Réflexions sur la constitution de 1987

Articles conflictuels et réformes à opérer !

 

À l’occasion du 35e anniversaire de la Constitution de 1987, il y a lieu de s’interroger sur ses imperfections, dues aux erreurs d’appréciation et de prévision de ses rédacteurs. À force de vouloir toujours restreindre le pouvoir du Président de la République, le secteur progressiste des constituants a fini par engendrer un « monstre » : un régime parlementaire où les élus disposent d’énormes pouvoirs, s’occupant non pas à améliorer leurs relations avec le gouvernement pour le bien de la nation, mais uniquement à lui mettre des bâtons dans les roues pour obtenir des privilèges administratifs étendus, entretenant ainsi tout un système de corruption aux effets néfastes.

Ici, nous nous limitons à identifier uniquement les principaux articles qui conduisent à des crises politiques et électorales récurrentes, dont l’application engendre un dysfonctionnement en continu de l’État, perturbant tout le corps social haïtien. Et ce depuis le début de son usage. Nous essayons de démontrer comment les constitutionnalistes se sont trompés dans l’équilibre des pouvoirs, entre l’Exécutif et le Législatif. Une situation qui entraîne régulièrement deux phases de crise : dans la première phase, les parlementaires exigent et dans la seconde, le chef de l’Exécutif punit !

Pour écarter la tendance dictatoriale, l’article 134-3 stipule que « Le Président de la République ne peut bénéficier de prolongation de mandat. Il ne peut assumer un nouveau mandat, qu'après un intervalle de cinq ans. En aucun cas, il ne peut briguer un troisième mandat ». Jusqu’ici, ce dispositif convient à la majorité citoyenne de la nation. Cependant, dans le même objectif d’affaiblir le Président, les constituants ont aboli la possibilité de recourir au référendum. Ce qui constitue une erreur. Car, l’on ne peut concevoir un régime démocratique complet sans référendum. Il aurait fallu tout simplement en limiter les conditions d’utilisation. En l’absence du Conseil constitutionnel, un référendum populaire aurait pu, par exemple, trancher si le mandat du Président Jovenel Moïse devait s’achever le 7 février 2021 ou 2022. Nous y reviendrons, car le débat constitutionnel de l’époque, qui affrontait les articles 134-1 et 134-2, était un non-sens. Car cette crise concernait uniquement la non-application de l’article 134-2.

Selon l’article 129.4, l’Assemblée nationale a le pouvoir de renverser le gouvernement. « Lorsque la demande d'interpellation aboutit à un vote de censure sur une question se rapportant au programme où à une déclaration de politique générale du gouvernement, le Premier ministre doit remettre au président de la République, la démission de son gouvernement. » Tandis que le Président de la République, lui-même, ne dispose le droit de dissoudre l’Assemblée nationale aux termes de l’article 111.8 qui indique qu’« En aucun cas, la Chambre des députés ou le Sénat ne peut être dissous ou ajourné, ni le mandat de leurs membres prorogé. » Toute la problématique est là ! Sachant qu’elle n’est pas sous la menace d’une dissolution, la plupart du temps, l’Assemblée abuse de son pouvoir pour obtenir des avantages personnels de l’Exécutif. Il n’est un secret pour personne que les parlementaires ne s’intéressent ni au programme ni à la déclaration de politique générale du Premier ministre, mais au plus offrant des candidats au poste.

Mais comme Haïti est un pays à forte tradition présidentielle, le Président de la République utilise constamment les failles de cette même Constitution pour régler son compte avec les parlementaires, tout au moins à chaque fois que la loi l’oblige à organiser les élections. Malheureusement, la première anomalie de son rapport avec le Pouvoir législatif commence déjà à partir de l’article 137, relatif à la nomination du Premier ministre. Cette clause stipule que « Le Président de la République choisit un Premier ministre parmi les membres du parti ayant la majorité absolue au Parlement. La majorité est établie sur la base des résultats électoraux des élus dans chacune des deux Chambres. À défaut de cette majorité, le Président de la République choisit son Premier ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des députés. » Et c’est dans cette brèche que certains parlementaires véreux vont marchander leurs voix. Rappelons-nous la déclaration de l’ancien Premier ministre Laurent Lamothe, après des séances de « négociations » avec les élus de la République : « Tout moun jwenn ». Ce qui signifie qu’il a « graissé la patte » à tous les parlementaires pour pouvoir constituer une majorité présidentielle. Composée d’opportunistes, dépourvue de base idéologique et politique solide, une telle constellation ne peut être que fragile et inopérante.

