Mon amour, mon geôlier

Acte IV

Perdue dans la contemplation de la collection de mademoiselle Megan Laurent, Judy n’a pas vu le temps passé. Ah oui, un véritable concours de beauté chez les lépidoptères. À qui revient le premier prix? Il est tellement difficile de se prononcer. L'un aussi joli que l'autre. Et là, ensemble, dessinant cette large gamme de couleurs, le résultat est totalement fascinant. Son attention est encore retenue sur l’Uranide malgache dont les ailes comptent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il est qualifié de « Plus bel inceste au monde ».

Mais, comment ne pas regarder l’Hypoléria Oto avec ses ailes transparentes, le Caligo, dit papillon-hibou, avec sa robe marron terne que seules les grandes taches, rappelant les yeux du hibou, viennent égayer. Il y a aussi ce papillon, très surprenant, le papillon-feuille, que seul un observateur attentif, saura distinguer d’une feuille morte.

Tout cela représente les merveilles de la nature. Ça aurait été encore plus beau d’admirer ces beautés ailées, bleu brillant, rouge et jaune virevoltant dans la clairière, butinant… Et que serait de voir, ce magnifique Morphos bleu métallique dont le reflet irisé dû à la diffraction de la lumière, s’allumerait et s’étendrait, selon l’angle de la réfraction.

Megan a dû beaucoup les aimer pour les avoir ainsi immortalisés. Sans doute, ceux-là auraient été morts avec le temps. Pourtant, ici, là épinglés sur ce tableau, elle a éternisé ces quelques dizaines de créatures, parmi plusieurs milliers d’espèces. Un travail colossal de la part de cette femme au cœur d’enfant. Judy se lève encore tout émerveillée pour aller remettre la collection là où elle l’avait prise. L’album, elle aura tout son temps pour le regarder. Là maintenant, elle est trop fatiguée. Et, elle a presque oublié de n’avoir rien mangé depuis ce matin.

Après s’être douchée, Judy s’était changée. La garde-robe était pleine à craquer, sans prendre le temps de choisir, elle avait pris la première chose qui lui était tombée sous la main. Une petite robe courte, bleu ciel, dont le tissu en coton était agréablement léger. Qui pourrait dire que c’était à une autre? Elle lui sied tellement bien… Depuis, Judy n’avait plus aucune nouvelle de son ravisseur-protecteur.

L’occasion de s’enfuir, se présente-t-elle peut-être? Où est-il passé? Judy aimerait bien le savoir. Elle se soupçonne de l’avoir fait fuir. Est-ce le fait de lui avoir parlé de sa mère? Qui se sentirait mal à l’aise de parler de sa mère? Judy a perdu la sienne dès son plus jeune âge, sa présence lui a tellement manqué… Parfois, elle rêve de retourner dans le passé, juste pour pouvoir toucher son visage qui, plus le temps passe, plus semble s’estomper. En dépit de tout, elle ne rate jamais l’occasion de parler d’elle, c’est l’un des meilleurs moyens de la garder encore en vie.

***

Allongée sur le lit, seule dans la nuit qui a fini par étaler son large manteau noir, Judy est loin dans son sommeil quand elle sent une main lui caresser doucement le visage.

-Réveillez-vous, fait une douce voix.

En ouvrant les yeux, Gail se trouve assis à ses côtés. Est-il là depuis longtemps? Elle l’ignore. Mais, il est encore là à caresser du bout du doigt la commissure de ses lèvres, et il la regarde avec une telle intensité. Un geste si sensuel. On ne les prendra pas pour deux inconnus.

-Où étiez-vous passé? questionne-t-elle d’une voix pleine de sommeil.

Un sourire à la fois vague et étrangement sérieux adoucit ses traits.

-Je vous ai apporté à manger, dit-il pour toute réponse.

Judy ne répond pas et il poursuit :

-Levez-vous.

-Non, je veux dormir, j’ai mal à la tête, marmonne-t-elle mollement.

-Depuis quand?

-Depuis ce matin.

C’est ce qui avait freiné la jeune femme dans son élan à vouloir fuir : cette fâcheuse migraine qui n’était pas du tout la bienvenue.

Il la dévisage un bon moment, puis jette un coup d’œil à sa montre. Le ton se fait plus aimable.

-Il est 20 heures, c’est sans doute parce que vous refusez de manger quelque chose. Si vous mangez, peut-être qu’après, vous aurez droit à une surprise.

-J’ai horreur des surprises.

