Kidnapping: un mal normalisé par l’impunité en Haïti

Kidnapping, cet anglicisme qui, de 2004 à 2006, se forge une place dans le vocabulaire haïtien est depuis sa réapparition en 2019 dans l’actualité quotidienne du pays. Tandis que les autorités étatiques se montrent impuissantes, le nombre de victimes ne cesse d’augmenter. Considérant le comportement des citoyens, on dirait qu’ils s’y adaptent. Ils s’y préparent, comme aux catastrophes naturelles.

Votée au Sénat de la République le jeudi 27 novembre 2008, et à la Chambre des députés le jeudi 22 janvier 2009, la loi condamnant l’enlèvement, la séquestration et la prise d’otages de personnes a été publiée dans le journal officiel de la République, Le Moniteur, le vendredi 20 mars 2009. Les législateurs condamnent fermement cette nouvelle forme de criminalité apparue en 2004 en Haïti. D’où, son article 293-1 stipule : « Seront punis de quinze à vingt-cinq ans de travaux forcés, ceux qui, sans être revêtus de l’autorité publique, sans un ordre légitime des autorités constituées et hors des cas prévus par la loi, se seront emparés, par ruse ou persuasion, de gré ou de force, d’une personne quelconque, l’auront enlevée et séquestrée, en vue d’obtenir une rançon ou non. » En cas de circonstances aggravantes, comme, lorsque les faits ci-dessus auront été précédés, accompagnés ou suivis de violences, de tortures corporelles, de viol ou d’agression sexuelle, la peine sera celle des travaux forcés à perpétuité, prévu en son article 293-2. 

On dirait que cette loi dont l’objectif était d’apporter réponse aux actes de kidnapping qui affligent les familles haïtiennes, notamment celles de la zone métropolitaine de Port-au-Prince des chocs psychologiques est en veilleuse. Les kidnappeurs agissent en toute impunité. Laquelle impunité confère aux kidnappeurs le sentiment d’être intouchables, et à la population haïtienne, le sentiment d’accommodation et d’adaptation. En Haïti aujourd’hui, hormis la conscience, rien n’empêche à quelqu’un  d’avoir recours au kidnapping pour s’enrichir facilement.

En effet, l’affaire d’Evelyne Sincère qui a suscité l’indignation et la colère de toutes les couches vives de la nation haïtienne illustre les conséquences néfastes de l’impunité. Kidnappée le 29 octobre et retrouvée morte le 1er novembre 2020 à Delmas 24 dans une décharge à ordures,  Evelyne Sincère, âgée de 22 ans à l’époque, aurait confié à Obeb Joseph, alias « Kiki », son prétendu petit ami, que son père était responsable d’une église et possédait un commerce de pièces automobiles. Kiki, ayant informé ses deux complices, Evald Domerçant et Michel Jerry Domerçant, ils ont, d’après ce qu’ils ont déclaré à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), ensemble mis sur pieds un plan visant à soutirer de l’argent à la famille de la victime. Il est à noter qu’à cette époque, les cas de kidnapping non élucidés étaient déjà en vogue dans le pays.

Au chapitre XII du sixième livre de « De l’Esprit des Lois » publié en 1758 par Charles Louis de Secondat, dit Montesquieu, on trouve : « Qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes… » En effet, en Haïti aujourd’hui, l’impunité entraine une chute considérable de la morale populaire. Dans une vidéo devenue virale sur tous les réseaux sociaux, on a pu constater une foule de personnes de toutes les catégories d’âge confondues, massées lors d’une distribution de produits alimentaires organisée par Wilson Joseph, allias « Lanmò San Jou », le puissant chef du groupe de gangs « 400 Mawozo » opérant à la Croix-des-Bouquets. Malgré leurs actes horribles, « Lanmò 100 jou » et sa bande de criminelles sont considérés comme des leaders dans leur quartier. Pourtant, la réalité n’est pas trop différente dans les autres quartiers populaires où règne le banditisme. 

C’est un fait : l’impunité étant trop perdurée dans le pays, le kidnapping fait partie de notre quotidien. La population haïtienne à qui mieux mieux, s'accommode malgré  elle  à cette alarmante réalité. Tout le monde n’attend que son tour. S’il y a quelqu’un en Haïti aujourd’hui qui ne craint pas d’être enlevé, c’est peut-être le kidnappeur lui-même. Par ailleurs,  plus la réponse tarde à venir, plus les racines de cet arbre vénéneux seront profondes et nombreuses.

 

 

Jean Renel DESRUISSEAUX

jeanrenel2587@gmail.com

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