Ces attitudes reprochables

Il est évident qu’ici en Haïti nous avons développé une affection dangereuse et tout à fait particulière pour le grand désespoir. Chaque Haïtien en âge de comprendre, même celui qui n’entretient aucun rapport avec le savoir, peut se faire une représentation des dangers d’une catastrophe à cause de leur probabilité d’occurrence. À défaut d’une éducation systématique au risque et la dissémination régulière des informations y relatives, les Haïtiens ont une perception nette du risque à travers leurs propres expériences et les témoignages des autres. Le précèdent grand séisme en Haïti, avec son cortège de plusieurs centaines de milliers de morts, c’était en 2010, il y a à peine onze ans. Le passage du grand ouragan Matthew, qui a dévasté une bonne partie du Grand-Sud, date de 2016. Les cicatrices, même si on admet par la force des choses que certaines se sont refermées, sont encore visibles.

Ce n’est qu’en connaissance de cause que les Haïtiens continuent de braver les risques, parce que, quelque part, ils sont contaminés par l’insouciance des pouvoirs publics qui conduit à une banalisation du danger. Cela peut aller, dans plusieurs cas, jusqu’à sa négation totale. Aux yeux de la population pauvre, quand un bâtiment public, une église, une école ou l’hôtel d’un politique à dimension nationale s’effondrent, ce qui arrive aux maisons des simples particuliers, pauvres de surcroit, relève de la normalité. De la malchance ou de la punition divine.

Il est insupportable, sur le plan humain, moral, voire politique, que les élites et les autorités fassent courir à la population des périls d’une telle ampleur. Généralement, les personnes vulnérables ne peuvent s’organiser pour gérer les risques sans l’assistance des personnes et des structures expertes. Trop de fois, la misère détermine des attitudes reprochables face au risque.

Encore aujourd’hui, des Haïtiens embarquent sur de frêles embarcations dans l’espoir d’émigrer vers des pays qui peuvent leur garantir un emploi, même précaire. Pourtant, la possibilité d’arriver à destination est si infime que la mise en danger de soi bascule dans la stupidité. Il devient donc urgent que les autorités publiques et des associations dédiées de la société civile élaborent des outils pédagogiques et légaux pour transformer les expériences trop nombreuses de désastres en des connaissances pratiques et simples à appréhender par les Haïtiens.

Au lieu de laisser croire à l’Haïtien qu’il est résistant au malheur, que son système immunitaire fait fuir le coronavirus, que le Bondieu d’Israël et de Jacob est bon, il faut obliger la politique à décider quelles sont les responsabilités des individus, quelles sont celles des institutions privées et enfin quelles sont celles de l’État dans la gestion des risques. Les pouvoirs publics doivent se résoudre à investir dans la prévention, la règlementation et la préparation des plans de contingence. Du moins, réduire le risque à un niveau acceptable.

On préfère en arriver là au lieu de donner corps aux fantasmes de nos gourous qui voient des opportunités partout. Comme s’il est obligatoire de disposer de corps déchiquetés pour créer de la richesse et développer un pays. Banal cynisme.

Ironie de la vie, les Haïtiens ont retenu que l’humanitaire peut être un business rentable. Ils ont appris cela de nos amis étrangers et de nos bons chefs. Aujourd’hui, tout le monde connaît quelqu’un qui fait tout pour récolter de l’argent afin de venir en aide aux sinistrés.
Il y a ceux qui souffrent, ceux qui dansent et d’autres qui encaissent. Ainsi va la vie chez nous.

Jean-Euphèle Milcé

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