Haïti: le Rabòday à l’aune de la musique populaire et de la musique savante !

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 «Symphony du ghetto» est le titre du groupe musical RAM évoqué pour centrer un exposé sur la valeur savante de la musique populaire. En effet, » on dit que la musique était un art du moment » (Schaeffer et Paulme,1989). Ce qui relativise des découpages souvent établis,  en l’occurrence la musique savante du ressort des artistes et la musique populaire associée aux paysans et qui revêt un caractère spontané voire primitif. Toutefois, la référence au concept de musique nationale tend à faire dépasser de tels clivages. À ce titre , beaucoup d’artistes influencés par des écoles et qui se réclament de l’universalité se sont contraints à se ressourcer dans la musique folklorique et exécuter des touches populaires. L’interface musique populaire et musique savante serait-elle incontournable? Un exposé écrit ne se sufit -il pas à lui-même pour assurer une reliance entre sons, images et textes.Nous invitons les lecteurs et lectrices à l’écoute des musiques identifiées aussi bien qu’à l’observation des images appropriées dans les chorégraphies existantes.Ce, pour mieux placer les textes de support et pour spécifier les fonctions de la musique qu’elle soit éxécutée par des professionnels ou des non professionnels. Il s’agit de  la musique dansante, la musique de concert ou de divertissement, celle pour le rituel et la musique courtisane. 

«Symphony du ghetto» est  ce titre  révélateur qui supporte notre parti pris. En effet, le groupe RAM est réputé de la tradition du vodou jazz avec des touches de rock . Tout est parti d’un foyer qui devait alimenter les expériences  diverses telles « Ayizan » de Tite Pascal, le groupe « Ca » du célèbre musicien Chancy qui a généré le Foula Jazz , puis vient le PICORANAYA (CEPODE,2016) et enfin le groupe Zobop Vodou Red du début des années 1990. Ce n’est qu’un survol non exhaustif en attendant de consulter les documentations indiquées . Il s’agit d’une deuxième génération du Vodou Jazz si nous devons remonter très loin dans les matrices du Jazz des Jeunes ou de l’Orchestre Issa El Sahe des années 1930-1940.

 Le vodou jazz s’est consolidé comme musique savante ancrée dans une population jugée à tort de commun des mortels du point de vue de l’appréciation musicale.Ne parle-t-on pas paradoxalement de musique importée dans le cas de l’esthéticité attestée par la musique  des années 1930-1950 de telle sorte que le Compas Direct s’est glissé , interposé  voire a déplacé le vodou jazz pour se jauger comme musique nationale.Ce serait, de l’avis de plus d’un, la promotion d’une nouvelle tendance musicale au rabais à la montée du régime des Duvalier. On évoque l’idée d’exécution de notes simples, monotones et non standardisées  . En effet, « la musique s’exécute et en ce sens se vivifie d’éléments de la culture populaire.Il est un fait que “les exécutants sont surtout ceux qui qualifient les musiques par rapport aux créateurs eux-mêmes”. Aussi chacun se sert - il du matériel musical de son temps, se soumettant aux conditions qui lui permettent de se faire entendre “ ont renchéri nos deux auteurs de référence.Nous avons noté , en ce sens, l’évolution du Compas comme musique populaire ayant traversé les tendances de Mini-Jazz (1970), la fusion (1980) et la nouvelle génération (1990).La troisième génération de Musique Racines (1990)  et les Musiques urbaines  Rap et Rabòday (2010) se développent.Ce qui justifie l’idée que ‘la musique était un art du moment’.

Je vous laisse apprécier le titre ‘Symphonie inachevée’ du groupe musical  haïtien GM Connection pour déceler l’esthéticité contestée de la musique Compas naissante.Je vous laisse aussi savourer le riche répertoire de la musique populaire d’alors dont les tubes constituent de standards.

En effet, dans le sillage du mouvement Racines des années 1970 rebondit de force,  dans les années 1990,  le débat  cuisant en ce qui a trait aux tendances musicales et aux  manières de les classer voire les étiqueter du point de vue des exécutants et non des créateurs. Ce qui va renvoyer au Rabòday comme expressions de musiques urbaines et populaires.Les caractéristiques de musique spontanée et  simpliste reviennent dans les discours .Ce passage est cité par DUCREPIN (2023) ‘Le rythme rabòday dans son expression, mais aussi dans le message qu'il véhicule du point de vue de la forme et celui du fond, exprime la négation de l'art […].’ (Louis, 2014 : 13).

