Et si on regarde en étranger « Zanmi fanm » ?

Quand on a été à l’École normale supérieure, dès qu’on aborde un texte, le premier réflexe est toujours de délimiter son objet.

Je ne parle pas de l’auteur –mais du texte -, même si je reconnais que dans une démarche exégétique son intention peut nous aider dans l’interprétation du texte, parce que je pense, à l’instar de la méthode d’interprétation de Spinoza, que le sens du texte peut être aussi dégagé à partir de ses lettres : « interpréter le texte par le texte », nous dirait Spinoza.

Partant, je tiens à tirer votre attention sur la première phrase de « Zanmi fanm » : « bel fanm ti sèvè l ». Comme certains d’entre vous, elle m’intrigue. Je me demande pourquoi commencer ce texte qui semble décrier les relations amicales entre les femmes avec une telle phrase ?

À mon avis, ce texte voulait tout simplement nous faire une double invitation : il nous invite non seulement à prendre distance à toute forme de discours teintée d’essentialisme, mais encore et surtout à nous defamiliariser à ce cadre familier –décrie par le texte- alimenté par les « bel fanm ti sèvè l ».

S’agissant de l’essentialisme, le texte a clairement identifié sa cible : « bel fanm ti sèvè l ». Si « bel fanm ti sèvè l » renvoie à la femme, elle n’est toutefois pas la femme. Elle est plutôt l’expression d’une catégorie de femmes.

En apportant cette précision, le texte s’évertue pour formuler, par anticipation, une objection contre toute éventuelle critique qui oserait l’enfermer dans une approche essentialiste.

À ces personnes qui pensent avoir soulevé une incohérence dans le choix de ce texte par « Zafem », le texte objecte pour vous dire : désolé, il n’y en a rien !

Au contraire, à travers ses choix, il se positionne contre toute tendance à tout ramener à une essence. Non seulement il a pris le soin de délimiter son objet dès sa première phrase, mais encore il s’en démarque tout au long de son déploiement. « Nan syèk sila » est une autre manière prudente de rappeler qu’il ne s’adresse pas aux femmes de toutes les époques. Il s’adresse tout simplement aux « bel fanm ti sèvè l » qui se trouvent « nan syèk sila ».

Par ailleurs, à ceux-là qui affirment qu’il ne fallait pas déterrer ce texte dit misogyne, je leur répondrais que ce dernier traite un sujet qui est encore plus actuel que jadis dans la mesure où sa critique ne se contente pas de prendre distance aux « bel fanm ti sèvè l », elle ne se reconnait dans ce qu’elles font aussi.

D’où son actualité : il aborde un aspect fondamental de la déchéance de notre société expliquée par le développement fulgurant de la technologie.

En effet, avec la numérisation de la société, caractérisée par la primauté de l’image sur l’écrit, donc du paraitre sur l’être, de la forme sur le contenu ou encore de l’émotion sur la rationalité, les « bel fanm ti sèvè l » de notre époque, qui s’autoproclament influenceuses, deviennent des stars et comme toute star suivie par une bonne partie de la jeunesse, par conséquent, les influencent.

Or ces « bel fanm ti sèvè l », qui font partie de nos quotidiens, n’occupent les réseaux sociaux que par des dingueries et n’utilisent la beauté de leur corps que pour souiller sa noblesse.

 Sur ces réseaux, elles font l’apologie de l’ignorance, sapent certaines de nos valeurs traditionnelles et réservent une place de choix à la bêtise. Ayant assez de temps pour peaufiner leur vulgarité, elles sont souvent toxiques pour certaines relations, tant amoureuses qu’amicales.

Alors, si se defamiliariser à ce tableau familier ou encore si peindre avec une couleur critique un tel tableau relève de la misogynie, je confesse : je suis misogyne.

 

Clarens Lindor

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