Le sourire de son interlocuteur s’élargit.

-Je suis persuadé que celle-là vous fera énormément plaisir. Je vous assure que ça vaut le coup d’essayer.

Judy esquisse un pâle sourire.

-Comment pouvez-vous en être si sûr?

-Vous me faites confiance? lui demande-t-il tout en l’aidant à se relever.

Une fois arrivée à la cuisine, Judy se hâte de jeter un œil. Apparemment, il n’y a aucune trace de surprise. Peut-être qu’il faille attendre un peu.

-Mais…

-Vous devriez d’abord manger, termine-t-il à sa place, comme s’il connaissait la fin de sa phrase.

Elle s’approche de cette gigantesque table de chêne, avant de se laisser lourdement tomber sur la chaise que vient de lui offrir son compagnon. Elle jette un regard dans la grande soupière en porcelaine au rebord dentelé richement garni. Dans d’autres circonstances, l’eau lui serait venue à la bouche, par contre, en ce moment, elle n’a pas le cœur à ça. Cependant, elle court déjà des heures sans rien goûter. Mais, elle n’avait pas faim. Elle épuise sûrement ses dernières réserves. Si elle persiste, elle mourra d’inanition.

-Goûter, vous verrez comme c’est croustillant, affirme-t-il en lui offrant dans une part qu’il avait déjà entamée.

Judy hésite, cherchant un prétexte pour refuser son invitation, mais il la devance :

-Ne faites pas la timide. Vous allez me donner raison, c’est vraiment bon. Cette Clémente a des doigts magiques, elle fait des merveilles. Judy repousse une mèche de cheveux qui lui tombe sur le visage, et mord à regret dans la chair croquante de la banane frite.

-Vous aimez? s’enquit-il les yeux brillants d’une victoire anticipée, alors que la jeune femme savoure d’un air critique la bouchée.

-J’avoue que ce n’est pas mal, consent-elle en hochant la tête, mais sans enthousiasme.

-Eh bien, attendez de goûter à la viande, dit-il avec un large sourire. Et avant que la jeune femme ne comprenne, il lui enfile déjà un morceau de viande dans la bouche.

Ce doit être une excellente surprise, pour avoir à lui demander de fermer les yeux. Judy s’impatiente déjà. Cela fait un moment qu’il a été cherché cette soi-disant surprise. En lui demandant de fermer les yeux, elle avait ouvertement protesté, car elle souhaitait en finir avec cette histoire de surprise et voir enfin de quoi il s’agit. Ça commence à trop durer. C’est quoi ce cirque, à quel jeu s’adonne-t-elle? Elle décide d’ouvrir les yeux, pourtant, se ravise rapidement. En entendant sa voix, son cœur fait un bond dans sa poitrine et se met à cogner comme s’il voulait s’arrêter.

-Vous êtes sûre que c’est bien fermé? s’écrie une voix derrière la porte.

-Oui, claironne-t-elle tout excitée.

Judy en sentant sa présence avale sa salive. Aurait-elle peur? Bien sûr. C’est quoi la question? Elle inspire un grand coup.

-Prête? l’entend-elle demander.

Elle hoche la tête.

-Oui.

-Alors à trois. Un… deux…et trois!

-Rose! s’exclame la jeune femme emballée. Ahurie, elle se lève d’un bond et court la prendre dans ses bras. Oh! Rose! lâche la jeune femme d’une voix que la joie fait trembler quelque peu. Tu es là ma mignonne? Oh! Non! Je n’arrive pas à croire que tu es vraiment là ma belle!

Elle lui caresse le pelage, comme si elle voulait s’assurer qu’elle est bien réelle.

-Dites-moi que je ne rêve pas au moins? ajoute-t-elle encore sous le charme.

-Non, elle est bien là.

C’est à ce moment seulement que Judy lève les yeux vers lui.

Plissant les yeux, il la considère pensivement. Il se demande peut-être comment quelqu’un fait pour être aussi naïf.

-Comment pourrais-je vous remercier? s’enquit-elle. Elle transpire d’une joie débordante et ne fait rien pour la contenir. On dirait une enfant.

-Ne vous en faites pas.

Judy secoue la tête incrédule, en déposant la chatte sur la chaise qu’elle occupait tantôt.

-Ne pas m’en faire?

Serait-elle devenue sourde?

-Vous ne savez pas combien cette petite boule de poils m’a manquée. Comment avez-vous fait?

Sans plus penser, elle saute à son cou.

