Du fond du cœur, le festival de théâtre En Lisant dit son amour pour Port- au-Prince

Pour son huitième tour de piste, le festival de théâtre En lisant revient dans le paysage culturel et artistique haïtien pour promouvoir les arts de la scène. Du 11 au 17 décembre 2023 , En Lisant laisse jaillir dans son cœur son amour pour la capitale haïtienne autour de leur festival qui se déroule sur le thème : “ Dire Port-au- Prince” et accueille comme invitée d’ honneur la dramaturge et comédienne Gaëlle Bien-Aimé, l’autrice de : « Port-au- Prince et sa douce nuit ».

Avec une programmation riche et éclectique qui tourne autour du théâtre et des arts de la scène , le festival En lisant promet de gâter pendant plus d’ une semaine les amants de l’ art de tous bords. Ateliers de théâtre , spectacles, expositions, projections de films, arts plastiques et création audiovisuelle, tout est  prétexte pour mettre  Port- au- Prince sur le devant de la scène avec son passé parfois glorieux, son présent truqué et son avenir incertain. Mais bien  encore  ses folies et ses déraisons. Port- au- Prince , cette capitale encore blessée dans sa chair et ses entrailles retient l’ attention des organisateurs du festival pour que son demain soit meilleur. Entre souvenirs nostalgiques et rêves galvaudés chaque  membre du comité de En Lisant marche, arpente et se souvient de Port- au- Prince à sa manière. « J’ai appris à aimer secrètement cette ville.         Je suis tombé amoureux de ma geôlière... Port-au-Prince ! Vil carcan, prison à ciel ouvert(…).

Cette année, le festival de théâtre et des arts de la scène En Lisant ne peut passer sous silence les liens affectifs qui le rattachent à Port-au-Prince. Il faut dire la ville, il y a urgence de le faire. Urgence de théâtraliser le tout Port-au-Prince, l’espace d’une édition d’En Lisant... Car, il faut restituer la mémoire sanguine à cette ville anémiée.

Du 11 au 17 décembre 2023, pour la huitième édition d’En Lisant, le public aura à découvrir une programmation vintage made in Port-au-Prince... Parce que, à l’unisson, nous devons le dire à gorge déployée Port-au-Prince ne mourra pas ! » a écrit James Pubien.  

Pour sa part, le directeur artistique du festival Éliézer Guérismé fait  état d’ une capitale qui porte des mines affreuses et qui, malgré tout, refuse de se laisser ensevelir sous les mauvais sorts et les hasards d’ un présent compromettant. “Port-au-Prince, capitale en proie aux flammes !

Pour connaître une ville, il faut savoir marcher dedans. Mettre un pied devant l’autre derrière  et errer dans ses rues. Pour connaître Port-au-Prince, il faut savoir avancer, avancer d’un pas bien décidé sans connaître sa destination. Aller devant soi. La ville devant soi.

Aujourd’hui, c’est à peine qu’on peut marcher dans cette ville qui se meurt. On court, tout simplement. On court dans tous les sens. Aucun lieu fixe comme fin de parcours. On court. On vole. Et disparaît. Puis, la carte Port-au-Princienne perd la trace de nos ombres. Et on recommence à courir demain.  Puis le lendemain. Puis le surlendemain. Ainsi va notre vie, monotone, monochrome, dans cette ville qui se meurt.”

Plus loin , Guérismé retourne sur les territoires fragiles de son enfance pour nous faire revivre la capitale haïtienne et dire l’ instant présent englué dans les tentacules de la douleur et du désespoir.

«  Mais aujourd’hui tout semble disparaître. Tout s’efface. S’écoule. S’écroule. La ville est devenue un enfant fou qui joue avec des allumettes. Comme si nous vivions au temps des Pyromanes adolescents (James Noel). C’est un peu comme le drame comique : Monsieur Bonhomme et les incendiaires, mis en scène par Guy Régis Junior, ce dramaturge qui a longtemps vécu à la rue Chareron. Et dans cette pièce de Max Frisch qu’il a montée à la Fokal, haut lieu culturel de la capitale, fermé au public depuis maintenant trois ans, l’auteur a décidé de tout faire sauter. Il faut dire qu’à Port-au-Prince également, tout le monde souhaite mettre le feu. Brûler. Tout brûler ! Les bandits ont brûlé plusieurs maisons à Carrefour-Feuilles, à Martissant, au Bel-Air. Comme celles de Gary Victor, de Zikiki et de son célèbre père Lionel St-Eloi. Ils ont toujours vécu à Carrefour-Feuilles, ce quartier de Port-au-Prince victime de la fureur des gangs armés. Des comédiennes et comédiens y vivaient. Ils ont mis le feu au temple vodou du célèbre chanteur et houngan Erol Josué. Aucun respect pour la vie et pour le sacré. Je pense également à Dieuvela Cherestal, Fevrier Gertrude-Hugh, Dino, Sabruna Georges, Chelson Ermoza et Johny Zéphirin. Tellement de jeunes sont obligés à chaque fois de fuir leurs domiciles sans savoir où aller. Une scène de théâtre où des gens meurent avant même la fin du premier acte. Qui est le metteur en scène de cette terreur ? Qui a écrit cette pièce de théâtre macabre ? L’auteur de ces scènes de terreur revendique-t-il le génie de son œuvre ? »a  souligné à l’ encre forte Éliézer Guérismé. Acteur de son état , il en a profité pour dessiner une cartographie de la ville qui bascule depuis quelque temps dans l’ horreur et la souffrance. « 

Port-au-Prince voit périr sous les flammes assassines ses éternels quartiers : Martissant, Carrefour-Feuilles, Bas Peu de Chose, Saint Gérard, Bolosse, Morne à Tuff… On dirait des suppliciés condamnés au bûcher de l’insécurité ! On immole des quartiers par le feu, comme le décrit Guy Régis Jr dans Le trophée des capitaux. Dans son livre rouge, il raconte les souffrances et tumultes des habitants du Bel-Air, ce quartier du Bas de la ville, où a grandi Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Etienne D’argent (Franketienne).  Les massacres et assauts sur Carrefour-Feuilles surviennent à la même date que ceux perpétrés au Bel-Air en 2020. Quelle étrange coïncidence ?

Port-au-Prince brûle pleinement avec ses bibliothèques et ses lieux de culture. Des habitants de Carrefour-Feuilles ont dû se réfugier à l’ancienne salle de cinéma et de théâtre Eldorado, cette ancienne salle trop longtemps fermée. Ils se sont aussi réfugiés au Rex Théâtre ! Le théâtre a toujours été cet art qui réconforte tout en accueillant, en temps de désastres, les êtres vulnérables. Port-au-Prince brûle ! » a-t-il écrit.

 Notons que  pour sa huitième édition, le festival invite le public à découvrir l’œuvre complète de l’une des artistes les plus accomplies et versatiles de sa génération, Gaëlle Bien-Aimé, lauréate du prix RFI théâtre 2022.

Dire Port-au-Prince est la thématique sous laquelle est placée la huitième édition du Festival de théâtre En Lisant. Par cette thématique, En Lisant veut restituer le côté mythique d’une ville qui ne cesse d’être chantée, au gré de la plume, par ses écrivaines et écrivains.

 

Schultz Laurent Junior

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