Covid-19 et croyances en Haïti

Entretien avec le psychologue Alcide Célestin autour des croyances dans la société haïtienne et son mécanisme dans la construction de l'être haïtien et son rôle dans le mécanisme de défense face au la pandémie du nouveau coronavirus

Le National : Vivre une période de pandémie n'est jamais chose facile. L'ampleur de la maladie et les informations, qui circulent, favorisent un ensemble de comportements inscrits dans une dynamique d'adaptation à la situation stressante. Pourquoi selon vous est-ce qu'il est important de recourir à la croyance en période de grand bouleversement ?

Alcide Célestin : L'humanité a toujours craint ce qu'elle n'arrive pas à comprendre. Les maladies en font partie. La peste, la lèpre, la variole, la grippe espagnole, l'Ebola, le choléra et actuellement le coronavirus.

En Haïti, rien n'est presque naturel. Nous sommes un peuple très croyant et notre univers est truffé de dieux ou de Dieu, selon les croyances.

Recourir à la croyance pour s'accrocher à un mal inconnu n'est pas mauvais-je ne dis pas important. Dépendamment du niveau de formation des gens, la croyance peut voler en éclats tout comme elle pourrait devenir une force en période de grandes turbulences sociales ou d’urgences sanitaires.

L. N. : Beaucoup de personnes espèrent une protection divine contre la pandémie. Comment pouvez-vous expliquer cela?

A. C. : Le comportement des Haïtiens face à cette pandémie est explicable. Historiquement, le peuple n'a pas confiance en ses dirigeants.

Pour rappel, lorsque les États-Unis voulaient détruire l'économie de la paysannerie, l'État haïtien avait fait croire que nos cochons créoles étaient infectés par la peste porcine. Les Haïtiens se rappellent du slogan: 40 pour les gros. 20 pour les moyens et 5 pour les petits. Constatant que l’agence Pepadep avait berné la population, depuis lors les décisions étatiques ne sont jamais prises au sérieux. Il est courant d’entendre : Sida, cholera, chikungunya se politik.

Et cette méfiance se perdure jusqu'à aujourd'hui avec la pandémiecoronavirus. C'est triste, mais la réalité n'est pas autrement, malgré 40 cas infectés, dont 3 décès.

L. N. : Comment parler de Covid-19 aux personnes du troisième âge et aux enfants ?

A. C. : Parler de Covide-19 aux enfants et aux personnes du troisième âge demeure une problématique en Haïti. Pourquoi ? Les écoles et églises sont fermées. Donc, il est impossible de réunir les tout-petits; le confinement pourrait être l'un des moyens pour faire passer le message, mais les gens sont plus inquiétés par une éventuelle pénurie de nourriture et préfèrent s’intéresser au stockage de produits de première nécessité; les émissions de radiotélé pourraient aider, mais le courant électrique est rare ; et les parents croient aussi que « tout bagay se politik an Ayiti.

Cependant, une frange de la population comprend le danger et fait ce qu'elle peut pour aider les plus jeunes et les personnes du troisième âge.

L .N.: Doit-on s'attendre à un grand revirement des croyances (névrose) ? C'est-à-dire des vodouisants qui vont se faire convertir et inversement des chrétiens qui reviennent à des pratiques ancestrales, comme l'explique fort bien J.C. Dorsainvil dans son livre Vodou et névrose ?

AC: Tout est possible. C'est une pandémie qui pose un problème existentiel dans le monde et on attend à des bouleversements de toutes sortes. Un fait est certain: le monde est en train de changer sous notre nez.

Le National : Avez-vous un dernier mot?

Alcide Célestin : J'entends pas mal de choses sur le Covid-19 comme : les noirs sont plus résistants que les blancs; le Covid-19 est pour les grands pays; nous avons le soleil qui peut tuer le virus ; les microbes ne tuent pas facilement les noirs, en particulier les Haïtiens.

Mon dernier mot est: le virus existe bel et bien. Respectez les consignes et restez chez vous !

Propos receuillis par:
Lesly Succès

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