Pourquoi le coronavirus terrorise-t-il autant ?

Sida, Ebola, la grippe porcine. Les virus des animaux arrivent toujours à être transmis à l'homme. Mais aucun d'eux n'a autant fait peur que le coronavirus. Pourquoi ?

La grippe asiatique (1957-1958) a fait un million de morts de par le monde. Le sida, 32 millions de décès sur 74,9 millions d'infectés, à compter à partir de 1980. La plus meurtrière de ces maladies infectieuses est la grippe espagnole avec ses 50 millions de morts en Europe entre 1918-1920. On passe ici sous silence les épidémies circonscrites à un pays ou plusieurs. En tout cas, de 1940 à maintenant, on a enregistré 350 maladies infectieuses, d'après les statistiques d’ « Emerging infectious disease repository » (1).

Les spécialistes estiment à 700 000 le nombre total des virus des mammifères et des volailles. Mais seulement 260 arrivent à faire le saut vers l'humain ; cette statistique ne tient pas compte des parasites, des champignons et des bactéries.

Il y a neuf ans, pour le compte de l’Institut allemand Robert Koch (2), 86 experts avaient pour tâche de découvrir le prochain virus animal qui allait accabler les humains. À l’époque ils avaient élaboré une liste 127 agents pathogènes dont on devait se méfier. Ces chercheurs en avaient désigné 26 qui, à leur avis, étaient particulièrement dangereux, tels que les virus aviaires ainsi que les salmonelles en plus des agents pathogènes du Sida, l'hépatite B, la rougeole et la tuberculose. Des microbes moins connus se trouvaient sur la liste, tels que les hanta-virus (3) et le « virus respiratoire syncytial » qui infecte les voies respiratoires des bébés et des petits enfants. Le Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) que le monde a découvert il y a 9 ans, ne figurait pas sur la liste. Selon Jürgen May de « l'Institut Bernhard Nocht pour la médecine tropicale », sis à Hambourg, ces experts ont fait une « Fehleinschätzung », une erreur d’évaluation.

Entre-temps, tout le monde sait de quoi ces virus Sras sont capables. Le dernier, le Sras-CoV-2, a mis le monde entier par terre. Proche parent du virus Sras apparu en 2002 en Chine, le coronavirus actuel a fait non seulement plus de 100 000 victimes (jusqu’à aujourd’hui 23 avril 2020) mais encore détruit des millions d'emplois et du capital évalué à des billions. Aucune des pandémies du XXIe siècle – le Sras de 2002-2003 (18 036 morts) ou encore la grippe porcine de 2009-2010 (18 036 décès) - n’a suscité de pareilles réactions au niveau global, que ce soit du point de vue épidémiologique qu’au niveau des débats « viraux » que le nouvel agent pathogène a suscités. « Un virus minuscule qui a fait autant de dégâts que les terroristes du 11 septembre et la catastrophe de Fukushima au Japon », commente fort à propos Johann Grolle, journaliste scientifique du « Spiegel ».

« Trop rapide pour nous »

Comparé à d'autres agents pathogènes comme la tuberculose ou le malaria, le Sras-Cov-2 n'est pourtant pas particulièrement virulent, soutiennent pas mal d’experts. Déjà, le Covid-19 épargne les enfants. Et chez l'adulte, son évolution dans le corps des infectés est dans la plupart des cas plutôt indulgente, contrairement à la rage ou l'Ebola. Malgré ses manifestations modérées, ce virus a mis à mal le monde entier.

Les scientifiques le comparent dans sa manifestation clinique au virus de Influenza. Comme cette grippe, il se manifeste sur la forme d'un rhume pouvant évoluer vers une grave pneumonie. « Il est si clément qu'on peut facilement le sous-estimer mais assez virulent pour mettre par terre tous les systèmes de santé, écrit avec justesse Grolle. Le virus combine diverses propriétés permettant de maximiser ses dégâts ! ».

Pour le vétérinaire Martin Beer de l’Institut fédéral de recherche pour la santé animale allemand Friedrich-Loeffler (4), l’effet de ce virus repose sur un « mélange fatal de transmissibilité et de virulence ». En d’autres termes, le Sras-Cov-2 est « dans son essence plus infectieux que la grippe aviaire et considérablement plus agressif que la grippe porcine », renchérit Grolle. Selon ce dernier, c’est « exactement la combinaison idéale pour renverser une société moderne ».

L’effet, fait-il encore remarquer, est renforcé par le fait que le coronavirus, à la différence des autres souches grippales habituelles, ne trouve pas dans le corps des personnes infectées les anticorps correspondants. Le système immunitaire de l’humain n’a jamais été auparavant au contact avec le Sras-CoV-2. « L’agent pathogène, explique Beer, a rencontré une population complètement naïve d’un point de vue immunitaire ». D’où son autorité et sa puissance de frappe hors pair.

Ce qui rend les choses plus compliquées encore, c’est la transmission précoce du virus, expliquent les scientifiques. Le Sras-CoV-2 a 2 ou 3 jours avant que les premiers symptômes n’apparaissent et déjà prêts à infecter. Ceci lui permet de dépasser partout où il passe les gardiens de la santé.

« La lutte classique contre les épidémies est de surveiller et de contenir les agents pathogènes », rappelle Alfons Labisch l’historien de la médecine de Düsseldorf (Allemagne). Ceci implique d’identifier le plus tôt que possible les personnes infectées et de mettre en quarantaine toutes celles avec lesquelles elles ont été en contact. Mais cette stratégie a échoué dans le cas du Sras-CoV-2 parce que le virus s’était largement propagé avant que les responsables de la santé n’aient tenté de l’arrêter. « Nous avons sous-estimé le virus ! », dit Labisch. « Il était trop rapide pour nous ! ».

Encore un autre problème avec le Sars-Cov-2. Il est difficile pour les autorités de réagir de manière appropriée parce que les chercheurs ont du mal à découvrir le véritable pouvoir destructeur du virus. Le facteur décisif n’est pas le nombre de décès du Covid 19 car comparé à la malaria, au sida, à la tuberculose ou à tout autres vagues graves de grippes, le nombre de décès est plutôt modéré.

Jeu à cache-cache

Déjà avec les symptômes, l’incertitude est aussi de mise. On avait toujours décrit la fièvre et la toux sèche comme typiques du Covid-19. Mais les chercheurs ont ensuite découvert qu’il existe d’autres symptômes additionnels, ce qui ne peut que ralentir et compliquer la lutte contre ce virus retors. De plus, initialement, beaucoup de médecins croyaient aussi que les deux symptômes (toux et fièvre) se retrouvaient chez environ 75 % des personnes touchées. Après, on a appris qu’ils seraient « moins fréquents que prévu ». Selon le président de l’Institut allemand Robert-Koch, Lothar Wieler, seulement 40 à 50 % des personnes infectées en Allemagne ont une toux sèche ou de la fièvre.

Des médecins urgentistes suisses affirmaient le mois dernier que les symptômes de la maladie de Covid-19 étaient « non spécifiques ». De son côté, le magazine spécialisé suisse « Swiss Medical Weekly » (5) rapportait que le tableau clinique est très variable, surtout chez les personnes âgées. Elles présentent des symptômes qui ne correspondent pas directement avec la maladie, tout comme elles peuvent montrer des signes typiques du Coronavirus sans l’avoir réellement. La revue évoque le cas d'un patient de 83 ans qui montre également que « les symptômes de la maladie, jusqu'alors inconnus, sont de plus en plus fréquents. ».

Le coronavirus semble vouloir jouer à cache-cache avec nous. D’où la peur qu’il provoque. Le 31 mars dernier, un médecin urgentiste de New York, le Dr Cameron Kyle-Sidell, a publié sur YouTube une vidéo dans laquelle il témoignait, presqu’au bord des larmes, de son étonnement au vu des symptômes qu’il constatait chez les malades du Covid-19 qu’il soignait. Il pense qu’on est en train de traiter « la mauvaise maladie », le Covid-19 ne serait pas, selon lui, une pneumonie et « elle ne devrait pas être traitée comme telle ». Il a parlé de « défaillance en oxygène ». De son côté, une équipe chinoise a émis l’hypothèse que « le coronavirus pourrait ralentir l’absorption de l’oxygène par l’hémoglobine ». La liste des hypothèses s’allonge inexorablement et le coronavirus n’a pas fini de nous désarçonner et de nous faire valser.

Huguette Hérard
N.d.l.r. :

(1) EIDR est une revue scientifique mensuelle publiée par l'agence fédérale américaine Centers for Disease Control and Prevention créé en 1995 et qui publie des articles sur tous les domaines des maladies infectieuses émergentes.

(2) L’Institut Robert Roch (Robert-Koch-Institut) est une instance du gouvernement allemand intervenant dans le domaine de la protection de la santé et de la prévention.

(3) Le genre « Hantavirus décrit des virus appartenant à la famille des Bunyaviridae, parmi lesquels le virus Hantaan semble le plus dangereux (Wikimedia).

(4) « Das Friedrich-Loeffler-Institut“ est l’Institut fédéral de recherche de la santé animale créé en 1910 par l’hygiéniste et bactériologiste allemand Friedrich Loeffler (1852-1915).

(5) Swiss Medical Weekly est une revue médicale existant depuis 1871 dont les articles sont soumis à un processus d'évaluation par les pairs.

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