Mon amour, mon geôlier

Acte XIII ( dernière partie)

Judy dormit très peu cette nuit-là. Pendant de longues heures, elle réfléchit, a tellement de choses, surtout à l’idée fixe qui la hante depuis quelque temps, qu’aux premières lueurs de l’aube elle est déjà debout. Elle se rend à l’adresse que lui a trouvée Mercedes, dans le but de parler avec la mère de Thierry, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle espère trouver. Mais, ça lui est venu comme ça. Et, elle compte faire confiance à son intuition. Au volant, Judy est loin dans ses pensées. Elle s’est gardée d’en parler à quiconque, pas même à sa cousine. Elle l’aurait dissuadée. Elle prétexte un rendez-vous chez l’orthophoniste, dans le cadre des multiples rendez-vous qu’elle effectue ces jours-ci en prélude à son intervention. Que va-t-elle soutirer de cette vieille dame qui vient de perdre son fils?

En effet, la maison ne se situe pas trop loin de la ville. Une petite maison protégée par un massif de Bougainvillées dont les feuilles sont entourées de fleurs d’un rouge violacé. Judy arrête le moteur et descend de la voiture. La douce chaleur du soleil qui se lève, lui procure une drôle de caresse sur la peau. Derrière la clôture blanche en bois, tout au fond de la cour, il y a un petit chien qui a remarqué sa présence, et vient à sa rencontre avec des aboiements aigus, plutôt gais que dissuasifs. Une silhouette se détache dans l’encadré de la porte qui s’ouvre. Une femme, une sexagénaire, moins vieille que ce qu’elle aurait pensé, une couronne de bigoudis en éponge sur la tête. Derrière ses larges lunettes, elle cherche à reconnaître la jeune femme qui s’amène.

-Va coucher Tito!

Le bichon, avec des petits sauts de joie, s’élance à chaque coup, vers la nouvelle venue.

-Bonjour, dit seulement Judy, n’ayant pas encore trouvé autre chose.

-Bonjour…

-Je cherche la maison de Thierry, s’il vous plaît.

La dame détaille un court instant Judy qui tente de mettre de l’ordre dans ses cheveux, lisse des plis imaginaires sur sa robe, dans l’espoir de faire bonne impression.

-Vous êtes une amie de Thierry? Entre donc, dit-elle en s’effaçant pour la laisser rentrer, en refermant la porte derrière elles.

Judy la suit à l’intérieur de la maison.

Le salon est une grande pièce inondée de la lumière du soleil qui pénètre à travers les jalousies. Judy s’assoit et regarde l’horloge avec l’effigie empruntée du Christ blanc. 9h05.

-Je vous apporte du café.

Sans que Judy n’ait eu le temps de réagir, elle disparaît déjà.

Judy laisse ses yeux se promener sur les décors de la pièce. Sans fantaisie. Un peu strict, mais le confort est là. Quelques portraits sont accrochés au mur… Des morceaux de souvenirs. Judy se lève pour regarder un peu plus près. Perdue dans ces parcelles du temps, elle ne l’entend pas revenir.

-Je ne suis pas à ma première fois. J’ai perdu mon mari et mon fils premier-né dans un accident.

Judy sursaute.

-Désolée, si je vous ai fait peur.

-Non, ça va, dit Judy en reprenant place.

-Il me trompait, lorsque je l’ai découvert, je voulais partir… Moi et Thierry étions dans la voiture… Il était bourré comme un cochon.

Elle s’assoit à son tour et respire longuement, comme se déchargeant d’un poids.

-Peut-être que j’aurai dû laisser mon fils en dehors de ce passé qui nous a laissé tellement de cicatrices. Une nourriture empoisonnée.

Judy la regarde, sans oser troubler son chagrin, par des pourquoi et des comment. Elle lui fait pitié. Une mère ne devrait pas avoir à subir ça. Avons-nous conscience que nos actes peuvent avoir des conséquences désastreuses sur nos proches? Sa mère savait-elle qui il était véritablement? Est-ce cela qui l’a poussé au suicide? La peur de ne plus pouvoir regarder sa mère dans les yeux? La dame porte une main à sa bouche pour étouffer sa tristesse. Mais, personne ne lui en voudra de déverser son amertume.

-Il m’avait promis de prendre soin de moi… ajoute-t-elle en versant le café fumant dans une petite tasse blanche. Voilà, qu’il m’a abandonnée…

-Laissez-moi vous aider, lui dit la jeune femme avec un tremblement d’émotion dans la voix.

Elle ressent tout à coup une soudaine empathie pour cette dame.

Judy remplit sa tasse et sa jumelle, la vieille dame profite pour en mettre une petite cuillère à café de sucre à la tasse qu’elle a choisie.

-Vous voulez du sucre?

-Non, merci, je ne prends plus de sucre…

-Un peu de crème alors? Aussitôt, elle en ajoute une petite quantité à la tasse de Judy.

Elle ne sait pas encore s’il y a d’autres âmes dans la maison, une maison très bien entretenue. Sans doute qu’elle y vit seule? Dans ce cas, le chagrin finira par l’ensevelir, quand les flots du passé auront à ressurgir dans des moments de grandes solitudes. Elle est déjà passée par là. Mais, sans doute perdre un enfant, c’est pire. Par où, il est passé? Tito est sorti de nulle part, remuant la queue, il arrive tout droit vers Judy pour lui lécher la main.

-Tito! fait mollement la dame d’une voix indignée.

-Laissez-le, j’adore les animaux, lâche tout à coup Judy avec un pincement au cœur, au souvenir de son chat qui vient de mourir aussi dans des conditions non encore élucidées. Elle lui caresse gentiment la tête. Satisfait, le petit chien s’assoit à ses pieds comme un ami de vieille date.

-Vous savez, il m’avait appelée récemment pour me dire qu’on sera bientôt ensemble, il voulait m’emmener en vacances… Mais, il savait que je ne le reverrais jamais…

Elle s’arrête comme si elle pensait à ces moments qu’elle ne connaîtra plus jamais avec son enfant.

-J’ai toujours eu envie de visiter l’Égypte… La pyramide de Gizeh… Je suis fascinée par l’Égypte ancienne. Elle regarde Judy, droit dans les yeux. Je ne sais pas trop pourquoi je suis là à pleurnicher, comme une petite-fille, devant tant de rêves froissés, alors que c’était à moi de le protéger. Je ne vous ai même pas demandé comment vous vous appelez?

***

-Judycaëlle Vénus Bernardy.

-Vous avez des enfants?

-Oui, j’ai deux filles. Mae et Megan.

-Très bien. Pouvez-vous compter de 1 jusqu’à 10?

-1... 2... 3...

La peau du crâne a été incisée et rabattue pour découvrir l’os en regard de la tumeur. Le crâne et les méninges sont ouverts sur quelques centimètres. Toujours sous anesthésie locorégionale, on a réveillé Judy pour pouvoir identifier les parties à ne pas léser, en délivrant de petites impulsions sur les zones avoisinantes de la tumeur et observer ainsi, les fonctions qu’elles contrôlent. Cet exercice s’effectue dans le cadre de son opération pour extraire du moins, le maximum du volume tumoral.

-Pouvez-vous nous dire ce que vous voyez?

-C’est un train…

-Et ça?

-Une maison… Un papillon… Un ananas…

L’orthophoniste lui pose des questions en lui montrant des images, tout en rapportant à la chirurgienne tout éventuel dysfonctionnement. Cette dernière délimite avec un stylet les régions dans le cerveau en rapport avec le langage, la motricité, la vision… qu’elle identifie avec des petites étiquettes, en se faisant aider par la neuronavigation. Une technologie qui allie informatique et imagerie médicale, où un système de caméras met en correspondance les images du cerveau telles qu’elles sont enregistrées en direct, avec celles en 3D, qui ont été reconstituées auparavant. Cette technique rend l’ablation plus précise et amenuise les risques de séquelles liés à l’intervention, car elle a permis aussi au médecin de s’entraîner avant l’opération grâce à des simulations. À défaut d’hypnose, on lui fait entendre de la musique, comme elle le voulait. Une fois qu’on aura délimité les zones à préserver, on va la rendormir pour enfin ôter cette masse infectée qui semble vouloir lui pourrir la vie. L’exérèse aura duré 20 heures.

***

Gail regarde Judy allongée à la lumière dorée de la bougie qui ne forme plus qu’un îlot se baignant dans une mare de cire rouge parfumée. Il sourit et lui caresse tendrement le poignet, avant de glisser sa main dans la sienne. Elle regarde leurs mains jointes. Il serre encore davantage sa main, avec une énergie semblable à une promesse éternelle. Après tout, Judy s’abandonne au plaisir d’être seule avec l’homme de sa vie. Il dépose un chaste baiser sur son front. La soudaineté du baiser la surprend. Pourtant, il aime tellement l’embrasser sur le front. Lisa sourit doucement. La sincérité de cet homme la transcende. Avec un geste protecteur, il l’attire au creux de son épaule. Doucement, elle se laisse pénétrer par la chaleur de son corps qui la réconforte. Elle est rentrée du centre traumatologique Louis Pasteur, où elle a passé plus de quatre semaines pour réadaptation, sous la surveillance de praticiens thérapeutes expérimentés, tels physiothérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes…  Elle guérit très vite et maintenant, elle a besoin de récupérer, mais surtout de s’adapter à sa nouvelle situation. Au début, on pensait que c’était dû à l’œdème dans son cerveau, mais aujourd’hui, elle croit que c’est sans doute le prix à payer. En dépit de tout, elle est prête à aller de l’avant. Elle a deux superbes enfants qui fêteront bientôt leur premier anniversaire. Quelle chance! Un homme qui lui prouve jour après jour que l’amour existe vraiment, et ce n’est pas qu’un mot creux… Elle a une cousine adorable qui ne veut plus la quitter… Plus jamais! Nanie, Patricia, maintenant Hortense et Tito, qui font partie de la famille. Pourquoi se plaindre? N’est-ce pas merveilleux que d’être entourée d’amour? Gail est la preuve. Judy l’étreint doucement, alors qu’une légère brise rentre à travers la fenêtre pour éteindre le dernier souffle de la bougie, en ne laissant que le parfum. La chambre est maintenant baignée dans le noir. Une chose est sûre, elle n’a plus peur…

***

Ce matin, Judy s’est réveillée la première. Elle se lève pour aller à la salle de bains. Elle prend un moment pour se regarder dans le miroir. Un peu étrange, avec ces cheveux courts sur la tête, qui ont toutefois poussé. Elle passe doucement sa main sur sa tête. Le tissu tumoral délogé, les méninges recousues, l’os reposé et refixé au reste du crâne par des attaches métalliques et enfin, la peau a été suturée pour cicatrisation. La cicatrice s’était refermée au bout d’une semaine. On a toujours du mal à enlever la totalité d’une tumeur infiltrante. Mais, après la chirurgie, on avait introduit directement dans son cerveau un petit disque pour diffuser des agents chimiothérapeutiques dans les tissus cérébraux. Elle aura à faire une IRM, tous les trois mois. Sa figure et ses yeux étaient tous gonflés. Même si elle vient de se réveiller, elle trouve que son visage commence à reprendre son aspect habituel. Elle passe une main sur sa joue… Elle a eu tort d’avoir eu si peur… D’avoir pensé à toutes ces horreurs. L’anxiété, c’est comme marcher avec un parapluie sur la tête en attendant l’arrivée de la pluie. Parfois, il ne se passe rien. Ou rien ne se passe comme on l’avait imaginé. Elle pensait qu’elle allait mourir, voilà qu’elle est encore là, mais qu’elle n’arrive plus à s’exprimer comme avant. Elle qui avait fait du verbe sa passion… Toutefois, aujourd’hui, elle veut faire confiance à la vie.

Gail est réveillé. Elle le voit arriver dans le miroir. Il l’entoure de ses bras et l’embrasse dans le cou. Elle frissonne du bien-être que lui procure cette simple caresse.