Le Rabòday comme expression  de ‘musiques urbaines’ se réfère  à des genres musicaux considérés comme ‘’vulgaires’’ ou  ‘’marginaux’’. ‘’Indépendantes’’, parce que ces musiques sont presque artisanales, ou sont en tout cas produites en marge des canaux de la grande distribution” (Meyran, 2014 : 6).  

 Cette mise en contexte loin d’être exhaustive a renvoyé l’histoire de la musique populaire  haïtienne.  La question à soulever est la suivante :  la musique populaire   s’écarte -t-elle des expressions de la musique savante?Ce qui nous porte à embrasser des apports de certains groupes ténors marqués d’esthéticité et de technicité et appropriés par les secteurs populaires.Nous voudrions partir du Groupe Ram en référence à Symphony du Ghetto (Meringue carnavalesque 2015).Ensuite, le Rara Foula Vodoule “» San Mannan » (2020) et Raram no limit dans ‘Dedouble ‘(2001)pour fermer notre boucle pour l’ analyse.

‘La musique n’a pas de patrie’ (ibid, 1989).La distinction musique populaire, musique savante et musique nationale reste superflue.Ne parle -t-on deWorld beat de nos jours et à cette aune nous apprécions ‘Ti Zandò’ d’Azor et d’Eddy Prophète et ‘Akaikao’ d’Emeline Michel au Japon ainsi que les exploits de Foula Vodoule et de Raram no limit.Le Rabòday pourrait être interprété par leur propre créateur/ créatrice pour pouvoir jouir de leur authenticité. Mushi Widmaier dans des touches de synthetizer au rythme de percussions, de tcha tcha et du tambour a éxecuté avec une grande technicité une version instrumentale du Rabòday traditionnel de ‘Ti sourit’ ou de ‘Men yo,  men yo’ soient de morceaux génériques de cette mouvance.Que dirait-on d’une telle prestation  à l’aune de la musique populaire et de la musique savante ?Il est un fait que la musique occidentale présente des traits de l’archaïque que des formes évoluées en vue de l’interface musique populaire et musique savante.

 

 Hancy PIERRE, professeur à l’Université

 

Repères bibliographiques

 

-SCHAFFNER ,André et PAULME Denise ‘Musique savante, musique populaire, musique nationale’ in In: Gradhiva : revue d'histoire et

d'archives de l'anthropologie, n°6, 1989. pp. 68-89; https://www.persee.fr/doc/gradh 8928_1989__1_num_6_1_1198 (consulté le 8 novembre 2023)

-PIERRE Hancy (2016). ‘Pratiques de loisirs chez les jeunes dans l'aire métropolitaine de Port-au-Prince après 1986 : entre contrôle social et contestation.’ Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 73-109.

-LIZAIRE Jean Evenson (2016), ‘des jeunes en débandade: la mise en récit d’une société en perdition’ in Cahiers du CEPODE. No 6, Avril 2016, Édition du  CEPODE.p 111-144.

 -JASMIN Frandy (2020), Musique haïtienne : Éléments des chansons rabòday

Suscitant l’émotion lors de l’écoute des femmes haïtiennes. Cas des femmes âgées de 15 à 30 ans du quartier Caridad,Faculté des Sciences Humaines, Université d’Etat d’Haïti.Non publié.

- DUCREPIN Sindy (2023) . ‘Le corps de la femme dans les chansons Rabòday en Haïti : Usages et enjeux’,Faculté des Sciences Humaines, Université d’Etat d’Haiti.Non publié.

-PIERRE Hancy (2023), ‘Les expressions de la musique haïtienne dans le prisme de la culture de masse: dilemmes éthiques et perspectives’ in Le National, Port-au-Prince.

- Dr Gage Averill, “Konpa !La musique populaire en Haïti.-1.La bèl epòk:la musique populaire de la 1ère moitié du 20ème siècle’Médiathèque Caraïbe / Conseil Départemental de la Guadeloupe, 2016-2019http://www.lameca.org/publications-numeriques/dossiers-et-articles/konpa-la-musique-populaire-en-haiti/1-la-bel-epok-la-musique- (consulté le 9 novembre 2023)

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