Les régimes PHTK, versions un et deux, ne sont pas des exceptions. Tous les gouvernements successifs ont suivi le même chemin, y compris le deuxième gouvernement d’Aristide des années 2000. Néanmoins, les questions d’opportunisme et de népotisme ne sont que la face émergée de l’iceberg, c’est-à-dire la conséquence du déséquilibre des pouvoirs qu’il faut à tout prix revoir dans le cadre d’un nouvel amendement constitutionnel.

Les constitutionnalistes pensaient contrebalancer le plein-pouvoir attribué au pouvoir législatif, en instaurant un dispositif de contrôle portant sur les échéances électorales. Malheureusement, ils l’ont fait maladroitement au point de renforcer, sans le vouloir, le rapport de force en faveur du Président de la République alors qu’ils voulaient l’éviter. Le texte prescrit que « Les sénateurs sont élus pour six ans et sont indéfiniment rééligibles. » (Art. 95). On pourrait croire que tout est clair au niveau du mandat sénatorial ; mais un peu plus loin, l’article 95-3 rectifie le tir en décrétant que « Le renouvellement du Sénat se fait par tiers tous les deux ans ».

Le grand public peut observer que le Sénat se retrouve assez souvent sans quorum, et que l’État ne parvient pas à organiser des élections, sans comprendre vraiment l’origine des crises. Quant aux députés, ils « sont élus pour quatre ans et sont indéfiniment rééligibles » (Art. 92). C’est clair comme de l’eau de source. Mais l’inconvénient, c’est que les élections législatives interviennent une année avant les élections présidentielle et municipales et au milieu de la gouvernance du nouveau président. Ces différentes élections laissent des failles logistiques dans un État failli et de mauvaise conscience. Cette confrontation entre le législatif et l’Exécutif finit par arranger le président de la République qui, après avoir subi maints chantages et forcé de distribuer pléthore de récompenses, fait tout pour ne pas organiser les élections et gouverner par décrets au lieu d’être subordonné à une Assemblée nationale, même favorable à son gouvernement.

C’est pourquoi Jovenel Moïse avait vite fait de constater lui-même la caducité de la Chambre des députés dans un premier temps et celle d’un tiers du Sénat dans un second. Pourtant, il disposait d’une « majorité absolue » dans les deux Chambres. Personne n’ignore les conditions financières et les stratégies de pression, couronnées de violence, qu’avait utilisées le gouvernement de Michel Martelly pour imposer cette majorité présidentielle, corrompue et incompétente devant assurer la continuité du parti PHTK avec Jovenel Moïse au pouvoir. Dans un autre registre, René Préval a fait de même pour Aristide lors des élections législatives de l’année 2000. La stratégie d’un gouvernement de ne pas organiser à temps les élections dont il a la charge, ou d’imposer des résultats truqués, a conduit à chaque fois à des crises politiques et une période de transition. Ce qui fait que la société haïtienne ne cesse de réclamer des dirigeants une dernière transition !

