Mon amour, mon geôlier

NDLR: Mon amour, mon geôlier est le titre d'un roman d'Isabelle Théosmy paru en 2020. Avec l'autorisation de l'auteure, Le National se fait le plaisir de publier ce roman en différentes parties et vous invite à le découvrir. Déjà bonne lecture!

Première partie

 

Prologue        

Le luxe et le faste sont dépouillés de tous leurs secrets ce soir, en ces lieux où les mariés reçoivent leurs convives. Au milieu du dôme vitré tenant lieu de plafond pend un immense luminaire en cristal. Tout scintille dans cette salle circulaire, au centre de laquelle trône une magnifique jardinière de quartz rose soutenue par deux cupidons nus, débordant de fleurs fraîchement coupées. Les reflets de l’argenterie, le scintillement des verres, la pure blancheur des nappes créent un contraste stupéfiant avec les murs d’où pendent de lourds rideaux de velours, d’un rouge teinté de blanc. Les visages transpirent de bonheur, de joies, même hypocrites. Cependant, toutes les émotions ne se confondent pas en contentement. Celui-là, assis au fond, ne sait comment cacher sa rage. S’il est là, c’est uniquement pour faire plaisir à son cousin qui s’est jeté la tête la première dans un mariage précoce. Le visage livide, assis seul à sa table un verre à la main, il se saoule la gueule pour n’avoir pas pu empêcher cette mascarade. Cette femme est intéressée, il le sait. Il sait aussi que l’argent des Duncan n’appartient pas qu’à Gail. Il est lui aussi héritier et se doit de se méfier des vautours comme cette femme qui célèbre ce soir sa jeune victoire. D’où la connaît-il? L’on ne prend pas pour épouse une femme que l’on ne connaît pas. Trois mois. Cela suffit-il pour un engagement à vie? L’intuition. Il y en a de ceux qui ont un bon flair. Et le petit cousin de Gail, de cinq ans de moins que lui, n’est pas aussi naïf qu’on pourrait le croire. Toutefois, il faut savoir se taire et observer… Guetter le moment propice… Mais, sous l’emprise de l’alcool, certaines personnes n’arrivent pas à faire taire leur colère, à se contrôler surtout… De ces attitudes qui peuvent coûter cher.

En famille, il faut se serrer les coudes. Même s’il ne voulait pas gâcher le plus beau jour de sa vie, Gail ne s’est pas rendu compte de la gifle magistrale qu’il assène à son cousin qui ne se contrôlait plus, sous les yeux ahuris du petit groupe d’invités. Il fallait qu’il l’arrête. Il était allé trop loin dans son délire. Qu’est-ce qui lui fait croire que sa femme était intéressée, et qu’elle en voulait à leur argent?

L’argent n’est pas tout dans ce monde. Gail y croit fort et croit aussi que cette femme est la femme de sa vie. Même s’il ne peut pas le prouver, il ne laissera pas ce crâneur gâcher leur histoire. Sous aucun prétexte. Il n’est que jaloux et ne peut démontrer le moindre fait de ce qu’il avance. Sans réfléchir plus longtemps, Gail saisit son cousin par le collet. La fleur blanche attachée à la veste de Hayk s’échappe. Ce dernier ne résiste pas, sans doute une langueur due à l’alcool. Sans se soucier de la surprise de la petite assistance, Gail le traîne au long de l’allée, au milieu des tables, alors que deux agents de sécurité viennent s’emparer du trouble-fête.

Gail ne dormit pas cette nuit-là. Il réfléchissait tellement. Il aime cette fille. Il aime aussi son cousin. Il ne voudrait pas que ce mariage le sépare de la seule famille qui lui reste. Bourru, au matin, il se lève. La première chose qu’il tente de faire avant de prendre l’avion pour Venise, c’est : s’excuser. Hayk comprendra un jour, lorsqu’il aura trouvé la femme de sa vie. Gail voulait savoir s’il avait repris ses esprits. Mais, il n’avait toujours pas décroché. Il est sûr, qu’une fois la colère tombée, tout rentrerait dans l’ordre. Ce n’est pas qu’il voulait l’abandonner. Rien ne sépare deux frères unis.