-Tu as bien dormi?

Elle se retourne pour lui faire face. Il lui prend la main, et la regarde au fond des yeux. Les mots sont dans sa tête, mais, elle n’arrive pas à les prononcer convenablement. Elle fait oui de la tête.

-Tu sais mon amour, tu ne dois pas avoir peur de parler, d’essayer… Tu sais que je suis là pour toi. Et, je sais que tu vas y arriver, je te fais confiance. Tu es tellement forte, je suis tellement fier  de toi… Je ne regrette pas le jour où, j’ai posé les yeux sur toi pour la première fois…

Judy sourit et Gail la prend dans ses bras pour l’apporter sous la douche. Un peu après, ils descendent ensemble à la cuisine, préparer des œufs au bacon, des toasts et du jus de fruits. Ensuite ils remontent dans leur chambre prendre leurs petits déjeuners au lit.

***

Étendu sur l’herbe verte, Gail est assis avec Judy allongée sur ses jambes. Là-bas, les enfants jouent avec Daisy qui jette des mies aux canards sauvages. Un pique-nique en famille, que demander de plus, un beau dimanche matin, sous un ciel infiniment bleu? Gail fait la lecture à Judy. Elle essaie de rester concentrée, mais ses pensées l’emportent ailleurs. Ce n’est pas comme si elle avait cessé d’être elle-même avec ce handicap. Au fond d’elle, une lutte intérieure s’est insidieusement installée. Souvent, elle fait de gros efforts pour garder son calme. Heureusement qu’elle comprend et peut encore écrire, elle n’arrive seulement pas à trouver les mots, ou, les déforme quelque peu. Elle pense à recommencer la peinture. Pourquoi déjà avait-elle abandonné ce superbe talent? Son père disait qu’elle était brillante, mais cela prenait trop de temps, il y avait les études… Avec ce changement survenu à ce moment dans sa vie, certains se mettront à dire qu’elle ne sera plus jamais elle-même… Peut-être… Mais, il faut certainement apprendre à repenser la vie autrement. Il n’existe pas qu’une façon de communiquer. En pensant à son père, elle se fait du souci à l’idée de ne plus pouvoir communiquer normalement avec ses filles. Il y a tant de choses qu’elle ne les a pas encore dites… Tant de choses, qu’il reste à leur dire… Tant de choses qu'elle aurait aimé leur dire, là maintenant. Hortense lui apprend pour pallier la langue des signes. Les autres ont aussi trouvé intéressant de participer. Hortense, ce cadeau du ciel. C’est après tout un langage comme les autres. Cependant, elle souhaite tellement pouvoir parler à nouveau. Dans le cadre de sa rééducation, Gail lui fait souvent la lecture, et elle écoute aussi beaucoup de chansons… Il y a aussi les séances avec l’orthophoniste. Elle voudrait ne plus lire cette gêne sur le visage de ses vis-à-vis. Ce sentiment de pitié. Elle voit bien que sa nouvelle situation met à mal son entourage. Elle tente de ne rien montrer, mais elle sait qu’ils souffrent à cause d’elle, de son état. Elle a cette soudaine envie d’apprendre à méditer pour pouvoir étouffer ses angoisses, ces montées de colère qui pourraient lui être malheureuses. Comment apprivoiser tous ces sentiments qui s’emparent d’elle? Elle a tellement peur qu’ils se découragent et l’abandonnent. Bien que jusqu’à présent, personne n’ait fait montre d’un quelconque signe de faiblesse. L’attention et le soutien qu’ils lui témoignent restent à ce jour, inconditionnels. Tout compte fait, Judy pense à prendre quelques jours, seule à seule avec elle-même dans une retraite en Thaïlande. Elle pense à l’île de Koh Yao Noi.

