La pitoyable comédie

Nous sommes dans une situation de fin d’un pays. Comme on l’a souvent énoncé dans notre roman national, nous sommes la Première république noire du monde. Sauf comme nous l’avons déjà écrit, seuls nos fondateurs avaient peut-être une idée de ce que ces mots impliquaient. Ensuite, pendant des décennies, nous n’avons fait que répéter ces mots comme dans un mauvais rituel magique, nous enivrant des exploits des ancêtres alors que nous ne faisions que dilapider leur héritage. Pires que le colon blanc, nous avons méprisé la grande masse de la population. Nous avons consenti une dette envers nos pères blancs en nous disant qu’on allait exploiter à fond la valetaille pour qu’elle puisse payer. Le pays n’existait pas. Nous allions à la campagne comme les touristes blancs vont dans les safaris. L’aménagement de l’espace physique, on s’en est moqué allégrement. Des bidonvilles pullulaient derrière nos murs, mais c’était bien de voir ces pauvres croupir sous nos barbelés. À l’aune de la misère de l’autre se mesurait notre richesse, notre puissance. Maintenant, dans le fond des ravins surgit la menace ultime. Cette menace que ces crétins de politiciens ont nourrie en armant des jeunes désœuvrés dans les ghettos. Comme ces crétins de politiciens n’ont pas de carnet d’adresses à l’étranger, ils se sont adressés à ces gens de la haute pour leur acheter des armes, des armes qu’on leur facturait à trois ou quatre fois leurs valeurs. Bref, tout le monde semblait trouver son compte dans ce chaos en marche, surtout les étrangers racistes qui seraient bien heureux que se prouve là, dans la Première république noire, l’impossibilité des nègres à se gouverner.

Ce serait une grande erreur d’accuser un gouvernement particulier dans le désastre d’aujourd’hui. Ce désastre n’est que la résultante d’une absence de gouvernance qui dure depuis des décennies. Plus qu’une absence de gouvernance c’est une folie collective qui a accouché de monstres qui ont constamment occupé le fauteuil présidentiel. Des monstres entourés d’une cour de laquais multiformes dont le seul objectif a toujours été de ripailler en profitant de la chose publique. Qui s’est vraiment soucié de cette Première république noire ? Seulement des réactions émotionnelles comme brandir le drapeau national ou gueuler quand un raciste nous dit des choses que nous ne pouvons réfuter parce que nous avons tout fait pour que nous soyons assis sur ce tas de fumier.

Il faut d’autres hommes. Il nous faut nous débarrasser de cette nuée de petits hommes qui voient tout en petit, glorification du kokoratisme, cassant leur colonne vertébrale devant l’étranger, incapables de naviguer vers les grands horizons. Nous voulons des hommes fiers de leur origine, non pas avec une fausse fierté de leur passé, mais avec une vraie fierté qui signifie montrer dans le présent qu’on peut faire mieux que les ancêtres. Ce vocable « union » qui n’est que vent et imposture sur nos lèvres doit enfin un sens. Il faut que nous cessions constamment de nous méfier des autres, de les vilipender, de leur donner des crocs en jambes comme si nous étions dans un panier à crabes, que nous apprenions à nous comprendre, à nous écouter. Il faut que nous admettions que sur le même bateau nous pouvons avoir des intérêts différents tout en nous efforçant de trouver constamment des ententes pour que la barque nationale non seulement ne coule pas, mais prenne la route d’un destin heureux.

Il faut que nous cessions d’être de lamentables comédiens.  Trop de vies perdues, gâchées dans cette pitoyable pièce de théâtre.

Gary Victor

 

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