Mon amour, mon geôlier

Judy se réveille un peu plus tard que d’habitude le lendemain matin et elle est plutôt d’humeur massacrante. Est-ce à cause des rayons du soleil qui entrent dans la chambre à travers les rideaux, ou de la voix qui vient de la tirer de son sommeil? À dire vrai, elle n’avait trouvé le sommeil que très tard.

-Bonjour…     

La jeune femme bat des paupières et lance un rapide coup d’œil en direction de la haute silhouette se tenant en face d’elle.

-Bien dormi? ajoute-t-il puisque la jeune femme est restée muette comme une carpe.

-Laissez-moi tranquille, dit-elle en reposant sa tête doucement sur l’oreiller.

Il dépose le plateau chargé qu’il tenait encore dans ses mains pour venir tirer le drap au-dessus de la jeune femme d’un geste brusque.

-Vous aurez toute la journée pour dormir. À présent, vous devez vous lever pour prendre votre petit déjeuner.

Levant un sourcil, la jeune femme fait la grimace.

-Je ne prends que du café au petit déjeuner.

Il la dévisage pendant quelques secondes puis laisse entendre :

-C’est pour cela que vous êtes aussi maigre? C’est le repas le plus important de la journée.

-Moi, maigre? répète-t-elle incrédule en faisant rouler ses beaux yeux à peine sortis du sommeil. Je suis svelte et je tiens à garder ma ligne.

-L’esprit ne croit que ce qu’on veut bien lui faire croire, dit-il d’un ton sentencieux.

Il eut un haussement d’épaules et poursuit :

-Levez-vous!

-Laissez-moi, je n’ai pas faim.

Avant qu’elle ait eu le temps d’en dire plus, il reprend avec irritation.

-Vous savez quoi? Vous feriez mieux d’obéir. Et contrairement à d’habitude, je vous ai préparé du jus de fruits. Le café ne vous rendra que plus nerveuse.

Judy se mord la lèvre et se lève malgré elle. Elle est encore tout habillée. Un peu froissé, oui, mais si justement taillé pour elle, cet ensemble d’un rose très doux lui va à ravir.

Soudain, elle sent une sourde colère s’emparer d’elle à l’idée seule d’obéir à cet homme. Qui est-il pour lui dire ce qu’elle doit faire ou non? Elle n’est pas son esclave, encore moins sa chose.

-Si l’on mange, c’est pour survivre. Or moi, je n’ai plus aucune raison d’exister.

Tout à coup les yeux de son ravisseur s’obscurcissent, et un pli soucieux se dessine sur son front volontaire. Elle croyait qu’il allait lui faire une remarque sérieuse, mais soudain, son visage se change et il se met à rire.

-Ne soyez pas si dramatique, dit-il en prenant le plateau pour le lui donner.

Mais, Judy le repousse d’un revers de main et voilà qu’involontairement, tout le contenu se répand sur le plancher. L’homme jette un rapide coup d’œil au gâchis, et déclare fermement :

-Vous allez nettoyer! Dire que j’ai pris mon temps pour préparer tout ça.

Apparemment, il n’est pas en colère après elle, mais, elle regrette son geste. Il y a tellement de famine dans le monde, il y a près d’un million d’enfants qui meurent de faim chaque jour, il ne faut pas gaspiller de la nourriture, même celle préparée par un kidnappeur-assassin. Omelette aux champignons. Judy secoue la tête, elle n’avait rien demandé. Il faut dire que ce n’est pas du tout facile chez nous de trouver un homme qui cuisine, elle se demande bien quel goût ça avait. Mais, elle ne le saura jamais, à moins qu’elle lui demande de lui en préparer une autre? Ah, non! Ça, jamais! Qu’il aille au diable avec sa cuisine et son omelette aux champignons vénéneux.

Judy a à peine fini qu'il fait son entrée dans la chambre. Son regard se pose sur elle, et elle le soutient avec défi. Mais, lorsqu’il prend la parole, c’est comme si l’incident de tout à l’heure ne s’était jamais produit.

-Vous trouverez de quoi mettre dans l’armoire.

La jeune femme cherche un instant ses mots, puis répète comme si elle n’avait pas compris :

-De quoi mettre dans l’armoire?

-Oui, vous n’aviez pas l’intention de passer toute la journée dans cette tenue, je suppose? réplique-t-il.

La jeune femme jette un rapide coup d’œil sur ses vêtements, avant de se lever. Elle lui tend le sac en plastique, qu’il prend avant de se retourner.

-Votre petit déjeuner est dans la cuisine, d’ailleurs, je n’aurai pas dû vous apporter à manger au lit.

