Le football haïtien a tout à gagner à, enfin, mettre sa boussole stratégique dans la direction des réformes en profondeur, maintes fois suggérées par la FIFA.

Le National a rencontré Mickelson Thomas avec qui il a discuté de Volleyball et de la crise actuelle qui traverse le football national. Auteur d’articles souvent controversés, cet amant des sports (comme il s’autoqualifie) prône le rétablissement d’un climat de confiance pour la restauration d’un dialogue entre les acteurs clés du football, et suggère quelques étapes-clés pour y parvenir.

Le National: Mickelson Thomas, cela fait assez longtemps que nous n’avions pas lu un article de vous sur la problématique du Sport. C’est étonnant d’autant que le volleyball, dont vous êtes un spécialiste, soit actuellement engagé dans une compétition internationale. Que se passe-t-il ?

Mickelson Thomas: Parfois, il faut accorder du temps à la famille, mais rassurez-vous, j’ai de nombreux articles en préparation sur la problématique de la pratique sportive ; celle-ci mise à rude épreuve par le marasme socio-politique et économique actuel.

En ce qui a trait au volley-ball, il revient à la FHVB, dont cela n’a jamais été le point fort, de communiquer avec rationalité et transparence sur ses activités. En effet, actuellement une sélection de beach-volleyball, sous la houlette du coach Pedro CEDME, est à pied d’œuvre aux Iles Caïmans, dans un tournoi de préparation pour les Jeux Centre Amérique et Caraïbes de San Salvador qui doivent se dérouler du 25 juin au 3 juillet prochain. Les athlètes engagés, deux talentueux jeunes volleyeurs, Orlando Joseph (23 ans) et Irvens Benjamin (31 ans), originaires respectivement de Ouanaminthe et de Petit-Goâve, ont vu leur préparation tronquée en raison, probablement, du manque de planification fédérale à long terme, et de la situation délétère qui prévaut dans le pays. Aussi, revenir avec une médaille relèverait-il d’une prouesse sans précédent qu’il faudrait mettre au crédit de la force de caractère de ces valeureux athlètes et de leur infatigable entraîneur.   

 

Note de la rédaction : L’équipe haïtienne s’est classée 13e sur 20 équipes à ce tournoi de préparation.

L. N. : Vous nous avez aussi habitués à des articles de bonne facture sur le football. Quelle est votre lecture de la crise actuelle du sport-roi ?

M.T. : Contrairement à ce que pense plus d’un, cette crise multidimensionnelle exposée au grand jour avec les scandales d’abus sexuels, aboutissant à la mise à l’écart de certains dirigeants immoraux, ne date pas d’hier. Le football national, avec quelques rares coups d’éclat, renvoie aux oubliettes notre incapacité chronique à nous qualifier pour une phase finale de Coupe du monde masculine sénior depuis environ un demi-siècle. Selon moi, notre « sport-roi » a connu des difficultés persistantes et récurrentes, en particulier au cours de la dernière décennie, d’autant que son organisation et sa gestion ont fait l’objet d’incessantes recommandations de réformes urgentes par les responsables de la FIFA ; qui ont maintenu en poste le « Comité de normalisation » ; l'équipe fédérale précédente ayant délibérément négligé d’enclencher les réformes structurelles profondes qui avaient été « exigées », à maintes reprises, par l’instance faîtière.

L. N.: D’aucuns reprochent à ce Comité son inertie et avancent même que sous la Présidence d’Yves Jean-Bart (Dadou), le football se portait mieux.

M.T. : Je continuerai d’éviter de tomber dans ce dualisme « piégeur » de pour ou contre. Quoique l’histoire retiendra un « avant » et « après » Yves Jean-Bart (Dadou), qui a passé plus de vingt ans au timon des affaires fédérales, nous ne saurions réduire les options de résolution de cette crise fédérale dans cette étroite perspective manichéenne de « yon ti 2 kan ».

Ma connaissance du secteur des sports, me permet d’affirmer, sans risque de me tromper, que la mise en place par la FIFA, d’une « Structure de normalisation » au sein d’une association nationale, est généralement commandée par la nécessité d’en superviser les affaires « pour un temps déterminé », lorsqu'il existe des problèmes récurrents de gestion administrative, financière et technique, ou d'autres goulots d’étranglement significatifs. L’objectif principal étant de rétablir la stabilité, l'intégrité et la bonne gouvernance selon une feuille de route préalablement établie. Cela aboutit, presque toujours, à l’organisation d’élections fédérales afin qu’une nouvelle équipe prenne en main les rênes du football en question.

L’incompréhension de ces prémices (là, je m’adresse aux clubs affiliés et au gouvernement) risque de mettre le pays en porte à faux avec l’instance suprême, et de l’exposer à des sanctions internationales qui feraient des torts irréversibles aux athlètes, aux dirigeants, aux journalistes, et aux inconditionnels amants du football que nous sommes.

Aussi, juger des performances de l’actuel « Comité de normalisation », relativement à la gestion actuelle du football, suggère-t-il d’abord de connaître clairement le contenu de la feuille de route qui a été « arrêtée ».

Le fait que nos deux (2) sélections nationales « séniores », masculine et féminine, se préparent pour les échéances internationales sous l’égide la FIFA - la Gold Cup (du 24 Juin au 16 juillet 2023), la prochaine Ligue A des nations pour nos « Grenadiers » ; et la Coupe du Monde féminine de la FIFA, Australie & Nouvelle-Zélande (du 20 juillet au 20 août  2023) pour nos « Grenadières »; - implique que la gestion des sélections nationales fait partie intégrante de cettedite feuille de route.

Probablement la révision légale de certains textes juridico-légaux (statuts, codes disciplinaires et d’éthique, règlements de gouvernance et de coopération avec les intermédiaires, documents d’affiliation, modèles de contrats, etc.) et l’organisation d’élections transparentes avec les clubs répondant à des critères spécifiques font, sans aucun doute, partie des prescrits de cette fameuse feuille de route qui devrait être publique dans une dynamique de transparence et de reddition de comptes.

L. N.: Quelles recommandations feriez-vous pour une résolution de cette crise qui perdure autant ?

M.T.: Cela va sonner un brin stéréotypé. Mais je dirais que la résolution de la crise du football passe obligatoirement par le rétablissement d’un climat de confiance pour la restauration d’un dialogue entre les acteurs clés du football. Ce sont les deux voies sine qua non vers un avenir transparent et inclusif pour le football haïtien. Ces deux conditions doivent être réunies pour l’organisation d’élections crédibles afin qu’une nouvelle équipe fédérale puisse travailler à la reprise du football en Haïti. La réalisation de cet objectif ultime exigera une collaboration coordonnée entre d'autres acteurs, à savoir les pouvoirs publics et les acteurs du secteur privé impliqués et intéressés par le football.

Le National: En effet, cela fait un peu cliché. Pouvez-vous être plus précis ?

Mickelson Thomas: Sans ostentation, voilà quelques étapes qui peuvent être entreprises pour tenter de résoudre la crise actuelle et aboutir à un processus électoral transparent et fiable:

  1. Transparence, responsabilité et reddition de comptes. Le « Comité de normalisation » nommé par la FIFA doit:
    • mettre en place des directives précises et des procédures claires concernant la feuille de route du processus de normalisation, et veiller à leur stricte application ;
  • accorder la priorité à la transparence dans toutes ses démarches, en communiquant régulièrement auprès de toutes les parties prenantes, sur les avancées des décisions et actions prises.

Cette double approche aidera et contribuera à rétablir progressivement la confiance.

  1. Favoriser un dialogue inclusif. Ce point s’adresse non seulement au Comité, mais aussi aux clubs affiliés qui doivent trouver des créneaux pour un dialogue ouvert et inclusif afin de s’accorder sur des sujets d’intérêt commun, et éventuellement résoudre des conflits les plus simples au plus compliqués. À mesure que la confiance s’installe, le « Comité de normalisation » doit se mettre activement à l’écoute de toutes les partenaires concernées, les clubs, les joueurs, les entraîneurs, les arbitres et les supporters, afin de comprendre leurs préoccupations et leurs aspirations. La mise en place d'une plateforme de discussions pour des échanges constructifs et l’établissement de « compromis fondateurs » peut venir de deux (2) ou trois (3) clubs, doyens du football national, pour la tenue de réunions ou de fora devant encourager l’écoute, la participation et la collaboration.

N.B. S’il s’avère que des divisions et des conflits d’apparence insolubles émergent, le recours à un médiateur impartial ou à un organisme d'arbitrage indépendant (Le COH, une commission mixte par exemple), jouissant de la confiance et du respect de toutes les parties prenantes impliquées, peut s’avérer indispensable avec pour rôle de faciliter les négociations, d’aplanir les différends et d’aider à trouver un terrain d'entente entre les différentes parties.

  1. Révision légale des textes fédéraux et processus électoral. Pour avancer vers des élections, il est essentiel de procéder à une refonte des principaux textes légaux (statuts et code d’éthique), et d'établir un processus électoral transparent et crédible. Cela inclut l'élaboration de critères de droit de vote et d'éligibilité clairs, la garantie de la mise en place d’une commission électorale juste et impartiale, et finalement, d'un système de surveillance crédible pour prévenir les irrégularités.
  2.  

N.B. La FIFA ou la CONCACAF peut fournir une expertise et des orientations stratégiques éclairées pour la conduite du processus électoral.

Les reformes de gouvernance à long terme, la promotion de la transparence et de la reddition de comptes et l'établissement de mécanismes pour un une collaboration et un dialogue permanents entre la fédération et ses membres, le choix du type de football à prioriser (amateur ou professionnel) et autres axes d’intervention peuvent faire l’objet d’un plan de développement fédéral pour les vingt-cinq (25) prochaines années, que les prochains bureaux fédéraux qui se succèderaient dans des élections périodiques, exécuteraient scrupuleusement. 

Voilà donc, mon cher Bordes, en vrac, quelques recommandations générales que les connaisseurs du milieu pourraient bien adapter aux dynamiques spécifiques du football haïtien.

Bordes, dans des situations complexes comme celle-ci, trouver une solution pour mener le football vers une nouvelle Ère requiert du temps, de la patience et un engagement citoyen et sans équivoque des personnes idoines au bon endroit. Le football haïtien a tout à gagner à, enfin, mettre sa boussole stratégique dans la direction des réformes en profondeur, maintes fois suggérées par l’organe de contrôle du football mondial.

 

Propos recueillis par :

Marcel Antoine

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