Lorsqu’un peu plus tard la police l’appelle pour venir identifier le corps de son cousin, Gail ne savait pas qu’il allait être accusé de meurtre. Sa femme lui assure qu’elle va lui trouver le meilleur avocat. Gail sait qu’il est innocent… Tout ce qu’il voulait savoir, c’était qui avait tué son cousin et pourquoi.

 

Acte I

Éclatée dans la nuit du lundi à mardi, l’émeute à la prison civile est encore d’actualité. À la télé, on peut voir l’ampleur des dégâts, sans compter le nombre de morts: gardiens et prisonniers… des blessés, surtout de grands brûlés selon les journaux qui se sont accaparés l’affaire comme l’événement du siècle.

Le nombre d’évadés est estimé à environ une centaine.

La prison est à feu et à sang.

Qu’est-ce qui s’est passé? Les autorités dépassées par les événements jusqu’à présent n’ont pas encore apporté d’explications quant aux causes véritables ayant accouché d'un tel incident.

Alors que les sapeurs-pompiers tentent d’arriver à bout des flammes qui lèchent rageusement le bâtiment, on peut voir des femmes en sanglots derrière les rubans de sécurité, où s’amassent des centaines de curieux agités, dont plusieurs munis de leurs téléphones cellulaires, de soi-disant reporters d’images pour les réseaux sociaux (RIRS). L’on s’improvise journaliste.

Judy détourne les yeux de l’écran de son poste de télé, un peu effrayée par toutes ces d’horreurs, que diffusent en boucle certaines chaînes de télévision, comme s’il n’y avait que ça comme  information. À la vérité, il faut dire qu’aucune émeute n’a été jusque-là, à ce point terrible.

***

-Désolée maître Bernardy, mais monsieur n’a rien voulu entendre, lâche à brûle-pourpoint la secrétaire, précédant l’homme, maintenant à la hauteur de Judy.

-Maître Bernardy? répète-t-il, l’air incrédule, en se retournant vers la secrétaire.

-Comment puis-je vous aider? lui demande alors Judy, se levant pour le recevoir.

-Maître qu’il prenne rendez-vous pour lundi matin, car nous devons fermer, il est déjà 15 h 30, enchaîne Maria visiblement contrariée par l’arrivée de l’homme. Elle regarde Judy droit dans les yeux comme pour lui envoyer un message. Mais, Judy semble-t-il, n’a rien compris de ce SOS.

-Merci de nous laisser seulement quelques minutes, Maria.

Maria ouvre de grands yeux, et en sortant lui fait un non de la tête.

Mais déjà, Judy prie le nouveau venu de s’asseoir.

-Mettez-vous s’il vous plaît, émet-elle avec un sourire emprunté.

L’homme un instant la dévisage, plongeant son regard dans le sien. Judy constate à ce moment-là, comme il a les yeux froids et les traits crispés. Malgré elle, un long frisson lui court le long du dos.

-Vous êtes la fille de maître Bernardy, c’est cela? Où est-il? enchaîne-t-il comme s’il connaissait déjà la réponse à sa première question.

-C’est de lui que j’ai besoin, s’empresse-t-il d’ajouter.

-Mon père n’est plus là. Comment pourrais-je vous être utile?

-Arrêtez vos manières d’enfant gâté et dites-moi où il est? rugit-il en frappant rageusement sa main sur la table de verre.

La jeune avocate sursaute, mais se reprend assez vite.

-Calmez-vous monsieur, lui dit-elle de sa douce voix qui paraît-il n’a aucun effet sur lui. Je suis désolée, mais mon père n’est plus, il est mort.

-Quoi? Non, non, non, clame-t-il comme un ulcéré. Il ne peut pas mourir. Il ne peut pas mourir, reprend-il. Quand? Pourquoi ne suis-je au courant de rien? Comment est-il mort? Ils l’ont tué, lui aussi?

