L’inertie intellectuelle

Qu’ils soient de gauche ou de droite, nos intellectuels inspirent, si l’on peut dire, une grande confiance à ceux qui les approchent et qui ont pu se rendre compte de l’œuvre qu’ils accomplissent manifestement dans le processus d’institutionnalisation de la démocratie en Haïti. Quand les évènements les poussent au premier rang dans les médias, c’est aux yeux de la nation tout entière qu’ils s’affirment et se positionnent : leur responsabilité, les élève, les pénètre ou les rabaisse. C’est selon.

 

Si certains dans les débats publics souvent contradictoires paraissent parfois éloquents, grands diseurs et que leur position ne puisse être interprétée contre les desiderata de la population, d’autres, au contraire, ont l’art d’user habilement d’un côté précis de la barricade.

Et sous les coups de massue de la pression du quotidien, ils frisent l’indécence et ne semblent pas croire au destin national.

 

L’imperturbable bouillonnement de cette catégorie-là est le signe d’une incertitude personnelle que la pression sociale et ses avatars inquiétants n’entament pas. Leur foi dans la « lutte pour la vie » parait aveugle. Des lacunes ont pu leur échapper dans l’établissement d’un plan d’action cohérente, judicieuse. Gens d’action avant la lettre, c’est dans l’action qu’on doit juger ces penseurs de métier qui alertent, dénoncent et polémiquent à l’envi.

 

Nanti ou précaire, l’intello de gauche ou de droite prend toujours la parole. Au nom de la liberté et du droit. Il s’est vu reconnaître cette fonction de parler en tant que détenteur de vérité et de justice.

 

Représentant attitré de la pensée universelle, il se veut la conscience de tous et de chacun. Mais il y a des années qu’on cesse de lui demander de jouer ce rôle. Raison : Il a gagné une conscience beaucoup plus concrète et immédiate des luttes et fait face à des problèmes spécifiques, souvent différents de ceux des masses rurales et urbaines.

C’est Michel Foucault — pour ne pas le nommer — qui faisait la distinction entre l’intellectuel spécifique et l’intellectuel universel.

 

Mais il y a aussi l’intellectuel collectif, dont Bourdieu décrit le rôle et la fonction. Ce sont des Think Thanks dans la production et l’imposition de l’idéologie : sorte de groupements d’experts appointés par l’oligarchie, capables de définir eux-mêmes les objets et les fins de leur réflexion et de leur action en camouflant, pour ainsi dire, la réalité sociale, politique et économique.

 

Contribuant à créer les conditions sociales d’une production collective d’utopies réalistes, l’intellectuel collectif se veut le porte-parole autorisé d’un groupe ou d’une institution pour porter la parole supposée des « Sans-voix ». Pour avoir été sélectionné et bien imbu de sa mission, il demeure élitiste même quand il professe en public des idées de progrès social, voire révolutionnaire.

 

Tout intellectuel, soit dit en passant, a des intérêts idéologiques. Et c’est ce que sous-tend sa production. Mais le choix majeur auquel l’intellectuel est confronté est le suivant : soit s’allier à la stabilité des vainqueurs et des travailleurs patentés du système, soit, et c’est l’option la plus difficile, considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace les faibles et le destin national de totale extinction. Ce qui rend, somme toute, les tâches collectives encore plus urgentes.

 

La Rédaction

 

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