Comprendre la psychologie de la pandémie du Covid-19

Entretien avec Bernadin Larrieux, master II, Critiques et philosophie contemporaine de la culture, Pari8. Ing. Agronome, génie rural de FAMV/UEH, licencié en travail social FASCH/ UEH et diplômé en philosophie, ENS/UEH.

Le National : Depuis le début de la pandémie, beaucoup d'informations ont été fournies par les autorités sanitaires sur les principes à adopter. Dans cet entretien nous allons essayer de comprendre la psychologie de la pandémie. C'est-à-dire, regarder les effets sociaux de la pandémie tels que: déni des autorités, la recherche des coupables, rumeurs, légèreté de la population, la panique et l'exode, le confinement, la « distanciation sociale », le rejet des malades, l'abandon des rites funéraires et l'émergence des héros. Comme l'avait pensé l'historien Jean Delumeau (dans « La peur en Occident »). Sommes-nous tous pareils face au danger ?

Bernardin Larrieux : La question est très capitale en ce temps de grande crise pandémique. Il faut questionner être pareil face au danger ? Que veut dire être pareil face au danger. Aucun danger ne frappe les humains au même rythme. S'agissant même d'une pandémie, elle frappe les humains en vertu d'un ensemble de paramètres qui sont: le degré d'aménagement du territoire, le rapport des individus avec l'espace, les conditions matérielles d'existence, le milieu ambiant, les caractéristiques génétiques des individus, les précédents médicaux des individus et les structures hospitalières du pays. Autant de facteurs sont à prendre en compte pour tenir compte de l'effet du danger. On n'est pas frappé de la même façon. On ne sera pas frappé de la même façon. Par ailleurs, il faut comprendre qu'en Haïti les gens ne reçoivent pas la maladie de la même façon. Il me semble qu'il devra faire pire en Haïti car la maladie fait plus d'impacts psychologiques que physiques. La panique créée par les chiffres circulant sur les réseaux sociaux et les discours mensongers sont des éléments qui alourdissent les réponses des individus en Haïti. Questionner le danger demande aussi à contester ce qu'on a comme structure politique, sanitaire, physique.

L. N.: Depuis la confirmation des cas de Covid-19 sur le territoire national, le pays est mis en veille et a été décrété en urgence sanitaire. Les consignes dictées par l'État sont surtout : le respect des pratiques d'hygiène en particulier le lavage des mains, le confinement, distanciation sociale entre autres, comme cela se fait à travers le monde. Pensez-vous que ces mesures sont adaptées à la réalité haïtienne actuelle?

B. L.: Je ne comprends pas le mimétisme des Haïtiens. On prétend pouvoir mimer tout en Haïti. Ces mesures à mon sens sont essentielles, mais elles ne répondent pas aux réalités sociales, sanitaires et économiques en Haïti. Comment demander à des individus vivant au jour le jour de se confiner? À mon sens, confiner sans condition c'est rejeter sa dignité. Ce qui me fait comprendre cette déclaration d'une marchande au bas de la ville disant « mieux vaut mourir dans la rue avec sa dignité au lieu de mourir chez elle de faim ». Cette déclaration montre le niveau de conscience des individus des mesures et de leur étrangeté à la réalité haïtienne. On n'a pas créé en Haïti les conditions de confinement. D'ailleurs, il faut voir aussi, le confinement est politiquement correct. Le Gouvernement aimerait le confinement pour empêcher toute mobilisation sachant déjà que la situation socio-économique de la population est difficile. Le confinement est un acte politique qui tend à réduire l'individu en esclave. Confiner, c'est perdre une part de sa liberté. Il ne faut pas ignorer que ces mesures pourraient pallier la propagation de la maladie, mais les conditions socio-économiques de la population ne correspondent pas à ces mots d'ordre.

Le confinement des Haïtiens, tenant compte de la réalité, est une mesure en vue de tuer les Haïtiens de faim. La distance dite sociale n'est pas sociale. Elle est physique. La notion de distance sociale renvoie à l'idée d'un espace social structuré par des caractéristiques comme l'âge, le genre, l'origine ethnique et le statut social. Dans l'interaction d'enquête, la distance sociale a deux dimensions : l'étrangeté et l'inégalité. L'étrangeté renvoie aux problématiques de l'accès au terrain, comme l'incommunicabilité des mondes vécus et les difficultés à nouer la confiance. L'inégalité implique un rapport de pouvoir et donc des conséquences potentiellement négatives de l'interaction d'enquête pour les enquêtés, pour reprendre les propos de François Bonnet.

Dans ce cas, le lavage des mains est fondamental. Il n'est pas lié seulement à la pandémie, mais il doit être un principe de vie. Il faut se laver les mains pendant la pandémie même après la pandémie. Un principe qu'il faut respecter. En passant, j'aimerais questionner dans le monde. Comment sensibiliser des individus sur un fait normal ? Se laver les mains devrait déjà être une règle de santé applicable, quel que soit le moment. Si se laver les mains devient un apprentissage et un élément de sensibilisation au même niveau de la distance physique à prendre, il faut questionner en même temps les éléments culturels de base des parents aux enfants qui leur demandent de se laver régulièrement.

