La plupart des Haïtiens ne connaissent pas grand-chose de la vie ou de l’histoire de Mackandal - que certains présentent sous l’orthographe de Macandal ou encore Makandal - dont le nom complet était François Mackandal. On sait qu’il a été l’un des esclaves marrons les plus célèbres de Saint-Domingue pour avoir été particulièrement actif dans la lutte contre le système colonial et pour sa réputation de marron exceptionnel et d’empoisonneur des Blancs et aussi des esclaves, avec à son actif un bilan de 6 000 victimes.
Le texte qui suit procède de l’idée qu’il convient de mieux faire connaitre ce personnage à ses compatriotes qui n’ont pour la plupart étudié à l’école au primaire et au secondaire qu’un paragraphe consacré à ce personnage.
Une personnalité plus connue par les spécialistes à l’étranger qu’en Haïti
La vie de cet immense précurseur de la Révolution haïtienne, prédécesseur de Boukman, a été étudiée par des dizaines d’auteurs, d’artistes et de romanciers surtout étrangers qui ont été fascinés par ce personnage. Comme Moreau de Saint-Méry, qui a été peut-être le premier à écrire à son sujet, soit trente ans après son exécution, le Cubain Alejandro Carpentier, l’auteur-compositeur, interprète, rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, le Français Pierre Pluchon, le Martiniquais Édouard Glissant, le dominicain Manuel Rueda ainsi que des anthropologues américains comme Mike Davis et Wyatt Mac Galley et des historiens américains comme Linda Heywood et John Thornton de l’Université de Boston, David Patrick Geggus de l’Université de Floride et aussi un historien congolais du nom de Arsène Francoeur Nganga. Il ne faut pas oublier des chercheurs haïtiens comme Rafael Lucas, ancien professeur à l’Université de Bordeaux, qui est un de ses biographes ayant écrit quelques articles à son sujet.
Il est question de Mackandal dans le roman de Alejo Carpentier intitulé Le royaume de ce monde écrit en 1949, utilisant pour décrire la personnalité légendaire de notre illustre marron la technique du «réalisme magique» qui devait devenir en Haïti la technique du réalisme merveilleux à partir de Jacques Stephen Alexis.
Il est aussi question de Mackandal dans The Serpent and the Rainbow, livre de Wade Davis, consacré au Vaudou, paru en 1965 ainsi que dans le film Royal Bonbon de Charles Najman, sorti en 2002.
De même, un jeu vidéo Assassin’s Creed III Liberation, sorti en 2012 sur Play Station Villa, le personnage principal porte le nom de François Mackandal qui y est présenté comme un leader des assassins. Mackandal est mentionné à nouveau dans un autre jeu vidéo du même auteur, Assassin’s Creed Red qui montre sa mort sur le bûcher.
On ne saurait oublier l’écrivain haïtien dont le roman publié en 2011, intitulé «Les Sentiers rouges : Le Messie des îles» dépeint Mackandal « comme un glorieux chef carrément divin aux yeux de ses partisans et même de ses ennemis». Enfin, Gaël Faye, le Franco-Rwandais, fait référence à Mackandal dans sa chanson « Tôt le matin ».
Qui était François Mackandal ?
On recèle de nombreuses contradictions sur les données que nous possédons sur Mackandal dont on dit qu’il était aussi doté de pouvoirs surnaturels. S’il est indéniable qu’il a été déporté d’Afrique dans le cadre de la traite négrière, plusieurs sources indiquent qu’il était né au Sénégal, d’autres affirment que son lieu de naissance serait plutôt la Guinée, le Mali ou encore le Kongo. Il faut aussi retenir que l’on raconte tout aussi sur sa religion. Musulman, vaudouïsant ou autre ?
L’historien congolais, Arsène Francoeur Nganga, le prend pour un de ses compatriotes, apportant comme preuve à l’appui, dans son ouvrage sur les origines Kôngo d'Haïti, que Mackandal «viendrait du mot congolais «makandala» qui aurait été francisé dans la colonie. Signalons que des historiens et autres spécialistes de sciences sociales américains que nous avons cités ont également adhéré à l’idée qu’il serait originaire du Congo. Un chercheur comme Pierre Pluchon, ancien directeur de l’Institut français d’Haïti dans les années 1960-1970, qui avait décrit les pratiques de « Macandal », avait fait observer que l'utilisation de l'eau bénite et d'ingrédients associés relevait de pratiques kongo.
Les données sans doute les plus fiables concernant ce personnage sont sans doute celles qui ont été présentées par Moreau de Saint-Méry qui avait vécu et écrit dans la colonie, mais qui y était sans doute arrivé après l’exécution de Mackandal. Tandis que plusieurs des autres textes qui parlent de Mackandal ont été produits bien longtemps par des auteurs qui ont largement romancé leurs écrits. Ce qui fait qu’il faut prendre la plus grande partie de ce que les uns et les autres disent de lui est à prendre avec beaucoup de réserve.
