À la racine des malheurs d’Haïti : des réparations aux esclavagistes

En 1791, les esclaves haïtiens chassent les colons français et fondent leur propre nation. La France fera payer cher cette liberté à des générations d’Haïtiens. Le montant de cette rançon n’avait pas été chiffré - jusqu’à aujourd’hui.

DONDON Haïti — Adrienne Present s’avance dans la forêt clairsemée près de chez elle pour y cueillir les premières cerises de café de la saison : des billes rouge vif chatoient au creux de ses mains.

La récolte a commencé.

Tous les matins, alors qu’il fait encore nuit, elle allume un feu de charbon à même le sol de sa maison. L’électricité n’est jamais arrivée jusqu’à Dondon, la commune au nord d’Haïti où elle vit.

Adrienne Present remplit une casserole avec de l’eau qu’elle a puisée au point le plus proche, une source de montagne qui jaillit dans le champ d’un paysan. Elle y jette du café qu’elle a séché, tamisé, torréfié et moulu dans un grand mortier, le pilon, comme elle a appris à le faire petite.

Le café est au cœur de la vie en Haïti depuis près de trois siècles, quand les esclaves ont défriché des montagnes pour faire place aux premiers caféiers. La colonie, qui s’appelait alors Saint-Domingue, est devenue le premier fournisseur en café et en sucre des cuisines de Paris et des cafés de Hambourg, générant des fortunes exceptionnelles pour un grand nombre de familles françaises. De l’avis de beaucoup d’historiens, c’était aussi la colonie la plus violente du monde.

Les ancêtres d’Adrienne Present ont mis fin à cette situation en 1791 par la première révolte d’esclaves victorieuse du monde moderne. Elle aboutit en 1804 à la création d’une nation nouvelle et indépendante, plusieurs décennies avant que la Grande-Bretagne n’abolisse l’esclavage ou que la guerre de Sécession n’éclate en Amérique.

Après l’indépendance du pays, plusieurs générations de Haïtiens ont pourtant été contraintes d’indemniser les héritiers de leurs anciens maîtres esclavagistes. Parmi celles-ci: l’impératrice du Brésil, le gendre du tsar russe Nicolas Ier, le dernier chancelier impérial d’Allemagne, et le général Gaston de Galliffet, surnommé le « massacreur de la Commune » après sa répression sanglante de l’insurrection parisienne de 1871.

Ce fardeau a pesé sur Haïti jusque dans le courant du 20e siècle. Les richesses que les ancêtres d’Adrienne Present tiraient de la terre ont généré d’immenses profits pour le Crédit Industriel et Commercial, ou CIC, une banque qui a co-financé la tour Eiffel, et pour ses investisseurs. Depuis Paris, ils ont eu, pendant des décennies, la mainmise sur les finances haïtiennes. Le CIC fait aujourd’hui partie de l’un des plus importants conglomérats financiers d’Europe.

Wall Street, elle aussi, a convoité les richesses d’Haïti, et elles ont assuré de très confortables à la banque qui deviendra Citigroup. Supplantant l’influence française, celle-ci encouragea l’invasion américaine d’Haïti, qui sera l’une des plus longues occupations militaires de l’histoire des États-Unis.

La plupart des cultivateurs de café dans la région où vit Adrienne Present n’ont toujours pas d’eau courante ni de fosse septique. Ils se contentent encore de toilettes extérieures rudimentaires et préparent leur diri ak pwa — riz et haricots — sur des feux de camp. Ils livrent leurs récoltes de café à dos de chevaux émaciés équipés de selles en feuilles de palmier et de rênes en corde. À moins qu’ils ne les portent sur la tête, pieds nus pour parcourir de longs kilomètres de pistes de terre.

Beaucoup d’Haïtiens ne savent pas lire, dont Jean Pierrelus Valcin, le mari d’Adrienne Present. Ils n’ont jamais été « assis sur un banc d’école », comme on dit en créole. Les six enfants du couple n’ont pas pu finir leur scolarité, car les frais sont trop élevés. À Haïti, l’enseignement est essentiellement privé, le pays n’ayant que de peu d’écoles publiques.

« Ici il n’y a rien », soupire M.Valcin, qui perd la vue mais n’a pas les moyens de consulter un ophtalmologue. « Nos enfants sont obligés de quitter le pays pour trouver du travail. »

Il utilise un terme courant en Haïti — mizè. Davantage que la pauvreté : la misère.

