Juno Jean-Baptiste dessine le monde pourri des parlementaires haïtiens

Dimanche 5 novembre 2023, la diplomatie culturelle haïtienne était au rendez-vous à l’invitation de Dominique Dupuy, représentante d’Haïti auprès de l’UNESCO pour assister à la vente signature du tout premier essai de Juno Jean Baptiste sur le parlement haïtien (1).

Une ambiance bon enfant. Le local de notre représentation diplomatique était trop petit pour contenir tous ceux qui avaient fait le déplacement. Après une élogieuse présentation de madame Dupuy, il revenait au ministre conseiller, Ricarson Dorcé, à la fois écrivain et professeur, d’évoquer la carrière et le parcours de l’auteur qui a passé de longues années à observer les agissements du parlement haïtien. La cinquantième législature a trouvé son mémorialiste en la personne du journaliste Juno Jean Baptiste, même si ce n’est pas pour l’encenser. Loin de là.

Devant un auditoire composé d’étudiants haïtiens et de professionnels de divers horizons, l’ancien collaborateur du quotidien Le Nouvelliste raconte son parcours professionnel avec un luxe de détails, aussi bien ses moments de joie, de doute, de tristesse, etc. Dans son intervention, Jean-Baptiste n’a pas hésité à parler des pressions qu’il avait subies de la part des oligarques haïtiens qui le pressaient de laisser son pays, après les avoir épinglés dans un éditorial à Radio Méga, où il prêtait ses services tous les soirs.

Ce livre est avant tout l’histoire d’un travailleur acharné dans un pays où le chemin vers la perfection est semé d’embûches. La pauvreté endémique haïtienne est un frein pour bon nombre de jeunes qui n’arrivent pas à recevoir le pain de l’instruction. Juno Jean Baptiste, lecteur invétéré, a montré dans son livre que le principal obstacle au développement de notre malheureux pays, c’est la corruption de nos dirigeants qui préfèrent s’occuper de leurs affaires personnelles au lieu de s’adonner à leur tâche qui est de se préoccuper du bien commun. En particulier ces parlementaires qui ont corrompu l’esprit même du mot Parlement.

Le jeune auteur ne fait pas partie de ceux qui diffusent toute la journée sur les réseaux sociaux et à l’antenne des radios des fake news et des approximations outrancières, dénaturant ainsi le métier de journaliste. Avec ce livre, Juno Jean Baptiste vient de redorer d’une manière majestueuse le blason de notre métier. Il l’exerce avec noblesse un métier que la révolution numérique tend malheureusement à ternir, car tout le monde peut aujourd’hui s’improviser journaliste, quitte à piétiner la déontologie de la profession. Dans notre pays, on peut compter sur les doigts de la main ceux qui font encore le métier avec une certaine rigueur.

Un témoignage poignant, lucide, décapant sur des hommes qui ont colonisé une institution étatique, dont ils ont fait un si piètre usage. Pourtant pour lui c’est « une question essentielle, vitale, fondamentale, prépondérante dans la très tourmentée vie démocratique haïtienne : le Parlement haïtien ».

 

Rackets, concussions, abus de pouvoir, gangstérisme, flagorneries

Dans Les Manœuvres et les Griffes, une plongée intime dans les secrets du Parlement, l’auteur étale les vices les plus dégradants des élus du peuple : rackets, concussions, abus de pouvoir, gangstérisme, flagorneries. Chaque page donne la nausée au lecteur qui découvre, horrifié, que tout se monnayait : même les votes vendus argent comptant. Pas un projet de loi qui ne fasse pas l’objet de négociations, se soldant par des dividendes aussi juteuses qu’injustifiées. On apprend que le défunt Président Jovenel Moïse arrosait tous ces messieurs avec délectation. Une corruption effrénée, que l’on retrouve à tous les étages d’un Parlement devenu haut lieu du crime d’État.  

Quant à la ratification d’un Premier ministre, du bain béni : c’était carrément la moisson, ces chers messieurs négociant leurs votes comme s’ils vendaient une parcelle de terrain. Chacun allait de son prix, comme on marchande une tête de bétail sur un marché communal. À titre d’exemple, les négociations avec le Président pour ratifier son poulain en la personne du Premier ministre désigné Fritz William Michel, ce qui a donné lieu à des marchandages honteux.

Au chapitre V, l’auteur nous livre l’histoire de la saga de la ratification des Premiers ministres, par exemple celle maintes fois avortée de Fritz William Michel. Le portrait du Premier ministre Michel Lapin nous édifie amplement sur le mariage entre le Parlement et la Primature. Un couple qui se tient par la barbichette et rivalise en matière de versements de pots de vins, de nominations des plus incompétents aux directions ou dans tous autres postes dans la fonction publique d’État. L’affaire PétroCaribe qui a fait couler beaucoup d’encre il y a quelques années fait l’objet d’une fine analyse au chapitre IV.

On a droit à de précieuses indications, des exemples avec les noms de ceux qui se livrent à de telles concussions. Ce portrait qui nous donne un aperçu du dysfonctionnement de cette instance étatique nous fait nous rendre compte que cette cinquantième législature est sans aucun doute la pire de notre histoire nationale. En 7 chapitres bien étayés, l’auteur brosse avec un maximum d’informations les positions politiques des parlementaires qui ne sont pas basées sur l’éthique.