-Oh! Merci! Merci! répète-t-elle sans cesse en déposant un gros baiser fraternel sur sa joue rasée de près.

D’un côté, il semble que Judy s’est un petit peu trop appuyée sur lui.

-Désolée! Je suis tellement contente, que je ne sais plus ce que je fais, s’excuse-t-elle embarrassée.

-On dirait que Rose n’est pas aussi enthousiaste de vous voir?

-Elle et moi, on s’entend très bien, c’est qu’elle est comme ça Rose, douce, placide et elle peut être parfois très froide, comme en ce moment.

-Drôle de chat, reconnaît-il en arquant un sourcil.

-Rose est un amour, même quand elle a faim, son miaulement doux et gai se fait rarement entendre. Elle se contente de me regarder, jusqu’à ce que je lui serve.

Il la regarde avec une attention soutenue sans rien dire. Et, Judy finit par se rendre compte de son silence.

-Je suis désolée, je parle trop, admet-elle gêner.

Les yeux de Gail ne se détachent pas de la jeune femme.

-Croyez-moi, je vous préfère comme cela.

 

 

***

Après, Gail avait emmené Judy au salon. Et l’avait offert un verre.

-Ça n’a pas l’air d’aller? lui demande-t-il.

Judy baisse la tête et porte une main à son front, en proie à un malaise soudain. Elle ne se sent pas du tout dans son assiette.

-Je crois que j’ai assez bu, ment-elle. J’ai un peu la tête qui tourne.

Il se met vivement à rire avant de se lever.

-Vous n’avez pris que deux verres, ma foi!

À la vérité, elle veut juste se retirer.

-Bon, je vais vous préparer une tasse de chocolat chaud, après, vous vous sentirez bien mieux.

Elle aurait dû refuser, mais ce qu’elle n’a pas fait. Ça aurait été tellement plus facile de dire non.                     

-Hey, la dormeuse!

Judy passe une main hagarde sur son visage et se redresse. Elle est vraiment éméchée, ou est-elle fatiguée à ce point? Il est vrai qu’elle n’avait pas eu une bonne nuit de sommeil.

La voix de Gail est singulièrement basse.

-Ai-je été si long?

Il lui tend la tasse avant de prendre place à ses côtés. La jeune femme fait un mouvement comme si elle allait retirer ses jambes pour lui faire un peu de place, mais il l’en empêche.

-Ne vous dérangez pas. Vous êtes bien comme cela. Voyant qu’elle hésite, il les retient. Judy paraît un peu troublée. Si troublée qu’elle n’eût d’autres recours que de plonger rapidement ses yeux dans sa tasse fumante.

-Merci, bredouille-t-elle en portant la tasse à ses lèvres.

-Vous aimez?

Silencieusement, elle fait un oui de la tête.

-Enfant, je ne dormais pas sans avoir pris mon bol de chocolat, lui confie-t-il avec un léger sourire.

Elle lève les yeux vers lui et lui sourit à son tour. Un sourire troublé. Lui, il la regarde fixement. Ses beaux yeux noirs et brillants la mettent mal à l’aise.

-Vous ne me dites rien de vous.

Il s’arrête un instant et ses yeux se plissent. Il sourit avant d’ajouter :

-Vous pouvez me parler un peu de vous… de ce que vous aimez… de vos peurs… votre enfance…

Une lueur furtive passe dans les yeux du jeune homme.

-Moi, j’aimerais bien faire un peu votre connaissance, savoir un peu plus sur vous, dit-il enfin.

Judy sent une étrange sensation l’envahir. Elle, d’habitude si réservée. Comment va-t-elle pouvoir parler d’elle? À un inconnu, par-dessus tout.

Elle avale non sans peine, une gorgée de sa tasse avant de répondre d’une voix neutre :

-Sur moi, il n’y a pas grand-chose à savoir. Je suis une femme assez banale.

Il laisse éclater un rire qui réchauffe. Quel contraste avec la froideur de l’homme qui est passé au cabinet.

-Non, c’est faux! affirme-t-il en lui pointant du doigt. Je parie que vous êtes une femme extraordinaire… merveilleuse! Qui a beaucoup de choses à raconter.

Le compliment attire l’attention de Judy qui lève vers son interlocuteur un visage étonné. Elle secoue la tête et lui demande sans faire cas de sa remarque.

-Que désirez-vous savoir?

Visiblement désappointé, Gail passe une main dans ses cheveux avant de prendre la télécommande.