-Non. Il est mort d’un infarctus du myocarde, il y a plus d’un an, l’en informe-t-elle avec une pointe de surprise et de tristesse dans la voix.

Elle espère comprendre.

-Dans ce cas, c’est donc vous? lâche-t-il d’un ton dubitatif.

-Moi, quoi?

Judy le regarde, effrayée, voulant toutefois, suivre le fil de la conversation.

-Qu’est-ce que vous êtes venue faire là-dedans? À part que votre père me devait…

Il s’arrête un moment, en mettant un poing serré sur sa bouche comme pour contenir la rage ou la colère de sortir.

-Je vais vous rembourser! Tout vous remboursez, jette-t-elle comme si cela pouvait calmer la fureur de l'homme en face d'elle.

Judy n’en montre rien, mais au fond d’elle, elle est tout de même surprise et déçue à la fois. Comment un homme bon, honnête, généreux comme l’avait été son père pouvait mourir en devant de l’argent aux autres? Pour l’homme-modèle qu’il était à ses yeux, ce n’est pas du tout une bonne nouvelle. Et cet homme, pourquoi venir réclamer ce qui lui est dû, après tout ce temps? Apparemment, il n’était même pas au courant de la mort d’Arnold. Peut-être qu’il ne vivait pas au pays? Après tout, il se pourrait que ce soit un escroc qui veut user de la bonne foi de Judy, sachant que son père est mort? Non, il devra fournir des preuves s’il veut vraiment récupérer ce qui lui revient de droit. Car Judy n’a pas du tout l’intention de se faire extorquer comme ça. Il n’a pas choisi la bonne personne, s’il cherchait un dindon!

-Vous avez un reçu? Quelque chose qui pourrait mentionner par hasard le montant que vous devait mon père? Je veux absolument vous rendre ce qui est à vous.

Il la regarde un instant.

Judy soutient son regard sans sourciller.

-Je ne suis pas sûr que vous soyez prête à me payer.

-Oui, puisque je suis son unique enfant, sa seule héritière. Tout me revient. Sa dette également.

Il la dévisage un bon coup avant de secouer la tête solennellement.

-Quoi? lui demande-t-elle comme si elle voulait comprendre son geste.

-Votre père était censé me défendre… commence-t-il. Me défendre de quoi bon sang? Je suis innocent. Je n’ai tué personne. Mais, votre père, lui, n’a pas su faire ce pour quoi, je l’avais payé. Me défendre!

On dirait qu’il s’était défait d’une charge qui pesait bien trop lourd sur son dos. Il se lève, s’approche d’elle.

Elle hésite.

-Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais si vous voulez payer, vous allez devoir payer pour les incompétences de votre père.

C’est donc cela!

Judy sent tout à coup son cœur battre sous ses pieds.

Il n’y a rien de pire qu’un homme frustré, avide de vengeance.

-Et que voulez-vous à présent? demande Judy crânement.

-Moi? Rien!

-Comment puis-je vous venir en aide?

-Si vous ne voulez pas être mêlée à ça, encore moins, vous faire tuer, il va falloir vous cacher très loin, lâche-t-il sèchement. Je peux vous l’assurer.

Les battements du cœur de Judy s’affolent. Et tout à coup, elle est comme frappée d’aphasie.

-Mais… mais… mais de quoi parlez-vous? crie-t-elle presque. C’est scandaleux! Comment pouvez-vous? Je dois vous demander de partir. Vous êtes cinglé?

-Non! Si je l’étais comme vous dites, je serais peut-être parmi l’un de ces cadavres, reconnaît-il en faisant un signe du menton en direction de la télé où, l’édifice de la prison, prête à sombrer, ne  résiste plus aux goinfreries des flammes avides.

-Si je suis encore là, c’est vous dire que je sais parfaitement ce que je fais, et j’ai bien l’intention de trouver qui tire les ficelles.

-Ficelle? Quelle ficelle? Vous êtes… Vous êtes un évadé de prison? demande Judy peu sûre d’elle.

