Jose-Booz Paul : « L'insécurité qui sévit dans le pays permet aux dirigeants actuels de perdurer au pouvoir sans organiser d'élections »

À qui profite le phénomène de l’insécurité qui paralyse Haïti? Me Jose-Booz Paul, spécialiste du droit international comparé, croit que l'insécurité qui sévit dans le pays permet aux dirigeants actuels de perdurer au pouvoir sans organiser d'élections. Il a répondu aux questions du quotidien Le National.

LN: Me Jose-Booz Paul, notre pays est plongé dans une série de problèmes majeurs, en ce moment. L’insécurité frappe durement la population. Quelle est votre lecture de la situation? 

JBP : Bon! Nous sommes en guerre. Nous avons un pays qui lutte contre ses propres enfants. Ayons le courage de dire la vérité aux Haïtiens: ce ne sont ni les Français, ni les Américains, ni les Russes, voire même les Chinois qui tuent dans les rues de Port-au-Prince. Ce sont des Haïtiens qui tuent des Haïtiens. Et, je crois qu’il faut avoir assez de lucidité pour comprendre que nous avons fabriqué des “ti untel”, des “ti ceci, ti cela” dans nos quartiers pauvres. Ils attendaient de recevoir des bibliothèques, des écoles, des médiathèques, des cours d’arts, dans leur ghetto. Mais, non! En trente ans, nous leur avons fourni des armes à feu pour consolider nos positions. 

LN: Qui sont les responsables, selon vous? 

JBP: Tous les membres des élites de ce pays. Price-Mars parlait de la vocation de l’élite. Une élite est là pour guider la majorité constituée d'illettrés, d’indigents, de personnes qui n’ont pas eu la chance d'être nées au bon moment, au bon endroit. Or, nos élites, depuis trente ans, n’ont fait qu'enrichir les dominicains et les Floridiens. Nos impôts et une partie de l’aide internationale dédiée au développement de notre pays sont investis à Punta Cana et dans le Sud-Est de la Floride. Vous avez des gens qui font de la politique en Haïti, mais qui ne possèdent même pas un clou dans ce pays. Sauf, peut-être, leur acte de naissance et leur passeport. Ils mettent leurs enfants à l’étranger à l’abri de tout danger et tentent de nous vendre leur volonté de changer en mieux les conditions de vie des gens de ce pays. Vous avez des gens, dans ce pays, c’est quand ils sont nommés ministres, qu’ils vont payer leurs impôts à la Direction générale des impôts. Toutes ces petites choses ont contribué à mettre le pays dans le trou où il se trouve en ce moment. C’est la somme des petites choses de la part de chaque citoyen responsable qui crée un bon pays. 
La génération qui a dirigé Haïti de 1991 à nos jours doit demander pardon aux Haïtiens pour avoir tué tant de rêves et briser tant d’ambitions de créer de la richesse, de prendre des risques et de réussir dans ce pays. Vous avez des gens qui font tout pour aider leurs enfants à réussir à l’étranger, mais qui trouvent que nous, les jeunes professionnels issus des masses populaires, sommes trop jeunes pour diriger ce pays, malgré nos formations et nos expériences. Tout cela pour vous dire qu’aujourd'hui, je pense que chacun doit faire son examen de conscience, dans ce pays. Il n'y a, à mon avis, aucune fierté, en ce moment, de passer son temps à louer les accomplissements de ceux ayant dirigé ce pays au cours des trente dernières années. Regardez bien! Depuis 2018, les rues de Port-au-Prince sont envahies par l'odeur âcre des pneus brûlés et le bruit incessant des coups de feu. La violence et l'instabilité sont devenues la nouvelle norme en Haïti, les gangs ayant pris le contrôle de près de 90 % de la zone métropolitaine. Le paysage, autrefois magnifique, de notre pays, est aujourd'hui marqué par les ravages d’un conflit armé sans fin, laissant nos frères et sœurs haïtiens prisonniers d'un cycle de peur et de désespoir. Je constate que les habitants de la capitale et de ses environs ne sont plus les seuls à souffrir de cette situation chaotique. Dans le département de l'Artibonite, autrefois paradis bucolique, la violence aveugle et les enlèvements sont désormais une menace quotidienne. Pour quelles conséquences? Des familles brisées, des enfants qui se retrouvent soudain orphelins un bon matin et des communautés entières prises en otage par le fléau de la violence de ces gangs armés. Ce pays est devenu un enfer pour ses propres citoyens. C’est triste! 
LN: Effectivement, la situation actuelle en Haïti est à la fois alarmante et angoissante. C’est bien de rappeler comment nous sommes arrivés à ce carrefour. Mais, la réalité est bien là. Nous devons l’affronter. 