***

Lorsque Judy avait proposé à Hortense de rejoindre Les filles d’Agnès, elle n’avait pas hésité. C’était le seul moyen pour Judy de protéger les arrières de cette femme qui a déjà vu des couleurs par le passé. Hortense a passé plus d’une trentaine d’années dans l’enseignement. Et déjà, elle a montré son sens de l’organisation à Judy qui est émerveillée de voir l’engouement avec lequel elle prépare la rentrée scolaire d’octobre prochain, comme directrice académique. Un poste, un passe-temps, une bouée de sauvetage pour la sauver d’elle-même. L’empêcher de rejoindre à la nage sur les vagues des réminiscences, les flots de ce passé qui ont fini par engloutir son seul enfant. Judy malgré sa situation est très attentive à Hortense, qui lui parle pour soulager ses maux, passés et présents. En plus, Judy fait tout son possible pour cacher la véritable identité de cette dame dont le fils était soi-disant responsable de cette suite vertigineuse, où elle n’avait pas vu d’issue possible. Peut-être qu’il était à lui seul, l’unique instigateur de ce projet? Depuis qu’il est mort, plus rien… Sincèrement, Judy ne pense pas que sa mère représente un danger pour eux… Vue qu’elle ignore vraiment tout de leur passé, ou de Gail en particulier. À cause des manœuvres scabreuses de son fils, il a failli finir ses jours en prison. Et aujourd’hui, il a perdu sa vie, un prix à payer pour ses horribles méfaits, mais il n’est qu’une victime lui aussi. Judy ne pense pas avoir bien fait… Mais, elle voulait juste tendre la main à cette femme-là, tellement gentille… tellement bonne… avec un si grand cœur… Seigneur! Assise dans le canapé, à l’heure du café, elle est tourmentée à l’idée de cette nouvelle situation qui prend corps. Ses mains sont froides, presque glacées… Peut-être qu’il faudrait tout dire à Gail, de ce que Hortense lui a raconté. Là maintenant, ils ne peuvent plus se faire de secret. Elle se demande comment Gail va prendre cette omission, si ce n’est comme une trahison. Elle se lève pour quitter le petit groupe. De ce pas, elle s’en va voir Gail.

Il travaillait au bureau, assis face à son ordinateur. Lorsqu’elle ouvre la porte, il se tourne vers elle, et baisse l’écran. Arrivée près de lui, il lui prend la main et la regarde un instant pour lui demander :

-Tes mains sont gelées, tu vas bien?

Il se lève pour prendre Judy, en lui faisant une place sur le bureau.

-Qu’est-ce qui te tracasse?

-Désolée… commence-t-elle.

Elle ferme les yeux pour essayer de fouiller dans sa mémoire et trouver les mots justes.

-Ce n’est pas grave, lui rassure-t-il. Continue…

-Hor… Hortense… est… la… Elle se gratte la tête, avant de décider de s’emparer d’une plume et d’un carnet. Mais son attention s’est vite détournée en faveur de la clé qu’elle reconnaît.

-La bis… non… ce n’est pas ça… la… je sais… je sais… dit-elle en secouant la tête et en se frottant le front pour que le mot lui vienne.

-Ce n’est pas grave. USB… C’est une clé USB. Oui, on l’a retrouvée… Mais, je ne tenais pas à t’importuner avec tout ça.

Elle se saisit du calepin pour griffonner quelque chose.

-Je sais, répond l’homme avec sérénité. Il y a longtemps de cela, quelques dizaines d’années, alors qu’il gérait les affaires de la famille, mon beau-père a tenté non seulement de mettre un terme à leur relation, mais aussi de renvoyer son amant, qui était aussi son collaborateur. Il semble que l’homme ait tenté d’arrêter sa femme qui voulait partir, vue la gorge chaude que cette situation a créée. Hortense était alors enceinte de leur second enfant… en l’occurrence Thierry. Mais, cette tentative s’est soldée sur un accident. Apparemment, son mari qui était sous l’emprise de l’alcool, lui avait pris le volant.

Judy porte une main à sa bouche. Elle qui croyait garder jalousement ce secret. Elle blêmit de honte mais parvient à dire tout de même.