D’après Moreau de Saint-Méry, Mackandal était d’abord attaché à l’habitation Normand Lemézy, non loin du Cap-Français et de la ville de Limbé, - la même plantation où s’étaient regroupés les esclaves qui avaient participé à la Cérémonie du Bois-Caïman - et qu’il était particulièrement actif dans la composition de substances qui avaient servi à empoisonner blancs et esclaves. On l’a toujours décrit comme un manchot parce que, selon les témoignages les plus crédibles, son bras droit qui était broyé dans un moulin à canne avait dû être coupé à la machette pour empêcher que tout son corps ne soit entièrement broyé par la machine. C’était d’ailleurs la pratique de l’époque où il y avait toujours un préposé tout près des moulins de canne à sucre, muni d’une machette, pour réagir rapidement en cas d’accident afin d’éviter la mort des esclaves qui alimentaient les moulins.
D’après d’autres versions, l’amputation du bras droit de Mackandal n’était autre qu’une punition des autorités coloniales à son encontre en raison de ses nombreuses activités criminelles. Interprétation peu crédible, parce qu’à l’époque, on n’appliquait pas de demi-mesure contre les esclaves dangereux pour le système colonial.
Il faut ajouter que, du vivant de Mackandal, circulaient de nombreux récits les uns plus mythiques que les autres. Ce qui est sûr, c’est qu’après son accident, cet esclave était gardé quelque temps sur la plantation pour surveiller le bétail dont on connait la grande importance pour le transport des bâtons de canne à sucre.
Selon un des récits de l’époque, dont l’authenticité est douteuse, Mackandal « se serait ensuite enfui après avoir suscité la jalousie de son maître en séduisant une jeune esclave noire dont le maître blanc était également épris ». A la suite de cette affaire, son maitre devenu son rival aurait alors trouvé un prétexte pour le maltraiter. C’est alors qu’il aurait pris la fuite pour devenir un esclave marron pendant environ dix-huit ans, selon certaines sources, profitant de sa longue fugue pour organiser « la révolte de ses semblables contre les maîtres blancs français».
Mackandal entre sa période de marronnage et son exécution
Pendant tout son long marronnage dans les mornes, Mackandal avait fait croire à ses frères noirs qu’il impressionnait beaucoup qu’il avait le don de l’immortalité, tout en renforçant ses techniques d’empoisonnement. Les drogues particulièrement efficaces qu’il préparait à partir de plantes qui étaient distribuées aux esclaves afin que ces derniers les mélangeassent aux boissons ou aux aliments des Français, d’où son titre de maître des poisons. C’est pourquoi le nom de Mackandal est resté dans le langage populaire haïtien pour désigner tout sac contenant un produit toxique. Il désigne aussi, depuis le temps de Moreau de Saint-Méry, les empoisonneurs et, toujours, selon cet historien, ce nom était devenu « l’'une des plus cruelles injures qu'ils puissent s'adresser entre eux ».
Ce grand chef charismatique avait réussi à unir plusieurs bandes d'esclaves marrons, en mettant en place « un réseau d'organisations secrètes dans les plantations ». Mackandal avait aussi lancé plusieurs actions nocturnes contre les plantations, à la faveur desquelles, il avait réussi à tuer leurs propriétaires ainsi que des milliers d’esclaves.
Mackandal était aussi craint de ces derniers parce que, dans le cadre de sa lutte contre le système esclavagiste, il avait également fait empoisonner plusieurs esclaves qui n’avaient pas obéi à ses ordres et qui continuaient à travailler sur les plantations.
Rappelons que, d’après certains historiens, il aurait été responsable de la disparition de 6 000 résidents de la colonie, Blancs et Noirs.
Pendant toute la période de son marronnage, Mackandal était devenu l’ennemi abattre pour les Blancs.
Son aventure avait duré 18 ans selon les chroniqueurs et s’était achevée alors qu’il participait à une calenda, c’est-à-dire à une fête d’esclaves où il a été trahi par ses frères, avant d’être arrêté et jeté en prison, torturé, jugé et condamné à mort et brûlé vif sur une place publique au Cap-Français, le 20 janvier 1758. Motif de sa condamnation et de son exécution « accusation de séduction, de profanation et empoisonnement »
Son exécution avait été spectaculaire, puisque le pouvoir colonial, qui voulait gommer son influence, avait voulu marquer les esprits des esclaves en sommant plusieurs d’entre eux d’assister à l’événement. Les choses avaient répondu à l’attente des autorités, parce que, pendant l’embrasement du bûcher, alors que Mackandal était couvert de flammes et qu’il se débattait contre la mort, l’un des poteaux s’était rompu et que le condamné avait tenté de s’échapper. C’est alors qu’il a été vite rattrapé pour être ramené pour de bon au bûcher. Mais on trouve des récits mythiques qui avaient raconté qu’il s’était envolé « après s’être transformé en insecte en criant je reviendrai ». Et tous les gens qui assistaient à l’exécution de dire alors « Mackandal sove »
Jean Saint-Vil
jeanssaint_vil@yahoo.fr