De la responsabilité des femmes dans la crise haïtienne actuelle !

Dans le langage populaire comme dans les propos des personnes les plus lettrées, rares sont les fois où les hommes et les femmes en Haïti comme dans le monde sont cités et ciblés au même titre  dans le chaos actuel. On entend souvent le terme « Nèg Yo », et non « Mesye dam yo ». Et pourtant, à bien observer, l'évolution de notre société et l'émancipation des femmes depuis plusieurs années et dans plusieurs domaines, on constate que de nombreuses femmes occupent une place importante ou même déterminante au sommet des institutions, ou au chevet et dans l’esprit dans la majorité des hommes les plus influents.

Devant le sombre tableau de la réalité sociale et globale d'Haïti en 2022, la recherche de solutions intelligentes et durables devrait certainement passer par l’identification de tous les acteurs du système social.  Contrairement à ce qui se dit ou se fait tous les 8 mars, les femmes ne sont pas toujours toutes des victimes dans la société, les institutions et l’histoire. Elles sont parfois des actrices qui influencent directement ou définissent certaines des actions dans l’ombre.  Ce qui pousse à un questionnement sur la véritable place des femmes dans la société haïtienne actuelle en 2022, ou dans le chaos social et global qui nous guette. Quelle est la responsabilité réelle des femmes dans la crise haïtienne actuelle ? Qui a dit derrière chaque grand homme il y a toujours au moins une femme ?    

D’abord, elles sont majoritaires à l'échelle nationale, très influentes et présentes dans les cercles de décision. Les femmes ont investi la majorité des institutions sociales publiques et privées du pays, parmi lesquelles on peut citer: la famille, l'éducation, la religion, l'économie, la politique et la culture.   

Dans les  familles comme dans les couples les plus influentes dans le pays, sur le plan politique, économique et social, il ne faut surtout pas sous-estimer l’influence de ces mères, de ces compagnes, épouses et/ou de ces filles à papa quelques fois, en dehors des maîtresses, qui poussent ce dernier dans certains excès ou dérives, parfois irréparables. En tant que moteur de la famille, et pilier des foyers, il faudrait partager les succès comme l'échec des familles, entre les hommes et les femmes qui dirigent ou décident, en tenant compte du modèle de leadership en place.

Dans l'éducation des enfants en Haïti et dans la diaspora, dont beaucoup de foyers sont souvent dirigés par des femmes qui assurent les deux rôles, de la mère et du père, ce sont des femmes qui élèvent les enfants, leur transmettent des valeurs, des connaissances et compétences et des comportements qui sont parfois même antagoniques, surtout en matière de question de genre, d'équité, de solidarité, de responsabilité partagée et de dignité de la personne, dans l'éducation des filles souvent élevées comme des domestiques, et des garçons comme des coqs et des bourreaux, dans beaucoup de cas. Ce qui va accoucher à l’avenir les écarts et les injustices transmis de génération en génération.   

Dans le système éducatif, notamment dans l'école fondamentale, elles occupent une place importante dans la base du système éducatif haïtien, au niveau préscolaire et primaire, dans beaucoup de cas au niveau secondaire, on les retrouve comme éducatrice, titulaire et enseignante d'école. Ce sont elles qui tiennent la main des plus petits pour écrire les premiers mots, pour apprendre les couleurs, pour manger, chanter et danser. Ce sont pratiquement des femmes  et des filles qui aident et accompagnent les enfants et les adolescents à trouver le sens de la vie.   

Dans l'économie haïtienne, particulièrement dans le secteur de l’agriculture et dans l'économie informelle, la présence des femmes est vitale pour l'économie nationale, en passant par la production agricole, les marchés ruraux, communautaires ou publics, les madan-sara, et dans les industries de la sous-traitance et les marchands ambulants qui font le va-et-vient entre toutes les administrations. Elles sont présentes et incontournables, ces femmes qui assurent la fonction d’assistante administrative ou de secrétaires, qui gèrent les dossiers du personnel, souvent elles sont engagées comme responsables des ressources humaines dans la plupart des cas. Et pour ne pas dire, quand elles n’assurent pas le suivi des dossiers et la gestion des ressources, elles sont tout simplement témoins de la majorité des transactions et des opérations de natures multiples.