-C’est une histoire douloureuse…

-En effet, mais ma mère à travers la société, quand son mari s’est retiré, a fait de son mieux pour compenser à la situation en prenant en charge, les études du petit… on a même donné à la mère une allocation mensuelle. Plus tard, il a été intégré, comme c’était le vœu de ma mère. Je ne sais pas ce qui s’est passé? Était-ce le désir de se venger?… Ou le désir de s’enrichir rapidement… Gail passe une main lasse sur son visage. Mais, il n’ose encore rien toucher à Judy sur ces récentes découvertes. Les activités post mortem de son cousin sur des comptes offshores aux Îles Caïmans. Hayk qu’il a été identifié à la morgue… de ses yeux, il a vu son cadavre… Rigide. Les muscles contractés du fait de la libération du calcium dans leurs cellules. C’était plus ou moins six heures après le décès.

-Et… Hortense? Tu crois…que…que Hortense a quelque chose à voir avec tout ça? Tu crois qu’elle a mani… manu… mandibuler? Son fils?

Voilà ce qu’est l’aphasie de Broca. Ce n’est pas que la personne ait oublié certains mots et se rappelle d’autres. Cela peut choisir de venir ou pas, en fonction des circonstances. Est-ce la raison pour laquelle il est préférable de faire des phrases toutes simples.

-Ce n’est pas bien grave, répète, ma-ni-pu-ler.

-Ma-ni-pu-ler! Manipuler! C’est ça?

-Formidable!

Thierry aurait pu très bien être manipulé, mais sa mère n’était pas la main derrière tout ça. Gail est certain que ces nouvelles données, dont il dispose, ne sont pas sans importance.

-Toi, tu l’as aimée et tu as voulu la protéger, en dépit du fait que tu savais qui elle était, tu n’as pas douté d’elle. Tu lui as ouvert les portes de ta maison… Tu n’as pas pensé à toi, au danger qu’elle pourrait représenter pour nous, dit-il en lui caressant la joue. Mais tu as pensé à elle, qui avait besoin d’un réconfort.

Nous avons tous une deuxième chance, mais tout cela ne dépend que de nous. C’est à nous de décider, sur quel pied repartir, quand il faut tout recommencer, repartir de zéro. Parfois on se fait tellement de mal à ne pas vouloir laisser l’amour remplacer la haine et la déception… Mais, quand l’amour arrive à temps et qu’on lui fait confiance, il peut rejaillir de façon spectaculaire.

-Je suis sûr qu’elle a compris que tu es une femme extraordinaire, si toutes fois elle a quelque chose à voir avec tout ce qui s’est passé, on l’a à l’œil. Qu’elle tente de continuer, elle finira ses vieux jours en prison. Car, elle aura fait beaucoup de mal aux autres et en même temps, à elle-même. Il s’arrête un moment, pensant sans doute que le danger rôde encore autour d’eux. Non pas à cause de Hortense.

-Je vous aime tellement toutes les trois… Et, je vous promets de vous protéger contre vents et marées.

Il la regarde au fond des yeux un instant, et lui dit :

-Je veux qu’on retourne vivre chez nous.

-Chez nous? reprend Judy non sans surprise.

-Oui mon amour, là où je suis, là est ta place, on a besoin de moi, là-bas. Après tout, on a le droit d’être heureux à l’abri des tourments…

-Daisy, peut…venir?

-Tout ce que tu veux mon amour. Si je suis passé par tout ce chemin, juste pour te retrouver, je ne peux que t’obéir ma reine, tu es ma loi, tu es tout pour moi!

-Oh, Gail…

N’arrivant pas à prononcer le mot, Judy, bloquée par l’émotion, croit plus simple de le lui dire en langage des signes.

-Toi aussi, tu es une femme magnifique, c’est pour cela que je t’ai aimé sans un mot dès le premier instant où j’ai croisé ton regard. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Judy sourit et Gail la prend dans ses bras pour l’embrasser comme jamais auparavant. Un baiser enflammé, au goût d’éternité. Gail remet ses appréhensions à demain.

Sous ses doigts, Judy glisse légèrement dans les profondeurs les plus secrètes, les plus mystérieuses du plaisir…

FIN

Isabelle Théosmy

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