-Vous ne croyez pas si bien dire, et sachez que je ne vais pas y retourner de si tôt.

Il y a vraiment une lueur de détermination qui brille tout au fond de ses yeux, qui s’assombrissent tout à coup, lorsqu’ils entendent une sirène tout au loin.

-Elle n’a pas perdu son temps, hein la mémé! Allez, sortez-moi d’ici, dit-il en la prenant par le bras.

Ah, oui!

Ça explique pourquoi Maria a eu ce comportement bizarre tout à l’heure. Comment pouvait-elle ne pas le reconnaître? Maria Castra était au service de son père, elle faisait partie du cabinet bien avant même que Judy ait eu l’idée de suivre les traces de son père. Judy se le rappelle comme si c’était hier. Elle n’a pas toujours été une mémé comme le dit ce hors-la-loi. Judy connaissait Maria alors qu’elle était encore jeune et très belle, Judy, elle, n’était alors elle-même, qu’une enfant. Elle n’avait pas plus de six ans. Eh oui, Maria l’avait vu grandir. À la mort de sa mère, elle a su la chérir et la protéger. Tout à l’heure, elle voulait l’éviter de tomber sous les serres de ce meurtrier, mais elle n’a rien su comprendre. Comment son père eût-il à le défendre?

-Passez par cette fenêtre, et vous gagnerez une ruelle. Avec beaucoup de chance, vous pourriez vous échapper.

Judy fait monter la fenêtre guillotine pour le laisser passer. Mais, au lieu de s’exécuter, il lui prend la main.

-Vous voulez rester en vie?

La jeune femme regarde sans comprendre, lorsqu’il lui prend la main.

-Venez avec moi… C’est du sérieux.

-Non, pas question! refuse-t-elle en retirant vivement sa main dans la sienne, comme si la douceur de sa main l’avait brûlée.

-Vous êtes en danger! Je saurais vous protéger.

-Je ne bougerai pas d’ici, lâche-t-elle d’une voix hésitante. Alors, partez pendant qu’il est encore temps. Ils sont là d’une minute à l’autre.

Il saisit brièvement sa main, une poigne vigoureuse cette fois, décidée.

-Faites-moi confiance!

Un inconnu, de surcroît un prisonnier en fuite, pourquoi lui ferait-elle confiance?

À cet instant, leurs regards se croisent. Celui de l’homme presque suppliant, celui de la jeune femme, un peu surpris.

-S’il vous plaît, allez-vous-en, murmure-t-elle toute tremblante d’émotion.

L’homme se fige, sombre, les mâchoires serrées. Avec un effort visible, il lâche sa main et laisse entendre d’une voix désespérée :

-Croyez-moi ou non, je suis votre seule chance.

***

La jeune femme reste interdite quelques bonnes minutes après que le fugitif ait quitté les lieux. Ses dernières paroles résonnent encore dans sa tête.

-Ouvrez la porte!

Sans l’intervention des forces de l’ordre, Judy aurait pris racine devant la fenêtre.

-Ouvrez la porte! Sinon, nous allons devoir la défoncer!

À cet avertissement, elle rabaisse la fenêtre et fait à peine quelques pas vers la porte, que celle-ci s’abat sous ses yeux, dans un bruit de choc épouvantable. Abasourdie, aveuglée un moment, Judy croit qu’elle allait mourir sous l’effet de la grenade fumigène qui vient d’être lancée.

-Ne bougez pas, intime la voix sonore du chef de l’équipe. Mettez vos mains bien en vue!

-C’est quoi ce cirque? hurle-t-elle hors d’elle à la vue des hommes encagoulés, tout de noir vêtus, lourdement armés qui investissent son bureau.

Tétanisée, Judy se sent déjà dépassée par l’événement qui se profile.

-S’il vous plaît, laissez-moi sortir, geint-elle, déjà sur le point de suffoquer.

Elle commence à perdre son souffle à l’intérieur, toussotant, elle se fraie un chemin en levant les mains dans l’épaisse fumée violette, pour aller se mettre devant l’embrasure de l’ancienne porte.

