Haïti invente son propre tempo

Haïti risque de disparaitre du monde moderne. Des crises qu’on croyait appartenir à un passé révolu se répètent et se perpétuent. Le sauve-qui-peut se substitue au peu d’efforts apparents pour le développement durable qui se renouvelaient pendant plusieurs décennies. Les éléments des  élites partent à l’étranger pour subir un mode de vie auquel ils ne s’ajusteront que difficilement. Parallèlement, ceux qui restent se montrent inventifs pour éviter d’être égorgés en plein midi.

Sans qu’on n’y prête attention, des conséquences redoutables de nos déboires menacent sévèrement la postérité. À mesure que la société développe des stratégies de survie pour contourner ses malheurs, elle enseigne aux plus jeunes des astuces pour jongler avec l’inacceptable etne jamais exiger mieux. À moins qu’un miracle nous amène à assister à un redressement des institutions républicaines dans les prochaines années, les citoyens de demain se courberont devant les hors-la-loi, accepteront d’être dirigés par des médiocres et verront les massacres comme des événements ordinaires.

Le pays en entier, et la jeunesse en particulier, est frappé d’une atrophie cérébrale collective. Tissés d’absurdités et d’indécences stériles, les faits de tous les jours ne laissent la place à aucune forme d’imagination innovante. Haïti reste à l’écart des débats mondiaux qui portent actuellement autour de l’intelligence artificielle, de la place du numérique dans l’éducation, des nouveaux contours de la cybercriminalité, des innovations financières, des nouvelles données sur les maladies infectieuses, etc.

L’intelligentsia reste prisonnière d’un mode de vie qui repousse tout esprit créatif et d’excellence. Rien qu’à entendre les thèmes abordés dans l’espace public, on peut souligner une régression dans le champ lexical du développementpar rapport aux années précédentes. Les économistes ne parlent plus de croissance ou de planification stratégique. Tout ce qui s’offre à leurs sens se résume à un tableau où les acteurs économiques doivent chaque jour survivre aux menaces qui pèsent sur leurs vies. Par conséquent, leurs éclairages ne dépassent pas les notions élémentaires de l’offre et de la demande.

Quand les kidnappings en série volent la vedette à l’enquête sur l’assassinat du président, c’est en  vain qu’on attendrades ingénieurs civils une quelconque proposition technique autour d’un plande reconstruction des zones ravagées par les catastrophes naturelles. Les travaux sur la qualité de l’éducation ont cessé. Les écoles arrivent à peine à compléterla moitié du nombre de jours de classe requis par année. Comment combattre le faible niveau de littératie et la déperdition scolaire quand il faut acclamer les élèves qui bravent les rues ensanglantées pour être présents dans les cours ?

Débat, recherche et curiosité sont des termes désormais bannis du vocabulaire des Haïtiens. À quoi peut-on s’attendre quand l’expérience du quotidien et l’instinct de survie empoisonnent les consciences et neutralisent les cerveaux ? Aussi longtemps que le fait accompli aura été pris pour la norme, les politiciens persisteront à nous vendre des charabias en lieu et place de vrais programmes de développement. Et Haïti continuera d’être la risée d’un monde où les défis ne font que s’agrandir et se multiplier.

Kendi Zidor

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