12 janvier 2020 : dix ans de souvenirs et de solidarité entre les voisins !

Depuis la date du 12 janvier 2010, ce ne sont pas uniquement des milliers de morts et de disparus, des ruines et des décombres, des personnes amputées d’un membre et des traumatismes de toute sorte, des promesses de reconstructions et des détournements de fonds, des visites de terrain et des voyages pour négocier de l’aide étrangère, comme tant d’autres souvenirs qui se sont imposés dans nos vies et nos villes.

Derrière ces souvenirs laissés par la catastrophe, en dehors de l’assistance internationale qui n’a pas atteint encore l’âge de la reconstruction comme le plan Marshall l’a été pour l’Europe des blancs après la Deuxième Guerre mondiale, les manifestations de solidarité des familles haïtiennes dans plusieurs des quartiers touchés du pays se sont confirmées comme parmi les plus belles formes de célébration de la culture du vivre ensemble dans le pays des « Lakou » et du « Vwazinaj se dra blan ».

Dix ans de souvenirs douloureux, mais également de reconnaissance envers des bienfaiteurs inoubliables vont se confondent entre les agendas et les objectifs des prochaines activités de célébration du séisme du 12 janvier 2010 dans l’Haïti des promesses internationales oubliées.

Des souvenirs vieux de dix ans qui vont ressusciter à partir des questions suivantes : Quels sont les voisins et les voisines qui vous ont vous aidés ou secourus vos proches et parents sous les décombres le 12 janvier 2010, en attendant que les services d’urgences bien équipés arrivent ? Qui sont les voisines ou les voisins les plus respectés, aimés ou détestés du quartier, qui n’ont pas pu survivre aux violences de ce séisme dévastateur ? Quels sont les voisins que vous avez assistés, soignés, nourris et accueillis dans votre quartier, hébergés sur la cour et dans votre maison lors de cette grande catastrophe ?

D’autres questions pour mieux se souvenir de la solidarité des voisins qui mériteraient d’être décorés lors d’une fête : qui sont les collègues du bureau voisin dans votre travail, les camarades dans la salle voisine qui suivaient leurs cours, les personnes qui passaient dans le voisinage du drame et les voisins du quartier qui sont sortis les derniers après l’évacuation des dernières victimes dans l’après-midi du 12 janvier ? Quels sont les premiers et les derniers voisins et les voisines dont les noms reviennent toujours quand il s’agit de raconter vos expériences lors de la catastrophe de 2010 ?

Dix ans de solidarité totale, globale et transversale entre les voisins d’ici et d’ailleurs. Il faudrait souligner également les nouvelles relations de proximité à la fois sentimentales, sexuelles ou extra-conjugales qui se sont développées dans la nouvelle dynamique environnementale et humanitaire, sociologique, et psychologie imposée par le drame de 2010 en Haïti.

Des voisins et des voisines ont changé de statut par la force des relations de proximité dans les camps d’hébergement ou des quartiers d’accueil des victimes et des survivants. Des rideaux dans les relations de voisinage allaient jusqu’à tomber. Dans une sorte de démocratisation de l’intimité et de la désacralisation du corps, des voisines d’hier trop prétentieuses et aristocrates qui ne saluaient pas toujours, prenaient leur douche dans les rues et/ou dormaient à la belle étoile dans le voisinage des autres voisins, de leur ange gardien ou garde du corps.

Duel permanent et déshumanisant persistant entre des voisins de même quartier, certains voisins aux esprits malins et malsains allaient profiter des impacts dévastateurs du séisme pour entrer chez l’autre voisin, pour voler et piller, dans des cas extrêmes violer des proches sous prétexte d’offrir leur assistance et d’aider la famille vulnérable dans une forme de pseudo solidarité comme l’a fait de nombreuses ONG au chevet d’Haïti. Certains vont jusqu’à profiter de la démolition des clôtures et des résidences voisines pour déplacer les bornes et s’accaparer de terrains voisins comme butin de guerre, comme des militaires viennent secourir le pays.

De la République dominicaine, la première voisine d’Haïti sont venues les premières cargaisons d’eau, de nourriture et d’autres produits et accessoires humanitaires, entre la nuit 12 et le matin du 13 janvier 2010. Un beau et grand geste de solidarité inoubliable, comme Haïti avait l’habitude de soutenir le peuple dominicain dans ses moments de détresse, malgré tous les autres dossiers qui fâchent de nos jours, les relations obligées entre ces deux peuples voisins condamnés à vivre ensemble.

De la construction à l’inauguration du complexe universitaire de Limonade, on est en droit de considérer qu’il s’agit d’une forme de solidarité intelligente manifestée par ce voisin de l’est, qui préfère : « aider son voisin à pêcher au lieu de lui offrir constamment un poisson tous les jours ».

Des voisins du même quartier qui ne se parlaient pas depuis des années, des mois et des semaines, ont été contraints par la gravité du drame, de discuter entre eux sur les moyens à mobiliser ou les techniques à utiliser pour sortir un membre du quartier sous les poids des bétons, derrières des portes ou les murs effondrés, ou coincés dans un escalier.

