La prudence, ou le nouveau sport national en Haïti

Dans l'impossibilité pour la société haïtienne de trouver les véritables remèdes contre l'insécurité institutionnalisée, la banalisation de la vie et la déshumanisation, la population haïtienne, en particulier les couches les plus touchées et les plus vulnérables s’inventent un nouveau sport qui invite chacun à renouveler sans cesse l’exercice de formuler à ses proches le meilleur des souhaits actuels « la prudence ».

Derrière presque chaque « Aurevoir » échangé entre des parents et leurs enfants, des membres d’un couple, entre les membres d’une famille, entre des collègues, ou même des inconnus, « La prudence » s’invite souvent et de plus en plus dans le langage populaire et l’imaginaire collectif, comme une façon d'éviter que ce déplacement ou détachement ne se confond pas à un geste d’adieu.

Dans ce nouveau sport national qui a pris racine dans la culture populaire, l’imagination devient impétueuse dans tout. Comme dans les moindres gestes, le choix de route à emprunter et le type de compagnie à accepter pour éviter les imprévisibles pièges ou de croiser le chemin des seigneurs de la violence.

La prudence est savamment pratiquée par les parents piétons qui accompagnent leurs enfants à la rentrée comme à la sortie de l'école. Cette prudence est aussi pratiquée dans les regards discrets et le sentiment d’admiration, souvent étouffés par l’un des deux personnages qui se croisent dans les rues.

De plus en plus de personnes, parmi les plus avisées et les plus rationnelles, tout en pratiquant ce nouveau sport, se questionnent sur le sens véritable de ces exercices à l’opposé de nos habitudes. Comment être véritablement prudent dans de telles conditions quand personne n’est à l'abri ? Faire prudence par rapport à quoi ?

D’autres nouveaux athlètes un peu rebelles ou rationnels un peu trop, mais tout initiés à ce sport national pratiqué dans leur for intérieur, se demandent pitoyablement:  Comment être encore plus prudent et précautionneux que possible dans ce pays en « M» , (misère mentale, Martissant, Mawozo, et les autres),  en limitant au maximum ses déplacements aux activités les plus essentielles et prioritaires jusqu’à négliger totalement ses loisirs, ses amis et d’autres proches ? Ces dizaines et centaines de victimes des derniers temps, n’avaient-elles pas été assez conscientes en se rendant à l'école, au travail, à la pharmacie pour acheter des médicaments pour leurs proches gravement malades, ou en sortant d’un restaurant après une réunion de travail ou de détente après une semaine de travail difficile ?     

La population va continuer à réduire ses déplacements dans certaines rues, zones, villes, régions départements et quartiers de non-droit, où la peur, les violences et la mort font la loi.

Nous sommes face à ces exercices torturant le bon sens et la pensée productrice et créatrice, et en présence d’une nouvelle forme d’extermination lente, silencieuse et psychologique de la pensée collective et de l’être haïtien. Ce sport aussi stérile et contre nature aura certainement de lourdes conséquences sur le présent et l’avenir de la population,  de cette génération, et de la nation tout entière.

Devant l’arbitrage de l’international, qui se manifeste à la fois par l'indifférence et la complicité de ceux et celles qui invitent, inventent et importent les armes et les munitions, les couches encore saines de la population, qui continuent de pratiquer la prudence comme sport national, devraient exiger aux dirigeants de permettre à ce que ce sport change de camp ?

Tant sur le plan économique, social, politique, environnemental et surtout culturel, ce nouveau sport ne fait que priver aux citoyens et citoyennes leurs droits de vivre et de circuler en toute sécurité et dans la dignité.  Il est de toute évidence que la prudence se confirme comme un véritable poison contre le fonctionnement des institutions sociales et économiques, contre l'esprit d'initiative et d'entrepreneuriat, et la création de richesse indispensable pour rétablir l'équilibre et satisfaire les attentes et besoins de la majorité.  

Dominique Domerçant  

 

 

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