Je ne suis pas une adepte de Livres en folie. La seule fois où j’ai pris un petit bout de la grand-messe c’était l’année où Markenzy Orcel en était l’invité d’honneur, aux côtés d’Odette Roy Fombrun. Cela se passait au Champ de Mars. En y arrivant, je suis tombée sur deux de mes élèves officiant comme hôtesses. J’ai pu rapidement acheter Les Immortelles et me retrouver devant Orcel pour obtenir ma signature. En écrivant la dédicace, il me lance :
- Ki wanga w fè pou jwenn li ? Yo di m li fini depi maten.
Sur l’heure, j’ai pensé que ou bien la gestion de stock n’était pas le fort des organisateurs, ou bien sur place il y avait des faiseurs de miracles capables de faire disparaître puis réapparaître un bouquin. Cela m’avait soulagée de ne pas perdre de temps au Champ de Mars pour Livres en folie 2017, parce que le refrain sur les interminables files d’attente et les failles de l’organisation revient tous les ans. Chak ane. Raison pour laquelle j’évite d’y mettre les pieds.
Cette année les choses ont changé. En novembre 2024, j’ai sorti un roman autobiographique, Nous mourons le dimanche. Bri kouri nouvèl gaye. Le 25 avril 2025, je reçois un message de A. m’invitant à participer à Livres en Folie, comme écrivain, sous son label Nouveautés Plus. Je suis agréablement surprise. Le message est accompagné des Termes de référence de l’activité qui... me refroidissent. Les 40% de rabais consentis aux acheteurs - attrait principal de cette foire - sont supportés exclusivement par les auteurs. Comment ? Qu’est-ce qu’on gagne alors, si on perd près de la moitié de l’argent? Il faut le voir comme une activité promotionnelle m’explique posément A. Les titres bénéficient d’une large exposition, ils sont commentés dans la presse, répertoriés dans le Fonds Livres en Folie… Je me laisse convaincre. D’autant que Koulè Mov, version créole de Nous mourons le dimanche est quasi-prêt. Ce sera l’occasion de le lancer. J’embarque. Je pressure mon graphiste pour boucler le travail rapidement. Je place ma commande à une imprimerie où je connais du monde qui me promet une livraison san pèdi tan. Je fais de la publicité tous azimuts auprès de mes élèves, collègues, amis, parents, connaissances, coreligionnaires. Je prépare même une cinquantaine d’affiches en couleurs.
Jeudi 19 juin 2025, 9h05, je suis à l’École Saint Joseph F.I.C sur la place Saint Pierre, site retenu pour cette année. Je suis accueillie par une jeune hôtesse qui me remet un maillot et des « food stamps », et m’indique de quel côté les auteurs en signature sont placés. Tout est nouveau pour moi. Sur la table des écrivains, l’ambiance est conviviale. À ma droite il y en a un dont j’ai fait la classe à la fille. Celui installé à ma gauche connaît mon fils. Un photographe nous a dans son viseur. Les premiers acheteurs se présentent, l’atmosphère est bon enfant. Mais il ne faudra pas longtemps pour réaliser que l’édition 2025 est à la hauteur de la réputation de l’événement.
Organisation folle
Plusieurs de mes élèves viennent à moi avec leur argent pour acheter le livre. Personne ne leur a indiqué où aller payer, comment s’orienter. Pourtant, un message audio ou audio-visuel passant en boucle sur la cour aurait permis de communiquer des directives claires aux participants.
Les files d’attente pour payer sont interminables. Notamment aux comptoirs de Nouveautés Plus et de C3 Éditions. Je connais des gens qui ont attendu plus d’une heure ; d’autres qui sont repartis sans acheter, découragés par la longueur des files et le désordre. Une véritable foire d’empoigne se tenait près du comptoir où il fallait récupérer les bons de commande. Bons de commande sur lesquels figuraient beaucoup trop de rubriques à remplir. Deux options simples me viennent à l’esprit. J’ai vu dans un restaurant de Pétion-Ville des serveurs noter les commandes en de tan twa mouvman sur des tablettes genre IPAD. J’ai aussi vu dans une paroisse que je fréquente un prêtre recevoir les offrandes pour des messes et remettre trap de un reçu imprimé grâce à un petit appareil : zzzzzz. Quand on veut respecter les gens, les clients, on s’en donne les moyens.
Autre incongruité, chaque éditeur ou distributeur dispose de sa propre boutique, où l’acheteur doit aller à tour de rôle pour les fameux bons de commande et le paiement. Si on désire faire provision, on doit arpenter la cour du nord au sud et de l’est à l’ouest. Centraliser la caisse et informatiser toute la procédure feraient gagner du temps. Non ?
Quand la politique s’en mêle
Toujours au chapitre des désagréments, j’ai noté l’envahissement par le politique. L’animateur au micro se tenait à l’affût du premier ministre qui passait pour l’interroger sur des faits d’actualité ou sur son programme. On vient à une foire du livre pour écouter des professionnels du livre, pas des hauts fonctionnaires en parade.
Je ne comprends pas pourquoi on offre une tribune au Premier Ministre Fils-Aimé pour qu’il nous raconte – en réponse à une question sur le sujet - que le chantier de la sécurité est sa préoccupation essentielle. Mais que pareil chantier prend du temps, tout comme l’écrivain qui produit un livre ne le fait pas en un jour. Personnellement, j’ai trouvé la comparaison choisie par Alix Didier Fils-Aimé offensante pour tous les écrivains présents qui, en dépit des difficultés de la conjoncture, ont mené à terme le chantier de leurs livres. Si Alix Didier Fils-Aimé souhaite participer à Livres en Folie avec des contes pour enfants, qu’il les publie chez un éditeur de la place.
Par ailleurs, j’ai vu de mes yeux des lecteurs attendant une signature, se faire bousculer sur le passage de ce premier ministre. Il avait jugé bon de venir serrer la main de certains auteurs, entouré de gorilles armés jusqu’aux dents qui t ap bourade de paisibles chrétiens vivants. Les « commotions » entrainées par la présence de M. Fils-Aimé n’ont pas dû échapper aux organisateurs, je pense. Quand j’ai partagé l’expérience avec une collègue, elle m’a avoué avoir vécu la même scène antérieurement, autour d’un autre gwo zotobre. Pourquoi inviter des lecteurs à rencontrer des auteurs, si c’est pour se faire pousser sans ménagement par les gardes du corps de nos chefs ?
Il y aurait encore à redire de cette folle foire, comme les types de jeu-concours organisés par l’animateur ou le choix des musiques diffusées dans une cour d’école pour une activité culturelle ; l’absence de souci écologique se traduisant par l’usage exclusif du plastique pour emballer les livres achetés ; les longues files d’attente (encore) aux stands de restauration…
En 2025, nous en étions, à la trente-et-unième édition de Livres en Folie, plus grosse activité culturelle du pays. Trente ans d’expérience, c’est pour quoi faire ? La multitude de sponsors, secteurs public, privé et international confondus, laisse supposer que ce ne sont pas les fonds qui manquent. Celles et ceux qui depuis 1995 sont à l’origine de cette initiative se disent - et nous veulent - des fous du livre et de la lecture. Pinga y ap pran pòz moun fou pou yo pa peye dwa.
Nathalie LEMAINE