SOS leadership !

Depuis quelques années, Haïti est considérée comme une entité chaotique ingouvernable. Cette position peu enviable résulte d’une absence flagrante de projet national. Un projet sur lequel l’ensemble de la nation serait d’accord. L’état d’insurrection que nous vivons ces derniers jours est la conséquence d’un manque de leadership patriotique qui fait depuis trop longtemps défaut à ce pays.

Depuis quelques années, Haïti est considérée comme une entité chaotique ingouvernable. Cette position peu enviable résulte d’une absence flagrante de projet national. Un projet sur lequel l’ensemble de la nation serait d’accord. L’état d’insurrection que nous vivons ces derniers jours est la conséquence d’un manque de leadership patriotique qui fait depuis trop longtemps défaut à ce pays.

C’est cette nation bouillonnante de revendications légitimes, et enfoncée jusqu’au cou dans la précarité que le président Jovenel Moïse dirige depuis quelques mois. L’actuel locataire du Palais national est un leader qui se veut volontariste, mais qui manque de moyens et de vision globale pour réformer un système au bout du rouleau. Pendant des mois, comme le Moïse de la Bible, le chef de l’Exécutif a cru que la Caravane allait sortir le peuple haïtien du désert du sous-développement pour le conduire vers la terre promise du progrès et de la prospérité. Le nez dans le guidon de ses projets « développementistes », et croyant dans son étoile de candidat ayant passé victorieusement le cap de deux élections, le président n’a pas senti l’odeur de soufre des récentes éruptions.

Son discours délivré trois jours après le déclenchement d’une grave crise sociopolitique, avait quelque chose « d’hallucinogène », surtout après la malencontreuse ratée de la veille, ou tout un peuple rivé à son petit écran attendait tendu, le message du « commandant en chef » qui ne viendra pas. Ce rendez-vous manqué qui a frustré plus d’un est assez symptomatique du mal-être et de la solitude d’un homme qui apprend difficilement et douloureusement le métier d’homme d’État.

Le président dans son discours, après avoir rappelé les principes constitutionnels, condamné la violence de ces derniers jours, a fait l’impasse sur des sujets qui ont poussé les gens dans la rue, il a oublié de mentionner le dossier stratégique de Petrocaribe. Il semble avoir été plus soucieux de ne pas tomber dans les travers qu’on lui reproche souvent, à savoir les discours inutilement longs dans des moments d’urgence nationale. Si pour certains de ses partisans, le ton était ferme et résolu, pour beaucoup d’autres il n’aurait pas réussi son grand oral, un soir de crise et de grande angoisse.

Quant à l’opposition radicale, elle a marqué des points en réussissant sur une semaine une véritable opération ville morte. En enfourchant le cheval rétif d’un peuple en rébellion, les trois croisés de la lutte contre l’actuel pouvoir que sont, Mose Jean Charles, Schiller Louidor et André Michel, sans oublier la « passionaria » Marjorie Michel ont offert une démonstration de leur science d’agitateurs. Seulement leur stratégie fait un usage immodéré de la peur et de l’intimidation, et cette tactique de la « terreur révolutionnaire » risque d’être contre-productive si elle doit durer. À force de tirer sur une corde sociale déjà rongée par les mites de la précarité, elle finira par se rompre. Et comme dans une conflagration atomique, nous risquons tous d’en être victimes. Nous serons alors ensevelis dans les fosses immondes d’une histoire putréfiée.

Parfaitement organisés dans certains quartiers populaires, le ventre mou du pouvoir actuel, les leaders du « secteur démocratique et populaire » jouissent de l’expertise de certaines bases spécialisées dans la nuisance urbaine. Leurs manifestations sont toujours précédées d’une noria de motards, évoluant comme des essaims d’abeilles. Ils « piquent » sur la ville en un véritable blitz ne laissant aux commerçants que le temps de baisser leurs rideaux métalliques. En maniant la torche et le discours enflammé, les leaders du front du refus ont opté délibérément pour le respect par la crainte en lieu et place de l’adhésion volontaire à une cause. Prendre la direction de foules vengeresses, certainement guidées par une saine colère, rappelle les expériences de Salnave, le rouleau compresseur de Fignolé ou encore la force de frappe du mouvement Lavalas. Mais la colère ne suffit pas à faire germer les bourgeons de l’espoir. Il faudra que ce secteur de l’opposition fasse preuve de sa capacité à gagner les coeurs et les esprits, et surtout à proposer un projet social qui sort du cliché habituel de déchoukaj de palais ? Pourra-t-il abandonner cette tactique gagnante à courte vue, qui consiste à menacer toute une ville qui n’est plus depuis longtemps l’apanage des riches, mais une mégapole sortie du chaos, où les frontières entre l’argent et la misère sont en pointillé ?

Nous avons besoin de leaders combatifs, intraitables, des « incorruptibles », mais nous avons aussi besoin de femmes et d’hommes de vision qui savent compatir aux souffrances d’une population qui a soif d’éducation et de santé. Miser et jouer uniquement sur le rouge de la colère ne fait pas un projet de société et peut se révéler tout aussi délétère que l’indifférence de certains éléments des élites de l’avoir ou encore l’insoutenable impuissance d’un État en faillite.

Roody Edmé
 

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