Il n’y a que le consensus qui compte

Les pays amis d'Haïti appellent avec insistance leurs ressortissants à quitter le pays. Tout se passe comme la chronique d'une catastrophe annoncée. Les grandes puissances ont l'habitude de prévoir des situations calamiteuses dans d'autres régions du monde et d'y assister avec une passivité coupable. Le Rwanda, la corne de l'Afrique, où a lieu en 1994 le génocide d’une ethnie par une autre, en est un cas. Le monde « civilisé » a assisté ou détourné le regard pendant que les Tutsi massacraient les Hutus à coups de machette.

Dans les années 90, quoique située en plein cœur de l'Europe, la Bosnie a aussi connu son lot de souffrances et même ses camps de concentration avant l’intervention américaine qui a conduit aux accords de Dayton.

En Haïti aujourd'hui, c’est la même indifférence. Le drame n'est pas tant cet « abandon » de la communauté internationale, mais notre incapacité à sortir du bourbier dans lequel nous nous enfonçons chaque jour. Pour répéter le philosophe Jean-Paul Sartre « L'enfer, c'est les autres », peut-être, mais pas uniquement : nous avons une part de responsabilité en nous cantonnant dans cet attentisme outré.

Nous sommes assiégés, paralysés, par la peur. L’angoisse de ne plus exister physiquement. La crainte de se parler, de se comprendre et de signer un accord fondateur.

Un observateur me faisait remarquer que ce qui est frustrant dans tout le drame haïtien, c'est la tentation à l'autosuffisance ou le « péché d'orgueil ». J'ai peur de m'entendre avec un adversaire que j'ai longtemps combattu pour qu'on ne dise pas que j'ai trahi la cause. Certaines personnalités politiques ne voudront pas faire de concessions parce qu'ils considèrent le pouvoir comme une chasse gardée. Dans la société civile, on se gardera de trop s'y frotter pour ne pas perdre une certaine « virginité » politique. Or la situation du peuple est telle que les bons sentiments ne suffisent pas : il faut passer à l’action.

Il se trouve que des groupes ont déjà le pouvoir de fait par la force des armes. Ils font régner la terreur. Ils sont les maîtres de notre destin. Ils peuvent accorder la vie sauve à un policier ou une trêve pour l'approvisionnement en carburant, tout ceci sur fond de dramaturgie médiatique. Ils ont confisqué le « pouvoir de convocation » des forces politiques ou de la société civile. Cela devrait nous interpeller et nous forcer à changer de paradigme dans notre façon de voir l’avenir de notre pays.

Comment revenir au principe de réalité sans que les partis politiques et la société civile abandonnent leurs agendas ? Ils pourraient s'entendre sur un accord intérimaire qui porterait sur la sécurité, la fourniture de services de base à la population, un protocole d'entente nationale sur une nouvelle gouvernance acceptable et apaisée, la nécessité d'une nouvelle constitution qui déboucherait sur une nouvelle république.

Les images venant de l’est sont humiliantes à plus d’un titre, parce qu’elles mettent à nu notre impuissance. Alors que, devant ce drame, le plus simple serait, pour nous autres Haïtiens, de prendre en mains notre destin. On ne peut le faire qu’à travers un consensus. Il faudrait se décider à trouver cet accord qui pourrait convenir à tout le monde en misant, cette fois, sur la compétence de certains de nos compatriotes. Nos leaders politiques et la société civile se montreront à la hauteur des souffrances et sacrifices de notre peuple qu’en négociant cet accord intérimaire. Ce premier accord est fondamental parce qu’il permettrait de rétablir un minimum de confiance entre les acteurs et comme dit un sage « c'est en se levant pour marcher que le chemin s'ouvre devant nous ».

 

Roody Edmé

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