L. N.: Dans un entretien donné au journal l'humanité, le philosophe et psychanalyste Roland Gori a qualifié d'inapproprié et de maladroit le thème « distanciation sociale » proposé comme mesure de prévention contre la pandémie. Pour lui, bien au contraire, il convient d'inviter à la proximité et la solidarité sociale d'où le fameuse expression « être seul ensemble ». Partagez-vous cet avis ?

B. L.: Le concept de distance sociale est très inapproprié à mon sens. La distance sociale est un marqueur d'inégalité et d'étrangeté. Le psychanalyste a raison de le dire. Penser la distance sociale comme mesure de prévention, c'est penser que la vulnérabilité est une affaire de classe. On est tous vulnérables. Cette pandémie nous demande à réduire la distance sociale au profit d'un nouveau sens commun à l'humanité. Cette pandémie nous offre cette possibilité de repenser nos rapports avec le monde, aux autres et à nous mêmes.

Il faut reconsidérer l'autre dans nos rapports. Faisons de l'autre nous-mêmes. Cela devrait être la nouvelle version du vivre en semble. Repenser le vivre ensemble sur la planète.

L. N.: La pandémie du Covid-19 est sur le point de modifier drastiquement tout un ensemble de valeurs qui nous relient en tant que peuple. Récemment nous avons entendu des dirigeants politiques, pas seulement en Haïti, affirmer que nous sommes en guerre contre le coronavirus. Là je viens avec idée de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, ethnologue et psychanalyste, dans une intervention à Europe 1 a déclaré que nous ne sommes pas en guerre, mais nous organisons de préférence « la résistance ». À la résistance dit-il, viendra le changement de culture.

B. L.: Je trouve la question de guerre contre le coronavirus grossière. À mon sens, il faut laisser ce discours aux politiciens. Ils n'ont pas cette capacité de comprendre ce que veut dire être en guerre. Ils utilisent ce discours de guerre pour se réhabiliter. Par exemple, dans le cas D'Haïti, Jovenel Moïse pense pouvoir avoir une autre image après la gestion de la pandémie. Ils ne gèrent pas la pandémie. Ils essaient de se donner un nouveau visage politique. Il faut se méfier de ses politiciens.

En vérité, il faut faire cette résistance à la pandémie, si on se considère comme maîtres et possesseurs de la nature. Je me suis demandé pourquoi avons-nous peur autant de la mort? Nous avons tellement utilisé la nature à notre fin, aujourd'hui, il faut aussi assumer les conséquences. Si on est déjà maîtres et possesseurs, pour quoi avoir de cette maladie que nous devons maitriser avec aisance ?

L. N.: Quel est votre regard sur la situation en Haïti. Quelles doivent être selon vous, les mesures à prendre par les autorités pour limiter concrètement la propagation de la pandémie ?

B. L.: En Haïti, la pandémie frappe de deux façons : psychologique et physique. Les habitants étaient malades avant l'introduction de la maladie en Haïti. Il y a la maladie et les représentations de la maladie. Ce qui cause aujourd'hui problème, c'est la représentation de la maladie. En ce sens, le texte d’Albert Camus « La Peste » devient fondamental pour comprendre la pandémie en Haïti. Je demande aux responsables d'imposer aux étudiants et professeurs la lecture de ce texte. À mon sens, il faut constituer la sensibilisation des habitants sur les conséquences de la maladie et aussi de leur faire connaître la maladie. Il faut réorganiser le transport public, la distance physique doit être respectée au niveau des camionnettes. Ce qui doit être une décision de l'État. Outre le transport public, il est nécessaire de faire des dépistages en masse. L'État et le secteur privé des affaires doivent mettre à la disposition des structures des tests de dépistage pour au moins détecter les cas de maladie rapidement. Si l’on attend que les symptômes, on risque d'avoir des cas qu'on ne pourrait pas gérer. Analyser les conditions de déconcentrer le service de dépistage.

Le National: L'État doit-il se préparer au pire. C'est-à-dire faire face à la pandémie et l'émeute qui peut survenir par rapport aux difficultés socio-économiques qui gangrènent la population.

Bernardin Larrieux : Si on analyse la progression de la maladie dans le monde et si on tient compte des conditions de vie en Haïti, on doit s'attendre au pire. Le niveau de contagiosité de la maladie va être augmenté. Toutefois, on peut ne pas voir le pire si certaines hypothèses peuvent être vérifiées qui tiennent compte des paramètres suivant : la réponse des Noirs face au coronavirus (le niveau de résistance des Noirs aux coronavirus) ; possibilité de mutations de la souche (généticiens doivent être au travail) et en fin la gestion de cas suspects et confirmés. Autant de facteurs qu’on doit prendre en compte pour parler de pire ou d'améliorations à l'avenir.

Lesly Succès

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