Compas direct : attention, Messieurs !

Durant les années 70, 80, 90 et plus de vingt ans plus tard, elles sont nombreuses les formations musicales, de la tendance Compas direct, qui se sont investies dans la promotion des compositions inédites, qui visent à interpeller des hommes à la prudence, la prévention, pour mieux protéger leur vie, leur avoir ou leur arrière.

Des groupes musicaux, parmi les plus influents, se sont inscrits dans cette démarche de solidarité masculine des plus légitimes. L’Orchestre Tropicana d’Haïti, Coupé Cloué, l’Orchestre Septentrional,  Digital Express, Mizik Mizik, et pourquoi pas Zafèm, composent cette liste.  Dans un hommage  rendu au groupe Méridional des Cayes, pour boucler son premier album, certaines voix d’élèvent contre ce choix. Attention, Messieurs, les dérives et violences admises dans d’autres genres musicaux dans le pays, ne sont pas admises dans le Compas direct, et surtout des musiciens de Zafèm  !

Difficile d’aborder la musique haïtienne, un grand nombre de questions relatives au genre, sans faire du mal à l’un des camps. Au pays où le marronnage et les « Foulay » représentent la norme, certaines comparaisons et des contradictions se confirment parfois dans des logiques qui se confondent parfois à l’absurde.    

Des chanteurs  comme « Beken », parmi d’autres, se retrouvent souvent dans cette approche pédagogique, préventive et critique dans les relations entre les hommes et les femmes en Haïti. Comment ne pas célébrer l’une des pièces majeures portées par Edy Brisseaux, dans « Ti Vagabon » qui interpellent dans les menaces et les promesses suivantes : « Mnap kontan lènw mouri ti vagabond » !

Dans la chanson : « Frè kot papa », composée par l’Ochestre Tropicana, on retient : « A la traka, jen gason amoureu gen pou yo pase. Lònw renmen. San rezerve w anpil problèm ».  Cette pièce interprétée des années après par le célèbre le chanteur du groupe Fantom, King Kino, récidive : « Chak mòso ki frape, yal nan mitan pist la. Lè m al pran on ti jòf, kè m manke bloke ! ».

Décrivant le sort des hommes au chômage, la chanson : « Ou nan ka », de l’Orchestre Septentrional », ne passe pas inaperçu dans cette sélection alarmiste. Ces vieilles compositions priorisent les hommes et parfois abusent dans certains cas les droits des femmes.  « Lè w p ap travay ou pa gen tròp fanm… », sont parmi les paroles les plus pertinentes lancées dans cette chanson, dont les impacts sur la société, la famille et certaines valeurs sont payants des décennies plus tard.

Dans ce registre, le groupe musical « Digital Express » n’avait pas manqué le train. La bande d’Ansyto Mercier avait proposé un autre titre pour interpeller les hommes à travers le sort de « Makey Makaw ».  Entre deux des langues officielles partagées par la République d’Haïti et la République dominicaine, l’espagnol et le français, l’histoire tragique de « Makey Makaw » est racontée dans une de ses dernières soirées. « Makey pa t vle koute bèl konsèy yo te ba li. », « Li pèdi lavil, refize tande lè yo te pale l… ».

Deux chansons de la formation musicale Mizik Mizik participent dans cette célébration de la prévention.  Des chansons chantées par des hommes et pour des hommes, en signe de solidarité préventive, à travers les voix de Vardy Pharel et d’Emmanuel Obas. La chanson « Webè » se confirme parmi les plus célèbres pièces de cette formation. « Webè, fè atansyon ak fanm sila. Webè, ti pwason pa swiv gwo kouran….! », et sans oublier le dernier avertissement : « Fanm sa mon chè, se li k ap detwi lavi w…. !”.

Dans le premier album de la bande de Fabrice Rouzier et Clément Bélizaire, la chanson « Alfredo », ne passe pas par quatre chemin pour poursuivre avec ce culte préventif, qui cherche à éviter  à d’autres hommes le même sort que « Alfredo ». Sans tomber dans les mauvaises langues ou dans la misogynie, le message est clair:  « Alfredo, kite ti fanm nan tande, lap manje lajan w epi lap lage w sou beton an san senk ! ». Une musique très dansante, autant que le solo de « Webè » ! 

Dans la peau de « Mon colonel », la formation Sweet Micky, à travers son chanteur Michel Martelly, ce dernier raconte l’aventure d’un bal qui aurait pu être fatal. Sans subir le même sort de « Makey Makaw », la chanson « Mon colonel », en François ou en français, interpelle en peu de mot : « Son ti danse mwen tape fè », pour déplorer plus loin, dans le refrain : “Pou tèt yon ti danse, yon ti ploge, gade kisa k pase m”, pou tèt yon ti danse yon ti kole, gade kijan m rete mele ! ». Cette composition raconte sans doute une période dans l’histoire d’Haïti.