Revenons à l’article 134-2 qui a constitué une source de conflit à la fin du mandat de Jovenel Moïse. Avant les élections, que ce soit le Conseil électoral, les candidats, le gouvernement de transition, la société civile, personne n’a évoqué son application. Pourtant, la Constitution de 1987 amendée prévoit : « […]. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection. » L’article 134-2 est aussi clair que le 134-1 ; mais les personnes concernées ont omis de l’évoquer avant l’élection présidentielle de novembre 2016 parce que cela arrangeait tous les candidats à la présidence. Si on devait l’appliquer à la lettre, M. Moïse serait élu officiellement président le 28 novembre 2016, le CEP aurait validé le scrutin le même jour pour lui permettre d’entrer en fonction, au plus tard dès le 29 novembre. Or le vote n’a été entériné que le 2 janvier 2017 par le Conseil électoral qui suivait les processus de l’article 134-1 du fait que les élections ont eu lieu aux périodes constitutionnelles habituelles. Jovenel Moïse a perdu la bataille médiatique sur l’article 134-2, mais s’il avait eu de bons conseillers politiques, malgré le déferlement médiatique contre lui, il lui aurait été possible de renverser la tendance au lieu de passer en force. Il est vrai que sa gestion du pouvoir était contestable et contestée avec raison ; mais évoquer l’article 134-2, après son élection, pour manipuler le peuple haïtien, était une stratégie politique, réussie, de la classe politique, qui avait su entraîner avec elle l’opinion publique nationale et internationale. Cependant, à mon humble avis de patriote, indépendant de pensée, politiquement et constitutionnellement, le mandat du Président Jovenel Moïse devait s’achever le 7 février 2022. Sinon le quinquennat que prévoit la Constitution n’a aucun sens. Le premier - et peut-être le seul - responsable de cette crise était le Conseil électoral, qui ni avant ni après ne s’est pas prononcé, mais savait que le mandat de Jovenel Moise s’achevait le 7 février 2022.   

Quant à ses ambitions d’imposer une constitution et un référendum à la nation, c’était perdu d’avance. Un Président de la République pourrait toujours violer la Constitution haïtienne, mais il y a des limites constitutionnelles qu’ils ne pourront jamais franchir : le référendum qui est interdit par la Constitution de 1987 et les amendements ou le changement de constitution qui sont des prérogatives de l’Assemblée nationale. Ces changements sont possibles, en tout ou en partie en période de transition, si les protagonistes facilitent un large consensus national.

Pour résoudre en partie cette crise électorale et politique, il faudrait réharmoniser le dispositif électoral en ramenant au quinquennat tous les mandats présidentiels, législatif et municipal. Le peuple haïtien, en majorité analphabète, ne pourra pas assurer tous les votes en une fois. Pour contourner cette difficulté, il faudrait échelonner les élections dans les semaines précédant les présidentielles par exemple, de façon que l’échéance des mandats commence et termine en même temps pour toutes les instances, même en cas de constat d’indisponibilité définitive du Président de la République.

Il y a également deux autres points fondamentaux à résoudre : celui de la présentation du Premier ministre devant l’Assemblée nationale et la possibilité du Président de la République de pouvoir dissoudre le Parlement. Dans ce cas, il faudrait abroger ou amender en profondeur l’article 158 qui octroie aux parlementaires le pouvoir d’aboutir à un vote de censure contre un Premier ministre pressenti. Maître Montferrier Dorval avait parfaitement identifié la problématique des crises. Il avait expliqué que le Président était élu au suffrage universel et il devait pouvoir appliquer sa politique sans les contraintes parlementaires. Et il avait même précisé que si c’est le poste de Premier ministre qui pose un problème, qu’on le supprime.  La classe politique, l’État et la société ont l’obligation de revoir la Constitution avant d’organiser les élections générales, si l’on veut éviter les crises à répétition.

Maître Dorval avait aussi pensé qu’il fallait éliminer les élections des sections communales qui ne servent à rien. D’autant plus que l’on peut intégrer les candidats sur une liste municipale élargie. Et enfin, le juriste avait estimé que la manière dont les dirigeants haïtiens veulent organiser la conférence nationale sur l’avenir d’Haïti n’était pas la bonne méthode. Car pour lui, il ne suffit pas de regrouper des individus de différents secteurs de la « société civile » pour obtenir des résultats, mais de réunir des compétences citoyennes nécessaires !

Aujourd’hui, la société haïtienne constate que les accords des organisations politiques et de la société civile sont désaccordés sans savoir pourquoi ni sur quoi les protagonistes ne sont pas d’accord. Attendre un sursaut des dirigeants de l’État et de la classe politique, c’est peine perdue. Car, nous sommes en face d’un problème de société et seuls des débats et des dialogues citoyens pourront ouvrir la voie à l’unité dans la différence. Sans oublier la justice, qui doit enfin détrôner l’impunité, qui entretient la corruption et la mauvaise gouvernance !

 

Sergo Alexis

 

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