Il est midi, en Haïti !

Des élèves devraient certainement se retrouver dans la cour de récréation en train de jouer, de discuter, de dialoguer, de dessiner et de se divertir dans certains loisirs sains. Au moins, dans les établissements qui disposent des infrastructures minimales au prorata des frais de service exorbitants que les responsables font payer aux parents.

 

Dans le même temps, certains autobus et des camions qui reviennent très tôt de la province ce matin, seront sur le point de retourner dans leur destination d’origine, remplie de passagers fatigués, mais aussi bien motivés de rentrer à la maison, de revoir leurs proches ou qui vont tout simplement rendre un dernier hommage à un parent, si ce n’est pas le désir ou la volonté manifester de se recueillir dans le démembré de la famille, en attendant la fête des Morts qui avancent à grands pas.

 

Dans les rues intermédiaires comme sur les routes nationales, les va-et-vient persisteront dans la pollution de notre atmosphère, en trouvant bien des prétextes pour justifier leur implication dans la lutte contre la misère, grâce au pain, aux aliments et aux bienfaits du commerce et de la solidarité mutuelle entre les familles et leurs proches.

Dans plusieurs temples catholiques établis à travers le pays, pratiquement toutes les cloches se mettent à l’honneur pour inviter autant les croyants à la prière que pour interpeller certaines forces mystiques qui se réveillent ou qui sommeillent depuis des siècles dans l'égrégore national.

 

Déjà, le soleil se rapproche un peu plus de nous. Il est presque midi s’installe dans la journée, pour nous rappeler que la journée chemine vers sa fin. Si même les enfants des rues n’auront pas faim, à cause des va-et-vient des marchands de nourriture ambulants et des d’autres dons qu’ils recevaient au passage, cela n’empêche pas certaines personnes oubliées, comme des prisonniers, de perdre tous les repères pour différencier midi de minuit.

 

Depuis hier, depuis des semaines, depuis plus de deux mois, ils ne sont plus les seuls, ces prisonniers. Des professionnels, des patrons, des élèves et leurs parents sont en plein dans cette nouvelle confusion entre midi et minuit, dans cette nouvelle version d’Haïti imposée par les groupes armés dans les quartiers, et les groupes alliés qui n’arrivent pas à négocier.

 

Déjà on ne se souvient même pas du temps qui passe. Quand fera-t-il midi ?  Et ce sont pratiquement ces mêmes personnes qui souffrent, qui pleurent et qui meurent, qui nous rappellent que nous sommes bien en Haïti, à Port-au-Prince, et à proximité de toutes les zones rouges. Ces rafales d'armes automatiques, nous interpellant ainsi chaque seconde, pour nous informer de la chance que nous avons d'être encore parmi les vivants.

 

Déjà une nouvelle journée qui commence. Bientôt midi. Minuit. Qu’importe le temps que cela prendra, nous sommes tous dans le noir. Chacun cherche à faire son devoir au brouillon, pour ne pas se faire voir par le professeur du temps. Qui risque de nous inviter à passer devant ? Au tableau ! Explications ! Récitation ! Comment fais-tu pour survivre en Haïti ? Comment fais-tu pour passer tes calculs ? Comment fais-tu pour réciter, pour raconter toutes ces tragédies dans une telle rédaction ? 

 

Déjà, la journée avance à grands pas. Il est midi. On sonne. C’est l’heure de la récréation ! Les enfants dans la cour et les professeurs autour de la table. Pour discuter de tout et de rien. En attendant, certains font le va-et-vient. Ils sont pratiquement tous des parents et leurs enfants, qui attendent désespérément la réouverture des classes. Sans casse ! 

Dominique Domerçant  

 

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