Pour Dany Laferrière « Les livres de Maryse Condé sont gorgés de soleil »

La grande écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé s’est éteinte ce 2 avril 2024. De très nombreuses réactions sont tombées provenant de Monsieur tout le monde francophone. Dany Laferrière l’heureux auteur de : « L’ odeur du café » et « Autoportrait de Paris avec chat » n’est pas en reste dans une lettre adressée à l’ autrice défunte, Dany Laferrière évoque des souvenirs attachants et frôle les pages du récit de la vie de Maryse Condé dont l’existence était dédiée à la littérature.

Lorsque la romancière guadeloupéenne, morte dans la nuit du 1er au 2 avril 2024, reçut en 2018 le «prix Nobel alternatif» de littérature, l’auteur canadien envoya une lettre émouvante à cette «petite fille submergée par l’émotion qui casse tout sur son passage». Née en Guadeloupe en 1934, Maryse Condé est une journaliste, professeure de littérature et écrivaine de renommée mondiale. Elle a travaillé comme journaliste culturelle à la British Broadcasting Corporation (BBC) et à Radio France internationale (RFI). Fondatrice du Centre des études françaises et francophones à l’université Columbia, elle contribue ainsi à faire connaître la littérature francophone aux États-Unis. Elle a publié de nombreux romans ancrés dans la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, dont Ségou et Moi Tituba, sorcière.La disparition de Maryse Condé a jeté une onde de choc dans le milieu littéraire francophone. Parmi les réactions qui se sont enchaînées après sa mort , il y a celle de l’ académicien Dany Laferrière Pour l’auteur de Le cri des oiseaux fous, les livres de Maryse Condé sont gorgés de soleil. Le National publie l’intégralité de cette lettre.

« «Je me souviens qu’apprenant que j’étais mal logé à New York tu m’as invité dans cet appartement que l’université de New York avait mis à ta disposition. On a passé trois jours à causer. Je nous revois, toi, ton mari et moi discutant d’Haïti, d’écriture, de cuisine antillaise, de voyages et de traduction. J’étais à l’endroit où je voulais être, avec l’impression que je vivais un moment inoubliable. Je m’attendais à tout moment à voir apparaître Toni Morrison. Mais aussi Richard, cet homme qui partage ta vie depuis si longtemps, à la fois ton mari et ton traducteur, je crois qu’une bonne part de ce prix lui revient. Je le vois rougir et faire ce geste désinvolte de la main, comme pour chasser la mouche de la vanité. Et je sais que tu descends, seule, au fond de la mine. Pour remonter à la surface, c’est la main de Richard que tu attrapes. Tu la sais sûre.

«Il y a à peine deux semaines, j’étais à Manosque avec [l’écrivain franco-congolais] Alain Mabanckou pour le festival littéraire et, le sachant par ton médecin, tu as enregistré un mot d’amitié à notre endroit. J’étais abasourdi de te voir dans ce lit d’hôpital en train de sourire tout en articulant péniblement un sentiment si puissant. D’où tires-tu, Maryse, ce lait de tendresse ? Pour tous ceux qui se rappellent d’un éclat de colère, d’un regard sombre et ombrageux ou d’une critique acerbe qui s’allonge dans une diction lente, je me souviens de ce sourire qui fleurit sur des lèvres si sensuelles.

Voilà que près de trente-cinq ans après Ségou la gloire est revenue. Je sens d’ici ton regard voilé, mais où brille tout au fond la fierté d’une petite fille si turbulente qu’on la croyait insolente. C’est l’image que je garde de toi : une petite fille qui casse tout sur son passage parce qu’elle est submergée par une émotion qui l’entraîne vers une mer d’encre. »

 

Schultz Laurent Junior

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