Violence. Tragédies. Faim. Sous-développement. Voilà plus d’un siècle que ces mots collent à Haïti. Enlèvements. Épidémies. Tremblements de terre. Assassinat du président — dans sa chambre, pour cette fois.

Comment se fait-il, alors, que le pays voisin d’Haïti, la République dominicaine sur la même île, ait un métro, un système de santé subventionné, des écoles publiques, des stations balnéaires bondées et de longues périodes de croissance économique ?

La corruption, voilà l’explication la plus fréquente, non sans raison: les dirigeants haïtiens ont toujours fait main basse sur les richesses du pays. Il arrive d’entendre des élus parler ouvertement à la radio des pots-de-vin qu’ils touchent, et nombre d’oligarques bénéficient de monopoles lucratifs et échappent à l’impôt. D’après Transparency International, Haïti compte parmi les pays les plus corrompus au monde.

Mais c’est sans tenir compte d’une autre histoire, celle-là rarement enseignée ou même reconnue. Haïti, le premier pays dont les esclaves se sont affranchis par eux-mêmes pour fonder leur propre nation, a été forcé de payer une nouvelle fois pour sa liberté — en espèces, cette fois.

Les Haïtiens ont de quoi prendre ces menaces au sérieux. Vingt ans plus tôt, Napoléon a déjà tenté de les soumettre en leur dépêchant l’une des plus importantes flottes militaires jamais rassemblées par la France, placée sous les ordres de son propre beau-frère. Les Haïtiens ont remporté la victoire et proclamé leur indépendance. Napoléon, qui aura perdu là davantage d’hommes qu’à Waterloo, a fini par rappeler ses troupes.

Mais les riches colons français impatients de récupérer leurs terres ne baissent pas les bras, et finissent par trouver une oreille attentive au retour des Bourbons. Un ministre de la Marine, ancien colon et ardent défenseur de l’esclavage, va jusqu’à deviser un nouveau plan visant à remettre les Haïtiens en esclavage ou à les « exterminer » au moyen d’une armée de taille encore supérieure.

Haïti n’a aucun allié sur qui compter. Par leur refus de reconnaître son indépendance, les puissances mondiales l’ont mis au ban des nations. Les législateurs américains, tout particulièrement, redoutent que leurs propres esclaves ne s’inspirent de l’exemple haïtien et ne se révoltent.

Le président haïtien cède alors aux exigences de la France, espérant qu’une reconnaissance internationale assurerait au pays prospérité commerciale et sécurité. Avec cela, Haïti devient le premier et le seul pays à voir plusieurs générations de descendants d’esclaves verser des réparations financières aux héritiers de leurs anciens maîtres.

C’est ce qu’on appelle souvent « la dette de l’indépendance ». L’appellation est cependant trompeuse. C’était une rançon.

La somme était exorbitante au regard des maigres moyens d’Haïti. À lui seul, le premier paiement, en 1825, représentait six fois les revenus du gouvernement cette année-là, selon les reçus officiels consultés par Beaubrun Ardouin, un historien haïtien du 19e siècle.

Tout cela était intentionnel et faisait partie d’un plan. Car le roi de France avait confié au baron de Mackau une seconde mission : veiller à ce que l’ancienne colonie emprunte à des banques françaises pour s’acquitter de ses paiements.

C’est ce qu’on appelle la « double dette » d’Haïti — l’indemnité et l’emprunt contracté pour la payer. Colossale, elle a stimulé la croissance du tout jeune système bancaire international sur la place de Paris et précipité Haïti sur la voie de la pauvreté et du sous-développement. D’après Beaubrun Ardouin, à elles seules, les commissions des banquiers cette année-là dépassent l’ensemble des recettes du gouvernement haïtien.

Et ce n’est qu’un commencement. La double dette contribuera à happer Haïti dans une spirale d’endettement qui l’affaiblira pendant plus de 100 ans, siphonnera une grande partie de ses revenus et grèvera sa capacité à se doter d'institutions et d’infrastructures essentielles à toute nation indépendante. Des générations après que les esclaves se sont rebellés pour créer la première nation Noire libre des Amériques, leurs descendants seront forcés de travailler pour un salaire dérisoire, voire inexistant, au bénéfice de tiers : d’abord les Français, puis les Américains, et enfin leurs propres dictateurs.

Deux siècles plus tard, l’écho des salves des canons français à Port-au-Prince marquant l’accord sur la dette résonne toujours. Il n’y a qu’à voir les bidonvilles, les hôpitaux dépourvus de tout, les routes défoncées et les estomacs vides, jusque dans ces campagnes jadis parmi les plus lucratives et fécondes du monde.

