Dieulermesson Petit-Frère ou la poésie contre le manque

« Poème pour une petite fille à l’autre bout du monde » est le troisième recueil de poèmes de Dieulermesson Petit-Frère, originaire d’Haïti. Vivant en France où il prépare un doctorat en lettres, le jeune homme est déjà un poète confirmé.

 

Les vers de Dieulermesson Petit Frère ont cette vertu de vous transporter sur des rives enchanteresses tant les images qu’il nous donne à voir sont captivantes et éblouissantes. De quoi en être ébahi. Cent vingt-quatre pages de pur bonheur poétique qui permettent au lecteur d’arpenter le monde des mots qu’il tresse avec délicatesse et de cheminer lentement et sûrement dans les labyrinthes crépusculaires de son moi poétique.

 

Est-ce une méditation poétique sur les rapports entre un père et sa fille ? Ou  la solitude d’un père qui s’exprime ce qu’il y a de plus profond : un mal-être. Chez l’auteur, la cadence pour créer des images destinées à son enfant s’avère époustouflante, pantelante, dans l’attente de cette rencontre entre elle vivant dans une lointaine contrée et lui. Le poète s’est construit un univers poétique suffisamment grandiose pour le tenir en haleine chaque fois que l’envie de la voir se fait sentir.

 

On sait que la solitude, surtout si elle est tenace, pousse en général vers la poésie. La plupart de nos poètes parmi les plus sublimes étaient de grands solitaires, certains des anachorètes, adossés à leur art. Proust en fait un genre à part. N’est-ce pas là l’une des fonctions de la poésie qui est de conjurer la solitude ? Par l’intermédiaire des mots, les voilà ces poètes accouchant leurs plus beaux vers pour dire le temps qui passe, leurs chagrins et leurs joies. Ainsi, notre auteur s’amuse à recenser les moments où sa solitude se perd dans les yeux de sa fille et sa mère. Les trois occupent une place dans son livre et il va charger sa fille de dire à sa mère le vide sidéral que représentait la séparation d’avec elle avant d’égrener ses souvenirs : «Tu diras à ta maman que je n'ai pas pu enterrer tous nos souvenirs. Et comme le dit le poète, j'en ai encore pour des millénaires. Je garde encore les traces de son rire jet d'eau qui arrose tous mes matins de tendresse. Son regard d'outre-charme et ses yeux qui disent toute la candeur du devant-jour. Je n'ai pas oublié toutes ces folies qui ont parsemé le chemin de nos vies vagabondes, ni les promesses que nous avions bâties en gage de notre amour. » Il se rappelle leurs moments d’intimité profonde qu’ils aimaient tous les deux, lui se rappelle comme si c’était hier les courbes de son corps et ses murmures précédant sa jouissance. Moment délicieux qu’il compare à une « mort lente qui, chaque fois, s'imprégnait de son être tel un animal en transe. »

 

Cet amour qu’il a du mal à oublier, il s’applique à l’écrire sur les murs de sa solitude comme objet d’infinis tourments.

 

La poésie est un genre qui permet de se concentrer sur l’essentiel sans fioritures et déverser son trop-plein d’émotions. Dieulermesson Petit Frère, poète de grande dimension humaine, entre de plein pied, dans la grande tradition haïtienne consistant à évoquer nos maux, nos tares. Une merveille car si ses poèmes renferment une bienveillance paternelle tellement émouvante. Chaque texte est comme une prière matinale adressée à toutes les petites filles car le poète imagine, pense et pose un regard plus que merveilleux sur l’enfance. Et cette brûlante affection d’un père qui éclate à chaque page nous remue. « Pardonne-moi ma fille pour avoir traversé la nuit pieds nus, les mains vides avec une cour étroite, mais tout plein de toi et de ton rire couleur du matin de printemps. Je suis désolé de t'écrire avec ces mots troués et blasés qui portent le poids des actes manqués. Ces mots saisonniers qui disent la rumeur de la ville quand il fait mauvais temps. Ces mots tout imparfaits qui, parfois, savent dire des vérités trop cruelles et déranger l'ordre des choses. Quand l'incertitude s'installe à nos portes et que le désespoir, l'angoisse et le désarroi nous tordent le cou. »

 

Sous forme de lettres, l’auteur dit en des termes simples ses ressentis, l’impuissance à ne pas pouvoir être à côté de l’être aimé. C’est en substance un merveilleux éloge à l’absence.

 

Beaux poèmes, bien construits avec de très belles images qu’il déverse à profusion et qui font du bien en ce monde de plus en plus déshumanisant. Il y a une humanité sincère qui parcourt les pages de ce recueil qui fait tout son charme. Le premier poème du livre s’ouvre sur une sarabande de métaphores qui a du mordant.

 

Les poèmes se succèdent et ne se ressemblent guère même si l’auteur continue sa route enchanteresse en déversant son flot ininterrompu de tendresse sur fond de solitude. On se sent proche du fardeau de la solitude qu’il chante, les désagréments de la vie et les chagrins qu’il décline avec grâce. Ce petit bijou en dit long sur le spleen de l’auteur, qui promène son imaginaire dans les plaies de la solitude. Au bout des nuits sans sommeil, les beaux rêves s’évanouissent au petit matin sombre. L’auteur avance à pas feutrés dans sa quête de mots pour panser les maux de sa charmante interlocutrice et les siens. La prière comme des poèmes adressés à un être cher est aussi une manière de se consoler soi-même de l’absence. « J'ai longtemps rêvé de partir, de ta voix et de ton visage, cet appel à créer pour toi des horizons sans bout, à me donner une raison d'espérer en prenant ma solitude par le cou - oh ! cette déchirure que je porte quotidiennement en moi par un trop manque de toi. Partir est un verbe arc-en-ciel »

 

Un petit livre, mais une grande création poétique qui fera le bonheur des amateurs de la poésie. En tout cas, cet écrivain, s’il continue sur cette belle lancée, ira loin.

 

Maguet Delva

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES