Les récents événements de Kenscoff marquent une nouvelle escalade dans la crise sécuritaire. Après les meurtres et les incendies, les gangs passent désormais à la prise d’otages. Face à cette situation d’une gravité extrême, la question essentielle reste sans réponse : la Police Nationale d’Haïti (PNH) avait-elle été alertée de cette attaque ? Et que compte-t-elle faire pour libérer les otages ?
Toute autre considération – manque de financement pour le renseignement, détournements de fonds par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) – est secondaire pour l’instant. Mais, hélas, aujourd’hui, établir les responsabilités devient un exercice périlleux.
Une institution politisée et fragilisée
La PNH, censée être un corps apolitique, semble aujourd’hui suivre le même chemin que les Forces armées d’Haïti (FAD’H) en leur temps. Elle donne l’impression de s’émanciper de l’autorité civile, une dérive incompatible avec tout régime démocratique.
Ce glissement s’accompagne de rivalités internes qui rappellent les luttes intestines des FAD’H sous Henry Namphy, Prosper Avril et Jean-Bertrand Aristide. D’après certaines informations, une confrontation existerait entre le Directeur général de la PNH (DG) et le Directeur central de la Police Administrative (DCPA), illustrant cette dynamique.
Dans le passé, de telles tensions ont conduit à des mutineries, à des affrontements violents – comme ce que l’on a appelé la guerre Palais-Casernes sous Prosper Avril – mais aussi à des tentatives de putsch et à des coups d’État. On se souvient des colonels Rébu, Biamby et Qualo, du renversement de Leslie Manigat, et des "petits soldats" qui se sont retournés contre Henry Namphy au profit de Prosper Avril.
Une lutte au sommet qui compromet la sécurité nationale
Pendant que Viv Ansanm avance, une guerre ouverte éclate entre le Premier ministre et le Directeur général de la PNH. Chacun attaque l’autre par alliés interposés :
1. Le Directeur central de la Police Administrative (DCPA), réputé proche du Premier ministre, est convoqué par le Directeur central de la Police Judiciaire (DCPJ), réputé proche du Directeur général. La DCPJ étant chargée des enquêtes criminelles, cette convocation prend une tournure inquiétante. Le DCPA n'a pas répondu à la convocation. Cette situation est pour le moins explosive, avec un air de déjà-vu. Peut-on se permettre un tel bras de fer en pleine crise sécuritaire ?
2. La Direction centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) arrête le Directeur de la Caisse d’Assistance Sociale (CAS) et publie des photos de chèques à l'ordre de Jean Wistler Bellerice ainsi qu’à une organisation, OCHAN, présentée comme liée aux gangs.
3. Une lettre de cette même organisation, adressée au Premier ministre pour solliciter une aide, a également été divulguée, semblant le viser directement.
4. Un syndicat de la PNH se mobilise ouvertement en faveur du Directeur général.
5. Des voix s’élèvent pour dénoncer la gestion du DG de la PNH et l’accuser d’être responsable du chaos sécuritaire actuel.
Nous en sommes là : une guerre intestine au sommet de l’État, une PNH en pleine implosion, un État en décomposition et une population abandonnée, livrée à elle-même.
Un cancer métastasé
Le malaise est manifeste, et ce n'est sans doute pas un hasard si un représentant du Syndicat de la Police Nationale d'Haïti (SPNH) évoque publiquement un complot visant à anéantir l'institution policière. Pourtant, il n'y en a aucun. Cette déclaration n’est qu’une manifestation parmi tant d’autres de cette crise qui se généralise. Tout comme les membres des FAD'H ne mesuraient pas, à travers leurs actes, qu'ils précipitaient la disparition de leur corps, bien des policiers ignorent aujourd'hui les conséquences de leurs propres actions. On ne sait pas toujours ce que l'on fait—Si m te konnen toujou dèyè, dit l'adage. Après tout, l'enfer n’est-il pas pavé de bonnes intentions ?
Dans cette confusion, ceux qui tirent profit du chaos – les gangs et leurs soutiens – se frottent les mains.
Quand les politiciens jouent avec le feu
L’incursion d’une force armée dans la politique est toujours une menace pour la stabilité d’un pays. Ceux qui attisent les divisions au sein de la PNH font preuve d’une irresponsabilité criminelle.
Alors que la population est prise en otage par l'insécurité, la PNH se retrouve paralysée par des luttes internes qui rappellent les divisions fatales des FAD’H. Loin de s’attaquer aux gangs, certains dirigeants utilisent la police comme un instrument de pouvoir, fragilisant encore davantage une institution déjà en crise.
Si cette dérive continue, la PNH risque de subir le même sort que l'armée dissoute en 1995, à moins qu’elle ne parvienne à se ressouder. Sinon, elle mourra comme les FAD’H avant elle. Elle aura vécu 30 ans. La politique aura eu raison d’elle.
Mais pendant que ces luttes intestines se poursuivent, qui se soucie encore des habitants de Kenscoff ? D’après des témoignages, plus d’une centaine de personnes auraient été massacrées, d’autres seraient retenues en otages, et pourtant, ce drame poignant semble déjà relégué au second plan. Chaque jour qui passe, leur calvaire s’aggrave dans l’indifférence des responsables.
Policiers, l’heure est au sursaut !
L’institution que vous servez traverse une tempête, mais elle ne doit pas sombrer. Vous êtes les gardiens de l’ordre, la dernière ligne de défense face au chaos. Ne laissez pas la division et la confusion affaiblir votre engagement. L’histoire nous enseigne que bien des institutions se sont effondrées non par complot, mais par l’aveuglement de ceux qui les servaient.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de porter l’uniforme, mais d’en être dignes. Rassemblez-vous, retrouvez le sens du devoir, refusez d’être les instruments d’intérêts obscurs. Haïti a besoin d’une police forte, intègre et unie. Le pays compte sur vous, l’avenir de l’institution repose entre vos mains.
Nous sommes en train de perdre la bataille. Si rien n'est fait, bientôt, il ne restera qu’une seule force armée dans le pays. Et ce ne sera pas la PNH.
Michel Legros
Sitwayen pou Respè Konstitisyon
sitwayenpourespekonstitisyon@gmail.com
3 février 2024