Dans toutes les institutions publiques et privées, ce sont des femmes, dans la majorité des cas, qui assurent le nettoyage des bureaux et fournissent le café, le thé, la nourriture ou tout simplement prennent soin de tout le personnel, incluant les chefs et les visiteurs.

Dans bon nombre de restaurants du pays, disposant d’un bâtiment formel ou derrière les draps, les rideaux et de façon ambulante, ce sont les femmes qui nourrissent du matin au soir les enfants et les hommes, les familles, les passants et même les mendiants.

Dans les messes comme dans les missions religieuses ou les réunions de prières, les femmes sont toujours majoritaires dans ces regroupements autour des cultes, entre les cérémonies de Vodou dans les lakou, les messes et congrès charismatiques de l’Église catholique et pratiquement l’ensemble des activités communautaires, culturelles et culturelles (veillée de prière, croisade, chorale, cohorte du matin, etc.) qui font recette dans les milieux protestants en Haïti.

Dans la nouvelle économie criminelle institutionnalisée dans le pays, associée à la nouvelle configuration du territoire national, on ne peut ignorer l’importance, la présence et l’influence des femmes dans les quartiers dirigés et dominés par les groupes armés. Combien sont-elles ? Que font-elles ? Et comment influencent-elles ces filles et ces femmes qui prennent soin du matin au soir, assistent ou abusent même parfois de l’amour, de la sensibilité, de la naïveté et de la vulnérabilité, du plaisir et des émotions des hommes armés les plus puissants actuellement en Haïti ?

Dans la vie politique haïtienne, depuis la période des Duvalier, et jusqu'à l'administration de l’ancien président assassiné, on ne saurait laisser passer sous silence le pouvoir visible et invisible de nombreuses femmes  qui ont accompagné de près ou de loin nos plus puissants et/ou plus piètres chefs d’État et hommes politiques.

De la mère à l'épouse, en passant par les filles,  la soeur ou la maîtresse, pour atterrir sur les plus proches collaboratrices au sein des institutions, ou dans le cadre des relations institutionnelles ou étatiques, avec les femmes occupant la fonction d’ambassadeur accrédité ou de représentante officielle des plus hautes autorités internationales, elles sont à la fois nombreuses et co-responsables, ces femmes qui décident du sort de la population, ou dirigent tout simplement le pays dans la voie actuelle.     

Avec autant de femmes qui dominent la société haïtienne actuellement, sur la base qu’un problème identifié est à moitié résolu,  il nous revient l’obligation d'évaluer plus que jamais les multiples formes de responsabilités des femmes dans le sort actuel d'Haïti, pour pouvoir inviter ces dernières à assumer pleinement les conséquences ou les sanctions de leurs choix et positions pour la recherche d’une solution durable ou pour l'aggravation de cette situation sur le point d'emporter leurs maris, leurs fils, leurs frères, leurs collègues et confrères.

De quelle femme viendra le premier signal ? Dans combien de temps pourrait-on assister au prochain réveil des femmes dans la société haïtienne, en constatant l'échec des hommes à offrir une vie meilleure aux familles haïtiennes ? Quelle femme, issue des ghettos ou des zones de non-droit, va finalement porter le flambeau et prendre la tête du nouvel ordre politique, social et culturel pour le renouveau d’Haïti ?

Dans une forme de silence complice ou d’épuisement irréversible, la majorité des organisations de femmes militantes et féministes du pays se taisent devant l’assassinat de leurs filles, fils et maris en permanence. D’autres jeunes filles, moins rebelles et plus accrochées aux étincelles, s’organisent religieusement pour offrir du plaisir dans la chair et le sang des dizaines et centaines de victimes connues et anonymes. Face à ce désespoir presque total, on espère encore une éventuelle réincarnation d’une Cecile Fatima, d’une Marie-Jeanne, ou d’une Sanite Bel-Air pour nous proposer une nouvelle ère !

Dominique Domerçant        

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