-Vous ne comprenez rien, lâche-t-elle d’un ton acerbe dans son dos.

Il se retourne vivement et lui lance un regard pénétrant.

-Ici, c’est moi qui donne les ordres et vous allez manger quelque chose, même si je dois vous ingurgiter de force.

Judy se sent vivement irritée. Cet homme n’a pas d’ordre à lui donner et elle a bien l’intention de le lui faire savoir.

-Pensez-vous honnêtement que je vais vous obéir?

Judy le considère un moment, une lueur déterminée dans les yeux, avant de poser ses mains sur ses hanches d’un geste nonchalant.

-Je ne pense rien du tout, avoue-t-il doucement, un vague sourire sur les lèvres comme s’il était amusé.

Judy n’en est que plus contrariée.

-C’est vrai que vous ne savez pas à qui vous avez affaire, rétorque-t-elle promptement.

-Eh bien nous n’avons qu’à faire plus amples connaissances, dit-il en haussant les épaules. Nous sommes dans le même bateau.

Judy devient blême de rage.

Une partie d’elle lui souffle de laisser tomber : la raison du plus fort est toujours la meilleure. Mais, l’autre partie refuse la défaite : ce qui revient à se soumettre.

Redressant la tête, elle sent brusquement les larmes lui piquer les yeux. Elle éprouve soudain, une furieuse envie d’agir, une envie de lui montrer ce dont elle est capable.

-Sortez s’il vous plaît, lui demande-t-elle avec véhémence.

Dans les yeux de son vis-à-vis brille une curiosité mêlée de quelque chose que Judy ne parvient pas à identifier.

-Comme vous voudrez. Mais dépêchez-vous de vous préparer, laisse-t-il tomber en quittant la pièce.

Il n’a pas effectué deux pas que Judy s’enferme à double tour. Non, cet homme, elle ne veut plus le voir. Judy essuie ses yeux en se laissant tomber sur le lit. De tout son saoul, elle pleure. Sa vie, soudain, ne se résume plus à rien. Tout d’un coup, elle a envie de mourir. C’est vrai que dans une situation pareille, il vaut mieux l’amadouer, gagner la confiance de son ravisseur. Mais là, elle désire tout lâcher. À quoi bon lutter? Pourquoi lutter si c’était perdu d’avance? Condamnée à mourir, la vie n’a plus aucun sens. Pourquoi s’amuse-t-il avec elle? Pourquoi ne la tue-t-il pas tout de suite?

De longs sanglots secouent le corps de Judy étendue sur le lit, s’abandonnant tout entière à son chagrin. Elle se morfondait toujours quand elle entend un bruit dans la porte, il essaie de l’ouvrir, mais, il ne réussira pas, elle est bel et bien verrouillée!

-Judicaëlle! l’entend-elle crier. Ouvrez la porte!

Hors de question. Là où elle est, elle ne bougera pas d’un pouce. Elle n’a pas l’intention de répondre, encore moins de lui ouvrir.

-Judicaëlle! reprend-il en tapant rageusement sur la porte.

Mais, il vient de l’appeler par son prénom, comment il sait? C’est normal de tout savoir sur sa cible. De toutes les façons, Judy ne veut pas savoir. Tout ce qu’elle veut, c’est qu’il aille en enfer.

Quelques minutes plus tard, il n’était plus là. Et c’était tant mieux pour tous les deux. Judy en a déjà assez, elle ne peut en supporter davantage. Toutefois, il y a quelque chose qu’elle ignorait : ce passage secret qui s’ouvre sous ses yeux, à travers cet épais brouillard de larmes, ressemble à une hallucination, mais rien n’est plus réel que la silhouette de cet homme, à présent en face d’elle.

-Non! Ce n’est pas possible, s'exclame-t-elle hors d’elle.

-Avec moi, tout est possible, clame-t-il l’air enjoué. Je vous ai bien eu, hein! ajoute-t-il avec un  sourire triomphant.

Judy secoue la tête.

-Vous croyez aller pouvoir me rendre la vie dure?

Il esquisse une grimace.

-Ah, bon! Je crois bien que c’est vous qui êtes décidée à faire de ma vie un enfer.

Judy offusquée, proteste ouvertement :

-À qui la faute maintenant? Pourquoi ne pas faire votre sale boulot? Pourquoi vous mettez tout ce temps pour me tuer à la fin?

Il éclate de rire et Judy partagée entre l’irritation et l’amusement, lutte intérieurement pour conserver une attitude détachée.

-Vous tuez? Ai-je l’air d’un criminel?