« C’était un pays pauvre que 300 ans d’exploitation ont encore appauvri », déplore Cedieu Joseph, sa voix se mêlant au chant des cigales sur sa parcelle de café à Dondon, non loin de celle d’Adrienne Present. Il gère une coopérative de café qui porte le nom d’un héros local de la révolution et compare la dette de l’indépendance à un fouet brandi par la France pour punir son ancienne colonie d’avoir désiré, et gagné, sa liberté.

« Les esclaves se sont battus pour notre indépendance », rappelle-t-il. « Les faire payer pour cette indépendance, c’était créer un nouveau type d’esclavage. »

Entre-temps, la double dette est tombée dans les oubliettes de l’histoire. La France n’a toujours fait que la minimiser, la déformer, si ce n’est la gommer des mémoires. Seule une poignée d’universitaires l’a étudiée dans le détail. Aucun calcul approfondi n’a été tenté, d’après les historiens, de ce que les Haïtiens ont effectivement payé. Les Haïtiens eux-mêmes ne s’accordent toujours pas sur les effets à long terme de la dette sur l’économie, le développement et le destin politique du pays.

The New York Times s’est plongé pendant plusieurs mois dans des milliers de pages d’archives gouvernementales, certaines anciennes de plusieurs siècles et qui n’ont sans doute jamais été étudiées par des historiens. Nous avons fouillé dans des bibliothèques et des archives en Haïti, en France et aux États-Unis pour mieux comprendre la double dette et ses effets financiers et politiques sur Haïti.

Dans une démarche qualifiée de première par des historiens, nous avons calculé les sommes effectivement versées par les Haïtiens aux héritiers de leurs anciens maîtres, aux banques et aux investisseurs français détenteurs du premier prêt ayant servi à financer l’indemnité. Ont été pris en compte non seulement les remboursements de la dette par le gouvernement, mais aussi les intérêts et les pénalités de retard appliqués au fil des décennies.

D’après nos calculs, Haïti a déboursé environ 560 millions de dollars en valeur actualisée. Et cette somme est loin de correspondre au déficit économique réel subi par le pays. Si elle avait été injectée dans l’économie haïtienne et avait pu y fructifier ces deux derniers siècles au rythme actuel de croissance du pays — au lieu d’être expédiée en France sans biens ni services en retour — elle aurait à terme rapporté à Haïti 21 milliards de dollars. Et cela même en tenant compte de la corruption et du gaspillage notoires dans le pays.

À titre d’échelle, c’est bien davantage que le produit intérieur brut d’Haïti en 2020.

Nous avons partagé nos conclusions et notre analyse avec 15 économistes et historiens de renom, spécialistes des économies en développement et des effets des dettes publiques sur la croissance. Tous à l’exception d’un seul ont validé notre estimation de 21 milliards de dollars, ou déclaré qu’elle se situait dans la fourchette des possibles, ou encore l’ont jugée trop prudente. Certains ont proposé des modélisations alternatives, dont la plupart aboutissent à des pertes encore plus importantes à long terme pour Haïti.

La raison en est simple : si cet argent n’avait pas été envoyé aux anciens esclavagistes, il ne serait pas resté entre les mains de cultivateurs de café, de blanchisseuses, de maçons ou de tout autre à l’avoir gagné par le travail. Au contraire, il aurait circulé dans les commerces, il aurait servi à payer des frais de scolarité et de santé. Il aurait contribué à soutenir des entreprises déjà existantes et à en créer de nouvelles. L’État en aurait capté une partie, peut-être pour construire ponts, égouts et autres canalisations.

Toutes ces dépenses rapportent au fil du temps, car elles font croître l’économie d’un pays. Il est impossible de savoir avec certitude la tournure qu’aurait prise l’économie haïtienne, et compte tenu des fréquentes pratiques de corruption des dirigeants, certains historiens estiment que les besoins des paysans pauvres, comme ceux de Dondon par exemple, n’auraient de toute manière jamais été prioritaires.

Mais d’autres assurent que, sans le fardeau de la double dette, Haïti aurait pu se développer au même rythme que ses voisins d’Amérique latine. « Il n’y a aucune raison pour qu’un Haïti libéré du fardeau français n’ait pas pu le faire », soutient l’historien des finances Victor Bulmer-Thomas, spécialiste des économies de la région. André A. Hofman, expert du développement de l’Amérique latine, estime le scénario « très raisonnable », lui aussi.

Si l’on prend cette hypothèse, le manque à gagner pour Haïti est stupéfiant, de l’ordre de 115 milliards de dollars, soit huit fois la taille de son économie en 2020.