Les relations entre parlementaires et la présidence, un morceau plus qu’indigeste, narrées avec amertume ne peuvent qu’avoir des conséquences dévastatrices sur notre malheureux pays, car ces deux corps n’ayant aucun souci du bien collectif. Il ne s’agit pas de proposer et de voter des projets de loi issus de partis politiques en vue de faire progresser la société : il est surtout question d’improvisations les plus insensées, car ce n’est que l’argent qui faisait marcher ces « représentants du peuple ».

La déontologie parlementaire, un vain mot pour eux, car c’est l’individualisme forcené qui transparaît dans leurs actes. L’auteur nous fait découvrir un bateau à la dérive au bord duquel prennent place des parlementaires qui ignorent leur rôle. Ces parlementaires incarnent le désordre au plus haut sommet de l’État. « Un super parlementaire est, décrit Jean-Baptiste, celui qui noue des relations privilégiées avec le président de la République, qui peut s'inviter dans sa cour quand il veut et comme bon lui semble. Celui qui peut faire pression sur le prince pour le forcer à limoger tel ministre ou tel directeur général, à nommer tel ambassadeur ou tel consul général dans telle représentation diplomatique ou consulaire, même si celui-ci est des plus incultes. Il peut même se prévaloir de débarquer sans rendez-vous dans les bureaux des ministres. Un jour, à cœur ouvert avec trois journalistes, un sénateur a confié, avec une rare arrogance, comment il impose les siens au ministère de l'Éducation nationale. Et comment il a rabroué le ministre quand celui-ci a osé lui tenir tête. Il ne s'en est pas caché. Il se doit de satisfaire la clientèle qui l'a porté au Sénat. »

Pour l’essayiste, un super-parlemertaire est celui qui a tellement de pouvoirs qu'il est en mesure de bénéficier d'une subvention de 52 millions de gourdes de l'ONA  pour lancer son parti politique ou pour « faire nommer sa fille de dix-huit ans au consulat général d'Haïti à Montréal ou au consulat général d'Haïti à Paris. »

 

« Ni de droite ni de gauche »

Voici une lumière crue sur les corrompus qui exercent un chantage permanent sur l’exécutif afin d’avoir de l’argent et des faveurs de toutes sortes. Tout au long de ces chapitres, l’auteur étale des anecdotes les unes les plus rebutantes que les autres liées à la corruption la plus dégradante la plus avilissante qui soit.

Sous la cinquantième législature, la corruption est devenue quelque chose de tout à fait normal. Elle a même acquis ses lettres de noblesse. Le cas de se demander si ces parlementaires ne sont pas trompés de chemin, car tous leurs actes allaient justement à l’encontre de l’éthique parlementaire.

Corrompus, ils vendaient leurs cocardes parlementaires au Président de la République et à la deuxième tête de l’exécutif, tout en les critiquant devant les médias. Sur ce point, celui qui a été récompensé par le prix Philippe Chaffajon à Paris en 2015 ne va pas avec le dos de la cuillère. Il met des componctions journalistiques à les portraiturer avec des affiches de la honte sur les visages. Dans cette démonstration, aucun parti politique n’est exempté. D’ailleurs il n’y a pas de groupe parlementaire, c’est l’individualisme qui prévalait. « Ils sont de tous les « partis politiques ». Ils ne sont ni de gauche ni de droite; mais ils sont tout à la fois. Ces députés et sénateurs fusillent le président de la République, son Premier ministre ou ses ministres dans les médias, dans les travées du Parlement, dans toutes les séances. Ils sont les premiers à dégainer les critiques les plus acerbes contre le couple exécutif. Ils sont les dignes représentants de la fausse opposition au Parlement, à l'exemple des députés Printemps Bélizaire de la 3° circonscription de Port-au-Prince et Sinal Bertrand de Port-Salut, qui sont allés recevoir leurs petites affections (pots-de-vin) chez le président Jovenel Moise le soir suivant la motion de censure contre le Premier ministre Jean-Henry Céant. Même le travail de contrôle de l'action gouvernementale, les faux opposants le font mal. Ils se réfugient dans l'outrance et dans la dénonciation. »

C’est de notre avenir qu’il parle dans ce livre. Le pays a besoin des hommes politiques honnêtes pour s’en sortir au-delà des rapports onusiens qui dénoncent parfois sans nuance ceux qui ont été devant la scène. Qu’on le veuille ou non, ce sont les nôtres. Nous devons nous mettre ensemble et que les corrompus jusqu’aux os, renoncent publiquement, confessent leurs fautes devant la nation et reprennent leur place au sein de la société. La réconciliation nationale doit être le leitmotiv dont le principal objectif est d’extirper l’international dans nos affaires internes. Arrêtez d’applaudir l’international qui déjà sélectionne les corrompus, car il a ses propres corrompus chez nous.

Il nous faut, comme cela se fait dans d’autres pays, un projet de société où la corruption sera fermement combattue. Ce livre, il est à espérer, devra susciter un débat sincère sur la manière dont nous pourrons lutter contre la corruption.

 

Maguet Delva

 

Notes

Les manœuvres et les griffes : une plongée intime dans les secrets du parlement, 259 pages, imprimerie Brutus, août 2023, Port-au-Prince Haïti.

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