JBP: Oui! Mais, ce n’est pas si simple d’affronter cette situation.  Qui sont ces bandits armés? Ce sont nos jeunes. Nos camarades de classe. Certains d’entre eux jouaient au football avec nous. Nous les avons vu grandir, courir dans nos quartiers. Ils dorment et se réveillent avec nous. Ils auraient pu devenir de grands artistes, de grands athlètes. Pourquoi sommes-nous dans cette situation chaotique? Parce que tout simplement des ministres de la jeunesse et des sports, de l’éducation nationale, de la culture, des affaires sociales, et surtout des ministres de l’intérieur ont voulu avoir dans ce pays une majorité de cancres isolés et frustrés pour mieux les utiliser contre des éléments des classes moyennes de ce pays. Ces gens les plus vulnérables de nos quartiers pauvres, à un moment donné, estimaient avoir été trahis par les dirigeants de notre pays. Je sais ce que cela signifie d'être né dans la pauvreté. Je sais ce que cela signifie de ne pas être au bon endroit à cause de son origine ou de la couleur de sa peau. Je sais combien, dans ce pays, nous adorons détruire ceux qui essaient de s’élever dans l'ascenseur social. Les gangs qui sévissent dans notre pays ont atteint ce degré d'intensité, car nous l’avons voulu. Affronter la réalité, c’est aussi essayer de se mettre dans la peau de ces jeunes désoeuvrés armés, en fixant les responsabilités de ceux qui ne font qu’utiliser leur faim, leur isolement social, et leur faiblesse. 

LN: Le mot de la fin, Me Jose-Booz Paul. 

JBP: Le dernier mot pour terminer notre conversation est de dire aux Haïtiens qu'il est temps de prendre leurs responsabilités. Je voudrais également demander aux Haïtiens de noter que faire la lumière sur l'assassinat du Bâtonnier de Port-au-Prince, Me Monferrier Dorval, n'est pas l’une des priorités du ministère de la Justice de ce gouvernement. Nous avons des cyniques au pouvoir, en ce moment, qui essaient de profiter de l'insécurité. L'insécurité permet aux dirigeants actuels de perdurer au pouvoir sans organiser d'élections. Le danger est qu'il n'existe plus de parlement pour remettre en cause l'action de ce gouvernement. Les finances publiques ne sont plus contrôlées. Une nouvelle classe de riches s’est, d'ailleurs, créée en moins de deux ans, durant cette transition politique. Je pense qu'il est nécessaire, dès que possible, de mettre de l'ordre dans ce pays, de changer la constitution actuelle et d'organiser des élections sincères, crédibles, honnêtes, libres, démocratiques et inclusives. Nous avons besoin d'une génération politique de rectification. Une génération qui aura le courage de rectifier plus de trente ans de malversations issues des laboratoires de ceux qui n'étaient pas du tout préparés à diriger ce pays au passé singulièrement glorieux.
 
LN : Merci, Me Jose-Booz Paul !

JBP: Respect! C’est toujours un grand plaisir de dire la vérité aux Haïtiens dans les colonnes de ce grand journal qu’est Le National. Merci beaucoup ! À très bientôt ! 


Propos recueillis par Wilner Jean 

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