En d’autres termes, et d’après l’étude récente d’une équipe internationale d’universitaires, si Haïti n’avait pas eu à indemniser ses anciens maîtres, son revenu par habitant en 2018 aurait été près de six fois plus élevé — et comparable à celui de la République dominicaine voisine.

Pour ces universitaires, le fardeau imposé à Haïti est « sans doute la dette souveraine la plus odieuse de tous les temps ».

The New York Times n’a calculé que l’impact économique de la double dette — les réparations aux colons et le prêt initial contracté pour les financer. Les problèmes d’Haïti sont allés bien au-delà.

La dette a engendré une cascade de privations, de déficits budgétaires et d’emprunts extérieurs ruineux qui ont affecté Haïti jusqu’au-delà du 20e siècle.

En 1888, quand le pays boucle enfin son dernier paiement lié aux anciens esclavagistes, la dette est loin d’être réglée. Pour s’en acquitter, Haïti a emprunté à d’autres créanciers étrangers. Ces derniers, de mèche avec des fonctionnaires haïtiens cupides et indifférents aux souffrances de leur peuple, ponctionneront au fil des décennies une part importante des revenus du pays.

Déjà exsangue d’avoir payé la France depuis des décennies, Haïti multiplie les emprunts. En 1911, sur 3 dollars perçus via l’impôt sur le café, principale source de revenus du pays, 2,53 dollars servent à rembourser la dette aux mains d’investisseurs français, d’après les estimations des historiens haïtiens Gusti-Klara Gaillard et Alain Turnier. Leurs calculs concordent avec des livres de comptes conservés au Centre des Archives diplomatiques françaises à La Courneuve, en banlieue parisienne.

La somme restante ne permet guère de gouverner le pays, encore moins de le bâtir.

Sous l’occupation américaine qui débute 1915, il arrive certaines années que le budget serve davantage à payer les salaires et les frais des Américains qui contrôlent les finances haïtiennes qu’à fournir des soins de santé à l’ensemble de la nation, qui compte environ deux millions d’habitants.

La levée de la mainmise fiscale américaine à la fin des années 1940 ne change rien à la donne. Les paysans haïtiens survivent dans un état « souvent proche du seuil de famine », selon un rapport des Nations Unies de l’époque. À peine plus d’un enfant sur six est scolarisé.

Le pays croule toujours sous les dettes. Dans les années 1940, on demande aux enfants qui ont la chance d’aller à l’école d’apporter quelques sous en classe pour aider au remboursement de l’avalanche d’emprunts qui accable le pays depuis sa création.

En France, cette histoire est passée sous silence. Les programmes scolaires français ne font pas mention des réparations que des générations d’Haïtiens ont été forcées de payer à leurs anciens maîtres, constatent les chercheurs. Alors quand un dirigeant de Haïti évoque la question à grand bruit, le gouvernement français prend l’affaire de haut et tente d’étouffer la polémique.

Jean-Bertrand Aristide est un ancien prêtre et le premier président démocratiquement élu après une longue dictature. En 2003, à grands renforts de publicités télévisées et de banderoles dans les rues, il exige que la France rembourse les sommes extorquées et charge une équipe de juristes de réunir de quoi initier une procédure judiciaire internationale. Le gouvernement français réplique en nommant une commission publique chargée d’examiner les relations entre les deux pays. En coulisses, la commission a toutefois pour instruction de « ne pas dire un mot allant dans le sens de la restitution », affirme Thierry Burkard, l’ambassadeur de France en Haïti à l’époque, lors d’un entretien avec The New York Times.

Aux yeux de la commission, les exigences de M. Aristide sont des manœuvres de démagogue. Dans son rapport publié en janvier 2004, la dette de l’indépendance était un simple « traité » conclu entre Haïti et la France — la présence d’une armada de guerre au large d’Haïti pour l’imposer de force n’est mentionnée qu’en annexe.

Un mois plus tard, le gouvernement français contribuera à évincer Jean-Bertrand Aristide du pouvoir sous prétexte d’éviter que les troubles politiques secouant Haïti ne dégénèrent en guerre civile. La France a longtemps nié tout lien entre le départ du président haïtien et sa demande de restitution. M. Burkard, pourtant, le reconnaît : « C’est probablement ça aussi un peu ».

La demande, ajoute-t-il, « aurait été un précédent pour 36 autres réclamations ».