Du groupe Zenglen, un géant dans l’industrie Compas direct, à la fin des années 90, on retient une autre chanson qui visait à interpeller les hommes dans un autre sens moins sanguinaire, moins sexiste et beaucoup plus sexuel. Avec la chanson « Flannen Femèl », l’histoire du genre est abordée dans les deux sens, sachant que l’inverse est aussi vrai. Le chanteur Gracia Delva, au top de ses performances, portait un message nouveau et à la mode. « Avan w kouri marye, chèche konnen mennaj ou. Ou ka pansel fidèl poutan son flanè femèl ! ».  Ils sont nombreux les sujets de genre abordés par cette formation, comme : « Lanmou pa konn diaspora », parmi d’autres.

Difficile de comptabiliser les chansons qui abordent la question de genre, et des droits des femmes en Haïti en particulier, d’une génération à une autre, sans faire une pause sur le répertoire de Coupé Cloué. L’homme fort du groupe impose sa voix dans « Chanm Gason », avec tout ce que cela invoque dans l’imagination et l’imaginaire de cet espace pas toujours sain. Coupant ainsi toute foire de forme de respect des droits ou de réciprocité entre les hommes et les femmes, pour reprendre les valeurs partagées dans « Egal ego » de Zafèm, Coupé Cloué persiste et signe en chœur:  « Nan peyi pam, fanm pa kòmande », « Woy nou pa ret avèk fanm » !

Dans ce rare hommage adressé au groupe musical « Méridional des Cayes » par la formation Zafèm, dans son premier album L.A.S, le titre « Zanmi Femme », ne bénéficie pas totalement des mêmes attentions que les autres pièces dans le public, en particulier féminin. Malgré la qualité de cette interprétation ressuscitée et revalorisée, dans une adaptation totalement réussie dans plusieurs styles musicaux (Compas direct, Rock entre autres), certains fans et/ou des femmes s’opposent à ce choix, à ce droit qu’avaient les musiciens pour honorer autant le groupe, que l’une des pièces patrimoniales de son répertoire. 

Des critiques, portées par des femmes en majorité, se sont traduites à travers une pétition sur les réseaux sociaux. Un droit certainement légitime. Nous sommes en démocratie. Une action certainement préventive pour encourager d’autres groupes dans le futur, à s’inscrire dans la promotion et le respect des droits des femmes et des hommes, avec lesquels nous sommes tous « Egal Ego », pour reprendre une autre perle de Zafèm, qui ne retient pas assez l’attention malheureusement !

Dire que même la formation musicale « Riske », composée en majorité de femmes, n’avait pas fait de cadeau à ces dernières, en se référant à l’une des pièces majeures de leur premier album, qui présentait l’amitié et les valeurs souvent cultivées entre des femmes, dans la chanson « Zanmi » : « La plupart de mes amies sont des hypocrites, devant moi elles me caressent, derrière moi, elles me critiquent », « Sandra, ipokrit karesan, Sabrina kouto famasi, Gina ou pala manchèt, Patricia ou son lang vipè....! », « J’ai honte pour toi ma chère ! ». 

Défendre les droits et les voix des femmes ne s’obtiendra pas uniquement, malheureusement dans de telles sanctions sociales ou musicales, en mode réseau social. Il faut se tourner vers la base, à travers la famille et le système éducatif, si nous voulons améliorer les relations autour du genre. Car, Zafèm n’a fait qu’interpréter une œuvre artistique sans s’approprier le message. Zafèm n’a fait qu’améliorer dans la forme d’une œuvre artistique, tout en respectant le message, comme un objet témoin pour rappeler que les temps ont évolué, et que les femmes doivent être respectées « Egal ego ». 

Droit et devoir sont intimement liés depuis toujours. N’est-ce pas une belle occasion d’encourager sa promotion dans les deux sens. Avec l’absence du groupe musical « Riske », et face à des groupes musicaux en majorité dirigés et dominés par des voix masculines, la bataille sera plus difficile que prévu. À quand des cours obligatoires sur le genre dans les écoles en Haïti ? À quand l’organisation des concours de textes et des chansons pour l’éducation et la promotion autour du genre en Haïti ? Afin de mieux renouveler le répertoire, renforcer la qualité des discours et des messages,  tour en respectant le droit à la création, et surtout à l’interprétation des éléments du patrimoine national, et pourquoi pas musical ?   

 

Dominique Domerçant

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