-Quel comédien merveilleux vous auriez fait!

-Merci, dit-il dans un sourire qui dévoile ses magnifiques dents blanches. Je le prends pour un compliment, car avec tous vos caprices d’enfant gâté, un criminel vous aurait sans doute laissé mourir.

Ulcérée, Judy lève les yeux vers lui.

-Et oui, c’est ce que je veux. Je veux que vous me laissiez mourir.

Stupéfait, il la regarde un instant en silence, incapable de prononcer une parole.

-Comment? dit-il enfin.

-Vous m’avez parfaitement entendu.

-Comment voulez-vous que je vous laisse mourir? demande-t-il.

Judy renifle et baisse la tête.

-N’est-ce pas là votre souhait? Sinon, je n’aurais rien à faire ici.

Le regard qu’il lui jette est de nature à dissiper tous ses chagrins.

-Si vous êtes ici, c’est parce que je veux vous protéger.

Il s’approche d’elle et lui pose doucement une main sur le dos. À ce contact, Judy sent tout son être frissonner. Une sensation de peur viscérale dont elle ignore elle-même la cause. Car, il n’est pas menaçant et de plus, elle n’a pas peur de ce pauvre type.

-Je ne vous veux aucun mal, dit-il en secouant la tête d’un air attendri. Et, il est hors de question que vous mouriez, poursuit-il avec un sourire empreint de douceur. Sinon, vous ne seriez pas là.

-Me protéger de quoi?

-De ceux qui ont essayé de me tuer en prison. Je crois que vous êtes aussi leur cible.

-Euh…

Judy hésite, troublée par la sincérité de son regard. Peut-elle lui faire confiance? Mais non, voyons, il n’est pas fiable. C’est un malade, un meurtrier.

Se ressaisissant, Judy bondit sur ses pieds et lance entre les dents :

-Arrêtez de me regarder. Je déteste ça.

-Par qui? Par moi en particulier? Ou par personne? demande-t-il d’un ton moqueur.

Il lui prend la main pour la forcer à répondre à sa question. Comme il est beau, ainsi illuminé par ce sourire mystérieux. Elle répond, mais n’ose faire le moindre geste.

-Par quiconque!

S’est-elle rendue compte qu’il tenait encore sa main dans la sienne?

-Qui pourra échapper au désir de vous regarder? Vous êtes tellement belle.

-Belle? Moi?

Judy fait de grands yeux.

Gênée, elle laisse échapper un léger rire qui égaie la pièce, en évitant les yeux de cet homme qui l’observe intensément.

-Vous êtes très belle.

Il lui serre tendrement la main et poursuit :

-Incroyablement belle. Je n’ai encore jamais rencontré une femme avec cette beauté… Si pure et si angélique.

Soudain, Judy se sent très intimidée par la présence de cet homme, qui se tient à seulement quelques centimètres d’elle et qui lui conte combien et comment elle est belle… Elle sait qu’elle est belle, mais Gail Duncan est bien la dernière personne qu’elle souhaite entendre le lui dire. Instinctivement, elle retire sa main de la sienne, avant qu’il n’ait eu le temps de placer un seul mot.

-Je dois me doucher, dit-elle en lui tournant le dos.

-Moi, je vais vous chercher des vêtements propres.

-Ne comptez pas sur moi pour porter les vêtements de votre femme.

-Ma femme? reprend-il d’un ton cassant. Autant que je sache, c’est la chambre de ma mère.

-Votre mère? insiste Judy qui s’est vivement retournée, le fixant avec une lueur énigmatique dans les yeux?

-Oui, c’est la maison qui l’a vu grandir… Elle y a passé le plus clair de son temps.

Il affiche un léger sourire, puis ajoute :

-Satisfaite?

Judy se mord la lèvre inférieure, dire que cette idée ne l’avait même pas effleurée l’esprit.

-C’est elle là-bas sur la photo?

Il esquisse un petit signe de tête.

-C’est tellement vrai que vous avez les mêmes yeux, je n’avais pas remarqué… En fait, je pensais que c’était votre femme… C’est pour cela que…

Judy parle tellement qu’elle ne voit même pas l’expression du visage de son interlocuteur. C’est l’intonation bizarre de sa voix qui lui fait comprendre qu’il n’avait plus envie de continuer la conversation.

-Bon, je dois vous quitter…

C’est à cet instant seulement qu’elle pose les yeux sur son visage défait. Mais, elle n’eut pas le temps de comprendre ce qui se passe, que déjà il disparaît.

A suivre

 

Isabelle Théosmy

 

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