La question de la restitution ne disparaît pas avec le départ de Jean-Bertrand Aristide. En mai 2015, lors de l’inauguration d’un centre mémoriel sur la traite et l’esclavage en Guadeloupe, le président François Hollande sidère son public en qualifiant le tribut versé par Haïti de « rançon de l’indépendance ».

« Quand je viendrai en Haïti », promet-il, « j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons. »

Le public, parmi eux le président haïtien de l’époque, se lève comme un seul homme et l’applaudit avec ferveur.

« Les gens pleuraient, les chefs d’État africains pleuraient », se rappelle Michaëlle Jean, ancienne secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, d’origine haïtienne, et qui assistait à l’événement. « C’était immense. »

Mais l’enthousiasme est de courte durée.

Quelques heures plus tard, l’entourage du président Hollande précise aux agences de presse que ce dernier parlait d’une « dette morale » de la France envers Haïti — et non d’une quelconque indemnisation financière. La position de la France n’a pas bougé depuis.

« La France doit regarder son histoire en face », reconnaît le ministère des Affaires étrangères au New York Times, ajoutant l’expression de sa « solidarité » à Haïti. La France n’a néanmoins pas calculé le montant des sommes reçues d’Haïti au fil des générations.

« C’est le travail des historiens », estime le ministère.

Les paiements haïtiens aux anciens colons n’étaient censés bénéficier qu’à des propriétaires individuels, non au gouvernement français. L’État en touchera pourtant sa part. D’après des documents officiels de la fin des années 1900 retrouvés par The New York Times, près de 2 millions de francs versés par les descendants d’esclaves — environ 8,5 millions de dollars — ont rejoint les caisses de l’État français. (La direction générale du Trésor se refuse à tout commentaire, affirmant que ses archives ne remontent qu’à 1919.)

Les descendants de familles qui ont touché ces réparations font encore partie, pour certains, du gotha européen ou de l’aristocratie française. Parmi eux, on trouve Maximilien Margrave de Baden, cousin germain du prince Charles ; Ernest-Antoine Seillière de Laborde, ancien président du Medef ; ou encore Michel de Ligne, un prince belge dont les ancêtres, proches de Catherine II de Russie, firent construire le « Versailles belge », où des centaines d’enfants Juifs ont été cachés pendant l’Holocauste.

The New York Times a retrouvé et interrogé plus de 30 descendants de familles ayant bénéficié de paiements liés à la dette de l’indépendance haïtienne. La plupart déclarent tomber des nues.

« C’est une partie de l’histoire de ma famille que je ne connaissais pas », s’étonne Nicolas Herzog von Leuchtenberg — duc de Leuchtenberg et descendant au sixième degré de Joséphine de Beauharnais, la première femme de Napoléon — lors d’une interview téléphonique depuis l’Allemagne.

Le poids de la dette n’a pas pesé de manière égale sur tous les Haïtiens. La petite élite du pays, qui vit aujourd’hui dans des résidences protégées quand elle n’est pas en vacances à Paris ou à Miami, a été très peu affectée. Ce sont les plus pauvres qui ont payé le prix fort — et qui continuent de le faire, beaucoup soulignent, puisque le pays a toujours manqué d’écoles, d’eau potable, d’électricité et autres services de base.

« Aujourd’hui encore, nous souffrons des conséquences de la dette », constate Francis Saint-Hubert, un médecin qui enseigne à l’École de médecine de la Fondation Aristide pour la Démocratie en Haïti, et qui a participé à la campagne de Jean-Bertrand Aristide pour la restitution. Lors d’une visite récente à un hôpital public, il a trouvé les armoires vides des fournitures les plus élémentaires. Aucun tensiomètre. Aucun thermomètre.

« Nous continuons à payer », déplore-t-il, « et parfois de nos vies. »

Les documents que the New York Times a consultés permettent de comprendre la genèse de cette dette et son impact au fil de l’histoire. Certains remontent aux années précédant la naissance de la nation haïtienne.

Pour lire l’article entier, rendez-vous sur www.nytimes.com/haiti-UN

Ont contribué à cette enquête : Charles Archin, Harold Isaac et Ricardo Lambert à Port-au-Prince ;  Daphné Anglès, Claire Khelfaoui and Oliver Riskin-Kutz à Paris ; David Foulk à Mont-de-Marsan ; Sarah Hurtes et  Milan Schreuer à Bruxelles ;  Allison Hannaford à North Bay, Canada ; et Kristen Bayrakdarian à New York.

 

Auteurs:

Catherine Porter, Constant Méheut, Matt Apuzzo et Selam Gebrekidan pour The New York Times.

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