-Mais, que me voulez-vous? crie-t-elle presque.

L’un d’eux se saisit d’elle, avant de croiser ses bras derrière son dos, comme pour la maîtriser. La poussant dans le couloir comme une vulgaire voleuse.

-Une information de bonne source, nous ferait croire qu’un évadé de prison se trouverait ici, déclare l’inspecteur précédant la troupe.

-Pourquoi un évadé serait-il ici? N’est-ce pas un repris de justice? Ne suis-je pas une femme de loi? avance-t-elle agacée, les yeux larmoyants, une fois qu’on l’a relaxée.

-Vous ne croyiez pas si bien dire, observe l’inspecteur d’un ton légèrement amusé.

-Allez-y fouiller partout, je n’ai personne ici. Les genoux tremblants, elle s’efface pour laisser entrer l’inspecteur qui embrasse la pièce d’un regard inquisiteur, en se dirigeant vers la fenêtre  que l’homme a utilisée tantôt pour s’échapper.

-Boucler ce périmètre, ordonne-t-il à ses hommes qui, comme des machines, défilent encore pour quitter les lieux aussi rapidement qu’ils y étaient rentrés.

-Je crois qu’on vous a dérangé pour rien, monsieur, ose-t-elle. Regardez-moi, ce raffut.

-La personne qui a appelé, a donné exactement votre adresse, comment comprenez-vous cela?

-Oui? interjette la jeune femme, en avalant péniblement sa salive. Je n’arrive pas à comprendre. C’est probablement quelqu’un qui a voulu me jouer un mauvais tour, ajoute-t-elle simplement.

L’homme relève les yeux vers elle, comme tombé des nuées.

-Voyons! Qui voudrait plaisanter avec une chose aussi sérieuse, mademoiselle? dit-il dans un rire moqueur.

-Je ne sais pas, moi! C’est donc à vous de me dire. Peut-être quelqu’un qui veut entraver ma vie professionnelle, ment-elle avec audace. Regarder, vous avez failli me tuer! Ce n’est pas vrai, émet-elle comme pour elle-même, en s’essuyant les yeux rougis par le gaz. Son nez coule presque.

Mais pourquoi s’est-elle fourrée dans ce pétrin? Elle l’avait aidé à s’enfuir, et à présent, elle se met à mentir pour lui.

Qui est-il?

Un fugitif.

C’est tout ce qu’elle sait de lui pour l’instant. Un malade sortit de nulle part, venir lui parler de danger. Et, quoi d’autre? Ou peut-être encore, qu’il est sa seule chance

Pourquoi le protège-t-elle? Lui, un meurtrier. Mais, n’a-t-il pas dit qu’il était innocent? Bon, oui! On est tous innocents ici-bas.

-Étant l’auxiliaire de la justice, je suis à votre service maître!

Il sourit légèrement et Judy tant bien que mal essaie de masquer son intense satisfaction. Mais quelle satisfaction? Le fait de s’être payée la tête de l’inspecteur?

-Donc, si vous avez quoi que ce soit de nouveau à ce sujet, n’hésitez pas à m’appeler.

Il lui tend sa carte de visite avant d’ajouter :

-Et, faites-moi parvenir les factures de réparation.

-Comptez sur moi, assure-t-elle en le suivant dans le couloir, les jambes en coton.

Judy lui en est reconnaissante de s’être décidé à mettre un terme à cette malencontreuse rencontre, car déjà, elle brûle d’envie d'en savoir beaucoup plus sur ce prisonnier en cavale.

Où est-il en ce moment?

Loin d’ici sans doute.

Il l’avait dit lui-même : il n’a aucune envie de se faire prendre. D’ailleurs, qui n’aime pas la liberté? Vouloir l’obtenir ne devrait pas en soi être un crime.

-Désolé madame pour le dérangement, dit l’inspecteur en s’adressant à Maria. Nous n’avons trouvé personne à part cette charmante jeune femme. Vous êtes sûre que l’homme dont je vous ai montré sur la photo était bien ici?