Des heures et des jours après le séisme, de nombreuses familles allaient s’installer sur la cour et dans les rues voisines de leurs maisons, comme dans les jardins d’un autre voisin du quartier. La culture du vivre ensemble allait se développer jusqu’au partage renouvelé et réciproque de l’eau, de la nourriture, des médicaments, des vêtements et de tous les produits de premières nécessité.

Séisme, souvenirs et solidarité !

Deuil symbolique du voisin le plus respecté comme le plus turbulent dans chaque quartier, dans la liste des souvenirs, qui se sont imposés depuis ce drame national dans la mémoire collective, figure à la fois la destruction de nombreuses constructions telles des résidences, des appartements et des entreprises qui étaient habités par des voisins connus et inconnus qui ont déménagé et disparus à jamais.

Dix ans après : 12 janvier 2010 – 12 janvier 2020, l’ensemble des familles qui vivent en Haïti, de toutes les couches sociales, originaires de cultures et de traditions différentes, attachées à des valeurs religieuses et évoluant dans des sphères d’activité intellectuelles, professionnelles et économiques les plus diversifiées, devraient reconnaitre que nous vivons tous sur une même et seule terre, et que la culture du bon voisinage demeure cette autre manière de pratiquer : « L’union fait la force » dans l’intérêt du plus grand nombre.

Devant les prochaines catastrophes naturelles et humaines qui frapperont à nos portes inévitablement dans les anciennes et nouvelles villes construites dans l’anarchie la plus totale, comme dans les flancs des montagnes qui encerclent la capitale haïtienne ou à Canaan, il faudra compter plus que jamais encore une fois, sur l’assistance des voisins immédiats, nos ultimes secouristes improvisés qui évoluent dans chaque quartier.

Détournés de toute intention de m’inscrire dans une démarche de prophète de malheur, nous devons cependant être assez réalistes pour comprendre, que la majorité de ces villes anarchiques et ces bidonvilles, comme : « Jalouzi » à Pétion-Ville, les quartiers perchant à Canapé Vert, les constructions prolongeant Croix des Prez, Carrefour Feuille, Martissant, et Rivière Froide, ne disposent pas de routes qui pourraient faciliter l’accès aux corps des pompiers, à des ambulances, des camions-citernes et d’autres engins lourds pour l’évacuation de certaines victimes.

De souvenirs de 2010 en soupirs en 2020, dix ans après, les élites et les dirigeants haïtiens ont fait le choix de la voie du pire en matière de gestion et d’exploitation anarchique de l’espace, de prévention et d’anticipation des catastrophes, par l’absence de planification urbaine et la prolifération des constructions d’habitats détachées de toute modernité.

Des souvenirs d’une alarme qui manquait dans chacune des villes, pour alerter la population dans les secondes qui suivaient le drame, comme d’autres pays le font lors des catastrophes et en temps de guerre.

De l’enseignement de la solidarité internationale après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, des Haïtiens, dans beaucoup de cas, ont appris à imiter malheureusement que les talents de corrupteurs patentés, de nombreux responsables des ONG qui se sont imposés dans l’art du détournement de l’aide humanitaire et des fonds recueillis au nom et par le nombre croissant des victimes, considérées ou calculées comme des têtes de bétail au marché de l’humanitaire, pour ensuite les réinjecter les profits dans leurs projets personnels ou politiques.

Drame de l’éthique humanitaire, on retient également les souvenirs douloureux de cette « assistance mortelle », pour reprendre Raoul Peck. Dix ans après, Haïti a été doublement victime de la catastrophe naturelle et du complot humanitaire.

Drame qui nous laisse tellement de souvenirs et de soupirs, mais aussi qui nous inspire à revoir le sens et l’adaptation du concept de la « Solidarité », sous toutes les formes, afin de mieux affronter l’avenir à partir d’une certaine intelligence collective résiliente.

Depuis le 12 janvier 2010, rares sont les personnes et leurs familles évoluant en Haïti, qui n’ont pas une dette morale envers un voisin du quartier, un collègue du bureau voisin dans l’administration, un bienfaiteur qui se trouvait dans le voisinage du drame. Ils étaient des dizaines, des centaines et des milliers de voisins à se mobiliser corps et âme dans l’après-midi du séisme de 2010, pour casser les murs et le béton, percer un trou et soulever des portes et des toitures, enlever des décombres, couper un membre bloqué ou soigner des blessures, enlever un corps inanimé et enterrer un cadavre, crier le nom d’une personne disparue et sourire avec un survivant secouru.

Des raisons parmi les plus légitimes, pour reconnaitre l’importance et respecter l’assistance de tous les voisins et les voisines que la nature impose à nos horizons dans chaque quartier, en attendant l’érection de la statue du « Voisin inconnu », en guise d’hommage en souvenir de tous les voisins et toutes les voisines secouristes le 12 janvier 2010. Une proposition formulée dans l’ouvrage « La Fête des Voisins en Haïti », qui fait état des douze façons de voir et de vivre en harmonie avec les voisins de chaque quartier en Haïti.

Dominique Domerçant

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