pour Tusk, on n’a pas à choisir entre la liberté et la sécurité. Les gouvernements peuvent pouvoir garantir les deux à leurs citoyens.

La Pologne n’est pas mieux que la Hongrie en matière de pratiques autoritaristes. Selon Donald Tusk, la situation en Pologne est différente. « D'une part, nous avons (en Pologne) une opposition solide et des organisations non gouvernementales assez fortes. Même si les médias d'État sont contrôlés par M. Jaroslaw Kaczyński et son parti PiS, il existe cependant des médias privés et libres. D'autre part, nous avons des politiciens qui sont déterminés à s'emparer de tout le pouvoir. » Tusk pense même que Jarosław Kaczyński est plus dangereux que Viktor Orbán. « Orbán peut être cynique, mais il est aussi pragmatique. Kaczyński par contre a un désir pathologique d’obtenir le plus de pouvoir que possible. »

Malgré la crise sanitaire globale, le 10 mai prochain, des présidentielles doivent avoir lieu en Pologne afin de donner un avantage au président sortant et candidat du PiS, Andrzej Duda. Le pays tout entier doit maintenant voter par correspondance. Décision jugée « inacceptable » par Tusk qui doute de l’efficacité démocratique d’une telle élection « Notre constitution interdit de modifier la loi électorale moins de six mois avant l'élection. C'est exactement ce qui se passe. En outre, il ne sera pas possible, d'un point de vue logistique, de laisser 30 millions de Polonais voter par lettre. Les normes démocratiques ne peuvent pas ainsi être respectées ! »

L’Allemagne fait pression en vue de l’imposition de la règle suivante : « pour obtenir des sous, il faut adhérer à l’État de droit ». Tusk pense que compte tenu de la situation dans laquelle se trouve l'UE, on est « émotionnellement incapable de penser à des sanctions ». « L'Europe a maintenant besoin d'un effort considérable pour assurer la survie de nos économies et de l'UE elle-même, dit-il. Le futur budget pluriannuel doit se concentrer sur la reconstruction après la crise de Corona. » Il estime que ce ne sont pas les citoyens européens qui sont à blâmer pour les activités antidémocratiques de leurs gouvernements. De ce fait, ils ne devraient être punis.

Concernant la critique souvent faite aux pays de l’Est, même 16 ans après l’élargissement de l’UE, de n’avoir rejoint la communauté européenne que pour des raisons financières, l’ancien président du Conseil européen Tusk s’y insurge. Il pointe du doigt les évolutions encourageantes observées dans les pays de l'Est, par exemple en Slovaquie, récemment en Roumanie et même dans les pays baltes. « Et nous avons un fort mouvement pro-européen en Pologne. Alors que d'autre part, nous constatons que des partis radicaux font partie du gouvernement espagnol. Et en Italie, la situation est instable. » L'essentiel, pour lui, c’est de savoir quelle sera la situation après la pandémie dans le sud de l'Europe. Il est important de « réparer la réputation de l'Europe dans ces pays. »

S’agit-il d’une compétition entre les démocraties, les régimes dictatoriaux (Chine) ou les pays gouvernés par des régimes autoritaires (Russie ou le Brésil) ? Tusk dit que « L'Europe aura en fin de compte probablement été l'un des pays les plus touchés par la pandémie dans le monde. Cela doit nous inciter à travailler ensemble pour trouver des vaccins et doter les pays européens d’un meilleur système de santé ». Il croit que « plus d'Europe et moins de nationalisme » est la solution. « On a besoin de solutions européennes, estime-t-il. Si nous nous permettons de nous éloigner davantage les uns des autres pendant cette crise, nous ne survivrons pas politiquement. La crise migratoire a été le premier coup de semonce, la pandémie est le second. Ce pourrait être le dernier coup de semonce pour l'Europe. »

Huguette Hérard

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