C’est évident qu’il n’a pas cru Judy une minute. Dans le cas contraire, pourquoi insiste-t-il alors? Judy croise les doigts et prie pour que Maria ne la contredise pas. Autrement, ce sera la confusion totale. La parole de Judy, contre celle de Maria. Des deux, qui diraient la vérité? On va devoir les conduire au poste pour plus de précisions.

Maria secoue la tête.

-Non, je n’ai pas dit qu’il était ici. J’ai dit que je le connaissais, lâche-t-elle hésitante. C’est deux choses.

Judy se garde un ouf de soulagement. Mais lui n’en reste pas là.

-Vous le connaissez? reprend-il d’un air suspicieux, en fronçant les sourcils.

Maria eut un geste embarrassé.

-Oui, l’homme que vous m’avez montré sur la photo est en fait un client du cabinet… Fut. Je suis désolée. J’ai sûrement mal interprété votre question.

-Vous n’avez pas à être désolée madame, je vous assure.

C’est n’importe quoi.

Si Judy avait aidé l’homme à s’enfuir, c’est qu’elle avait de très bonnes raisons. Maria, elle-même, ne pouvait faire autrement que de mentir, pour protéger les arrières de cette jeune effrontée. Elle ne sait pas ce qu’elle avait fait. Jusqu’à ce que la police ait retrouvé cet homme, elles pourraient ne jamais avoir une seule minute de répit. D’ailleurs, l’agent de police n’est pas dupe, il connaît bien son travail.

-Où qu’il soit, nous allons le retrouver, continue-t-il pour dire. Même s’il faut remuer tout le pays, rassurez-vous.

Mince! L’affaire commence à prendre une vive couleur. Le visage de l’homme  change soudain. Il observe Maria avec une insistance qui fait trembler Judy qui vite fait, détourne les yeux pour ne pas se faire prendre. Pourtant, il ne faut pas. Elle doit faire quelque chose. N’est-elle pas l’auteure de cette situation qui se déroule là maintenant au cabinet? Elle aurait dû le retenir au lieu de le supplier de partir. Ou du moins, elle aurait dû avouer, qu’il s’était échappé par la fenêtre, on n’allait pas l’arrêter pour ça. À l’heure qu’il est, elles ne seraient pas sujettes à toutes ces interrogations stressantes, qui lui donnent mal au ventre.

Judy joint étroitement les mains et les sent moites de sueur.

-Oh, Seigneur! pense-t-elle avec désespoir. Qu’est-ce que j’ai fait? Qu’est-ce que j’ai fait? Écouter inspecteur…

Il se retourne vers Judy. Mais, Maria eut juste le temps de dire :

-Je me suis déplacée pour recevoir un colis… Je ne sais pas, moi. Sinon, je n’ai vu personne.

-Un peu plutôt dans la journée, j’ai reçu un ami, mais il n’a rien à voir avec un évadé de prison! C’est un ami de vieille date, nous avons fait nos études universitaires ensemble, sauf que je suis rentrée au pays, lui est resté à Lausanne. Il y a seulement deux jours qu’il est rentré, et il a pensé à me rendre une petite visite, explique Judy, d’un ton désinvolte. Votre indic s’est sûrement trompé de personne…

Non, mais cette fille a raté sa vocation, elle aurait fait une brillante carrière dans le cinéma. Elle est tellement à l’aise dans son rôle. Elle regarde Maria au fond des yeux, avant de se retourner vers le commissaire, avec une toute nouvelle assurance.

-Je crois que ce fut une regrettable erreur. En plus, Jean-Luc est le seul homme que nous ayons reçu de toute la journée, corrobore-t-elle.

Après un court instant de réflexion, le commissaire qui n’aime pas du tout qu’on se paye sa tête  ordonne d’un ton sec :

-Faites-moi voir le colis que vous avez reçu madame. Après, vous allez me donner les coordonnées de votre ami pour suite nécessaire.

 

A suivre

Isabelle Théosmy

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