Quand la fiction fait redécouvrir Dessalines !

En ces temps troublés de notre vie de peuple, il est bon de s’arrêter un moment pour interroger notre histoire. Il est sain de se tourner vers le passé, non pas dans une optique purement commémorative, mais dans une tentative de relecture de nos fondamentaux historiques.

Car dans ce pays, nous avons grand besoin de nous retrouver et de comprendre le processus fatidique des catastrophes politiques en série et des explosions quasi minutées, à des époques récurrentes, de la bombe sociale. C’est dans cette perspective que sort bientôt sur nos écrans le dernier film d’Arnold Antonin : « Dessalines, le vainqueur de Napoléon ».

Le titre pourrait laisser croire qu’il s’agit de reconstituer simplement les batailles épiques que se sont livrées, par-delà les océans, deux stratèges incontestés de l’art de la guerre.  Ayant fait ses classes dans l’armée française, Dessalines aura dans cette lutte aux cent visages, dépassé ses maîtres européens.

Certes, le film nous offre à travers le regard croisé des historiens interviewés par le cinéaste tout le talent guerrier du vainqueur de Vertières, la mère des batailles, qui a vu la défaite historique des troupes françaises. Vertières, ce « Diên Biên Phu » avant la lettre, qui fut le théâtre de la victoire improbable des forces du Vietminh  sur des divisions de l’armée française harcelées du 20 novembre 1953 au 7 mai 1954.

Bien plus que Diên Biên Phu, la bataille de Vertières  de novembre 1803 marque une première grande rupture d’avec le vieux système colonial et esclavagiste fracassé contre les monts escarpés des montagnes du Haut du Cap. Le film nous présente des vues magnifiques de quelques forts célèbres de l’époque, malheureusement pas du tout entretenus par ceux qui ont bénéficié pendant plus de deux siècles de la geste de 1804.

 Les talents de Dessalines dans la maîtrise de l’art de la guerre ont été maintes fois relevés par nos historiens. La bataille de la Crête à Pierrot et l’habilité tactique de l’empereur sont ainsi décrites non sans lyrisme par l’historien Pauléus Sanon  au cours d’une conférence prononcée le 16 novembre 1924 : « Infatigable de corps, d’une énergie farouche, capable de franchir, en des randonnées épiques, les montagnes les plus inaccessibles, de passer sans intervalle du Nord au Sud et du Sud au Nord, Dessalines a l’ élan, la force et la vélocité du lion…cet ancien esclave dont le corps porte encore les morsures du fouet, la haine de l’ esclavage se confond, ne fait qu’ une avec celle de ses anciens maîtres ».

Pourtant, nous apprenons dans le film que la haine du Blanc était sélective chez Dessalines. En témoigne son empathie vis-à-vis de certains étrangers, dont des Polonais et des Prussiens qui se sont portés volontaires comme « combattants de la liberté ». L’empereur comptait aussi dans ses fréquentations certains «  révolutionnaires » français.

Si Dessalines s’est approprié certaines stratégies militaires de l’armée coloniale, il a aussi été à l’école de la violence et de la brutalité  des colons et des pratiques guerrières exterminatrices de l’armée napoléonienne. La guerre n’a jamais été une partie de campagne, c’est Mao Ze Dong qui un jour a écrit que : « la guerre est une politique avec effusion de sang ».

Un des aspects intéressants du film a été le questionnement sur le personnage de Dessalines, sorte de personnage homérique, légendaire dans sa magnanimité comme dans la mise en scène de la violence. « Dessalines le grand » n’est pas comme le veut croire un cliché historique un « bloc de granit ». C’est un homme avec son côté fantasque, ses excès et son courage de meneur d’hommes.

L’intérêt du film réside surtout dans ce rapport au présent. Au tout début on voit l’empereur sur son cheval sortir du cimetière et à la fin aussi il revient dans son passé toujours en cavalier altier. Les historiens et professeurs Jean Casimir, Pierre Buteau, Jean Alix René, Michèle Pierre Louis, Vertus Saint Louis, Bayinah Bello, Gaétan Mentor, John Picard Byron, Marc-Ferl Morquette, Daniel Élie ont non seulement illuminé de leurs lectures la chevauchée fantastique de Dessalines, son environnement politique, la posture de certains de ses conseillers, mais ont aussi essayé de comprendre le côté inachevé de cette révolution.

L’écolier ou l’étudiant qui visionnera ce film d’Arnold Antonin comprendra mieux pourquoi en 1806, « Haïti est mal parti » et surtout pourquoi son indépendance était vécue comme « une anomalie, un défi, une menace ».

Les principaux acteurs se sont signalés comme de véritables professionnels dans leurs «  rôles historiques ».  Hollandy Desrosier dans le personnage de Dessalines, Gaël Pressoir dans celui du poète à la plume aussi tranchante qu’une épée, Esmeralda  Milcé incarnant une  tragique et émouvante Claire Heureuse.

Un film qui même s’il ne fait pas table rase du passé, n’approfondit pas moins notre rapport au  présent, réclamant de chacun de nous un nouvel « héroïsme », celui de vaincre nos égos. À l’instar de nos illustres devanciers du camp Barade.

Roody Edmé

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