-Nous pouvons parler de beaucoup de choses ensemble, lâche-t-il enfin. Vous pouvez me dire quel est votre film préféré?

Il s’arrête un peu sur une édition de nouvelle avant de changer.

-Pourquoi avez-vous changé? crie-t-elle presque, avec un élan de colère.

-Ce n’est qu’une reprise, en plus vous ne risquez pas de faire la une, vous l’avez dit vous-même, sur vous il n’y a pas grand-chose à savoir.

L’on finira bien par parler de sa disparition à la télé. Tôt ou tard. Et Gail le sait aussi bien qu’elle. Une fois de plus, Judy se retrouve face à elle-même. N’ayant plus rien à ajouter, elle dépose la tasse sur le guéridon et se lève. Tout à coup, elle se sent anéantie, elle se sent vidée de ses dernières forces. Un moment, elle s’appuie sur le canapé pour se reprendre. Elle ferme les yeux et avant de les ouvrir, il est déjà là. Délibérément, Gail avance les mains vers elle, avec l’intention de la soutenir.

-Je vous interdis de poser la main sur moi, vous entendez? dit-elle d’une voix saccadée.

Lentement, il laisse tomber ses bras le long de son corps.

-Ce que j’ai dit tout à l’heure c’était pour rire, avoue-t-il d’une voix blanche.

-Ce que vous dites n’a aucune importance pour moi, lâche-t-elle sèchement. Sur ce, elle se déplace pour regagner sa cellule. Elle avait perdu toute sa vitalité.

-Ils vont me retrouver… se dit-elle fermement en s’asseyant sur le rebord du lit. Ils vont me retrouver, se répète-t-elle comme pour se convaincre que la police va finir par la retrouver dans cette tanière. À moins qu’ils n’aillent user l’un de ces tours de magie! Sinon, comment? Puisqu’ils n’ont aucune piste. Personne pour l’instant ne sait qu’elle a été enlevée.

Le silence se fait autour d’elle. Judy se sent au fur et à mesure la proie d’une lutte intérieure. Jamais, on ne la retrouvera. Sa libération, donc, ne dépend que d’elle seule. Judy secoue la tête et la prend dans ses mains. Pourquoi fallait-il qu’elle soit la fille d’Arnold? À l’heure qu’il est, elle ne serait pas dans cette pénible situation. Pourquoi son père a-t-il accepté de défendre quelqu’un accusé du meurtre de son cousin? À cette seule idée, le sang de Judy se glace. Son attitude prouve qu’il a bien tué son cousin. Gail est un monstre. Un fou à lier, un aliéné. Judy doit agir vite! Au lieu de créer des liens avec ce… personnage… détestable!

Judy se réveille la tête lourde, comme si elle n’avait pas assez dormi. Elle s’étonne de ce que l’incident de la veille l’ait à ce point troublée. Elle a eu une de ces peurs. Peur de ce qu’il allait lui faire. La nuit a été longue. Elle n’avait pas réussi à le chasser de son esprit. Jusqu’à ce que le sommeil eût raison d’elle, elle se demandait comment derrière un homme aussi merveilleux pouvait se cacher un criminel impitoyable? C’est vrai, qu’il peut être si doux, si attentionné… d’une tendresse tellement infinie. Au souvenir de la douceur de ses mains, Judy se demande comment des mains aussi aimantes et aussi chaleureuses peuvent donner la mort, si froide, si haïssable? Peut-être que c’était un accident? Peut-être qu’il ne l’a pas fait? Que s’est-il passé exactement?

Judy se lève et passe une main sur son visage. À regret, elle constate que contrairement à hier, il n’est pas venu la réveiller.

-Tant pis, se dit-elle en haussant les épaules avec humeur.

Après tout, cela n’a aucune importance qu’il vienne ou qu’il ne vienne pas. C’est blanc bonnet et bonnet blanc. Mais n’y a-t-il pas de quoi se poser des questions quand c’est presque toute la journée qu’il a passé sans se montrer? Judy se sent profondément déçue, dire que par moments, elle s’attendait à le voir venir, mais en vain. Elle s’était préparée quelque chose à manger, elle avait fait la vaisselle, nettoyé le parquet juste pour tuer le temps qui se faisait si long. Épuisée, elle avait mis la télé, mais c’était pour vite s’endormir.

La journée s’est affaiblie dans une sorte de brume dorée…

On dirait qu’elle avait déjà perdu la détermination à fuir…

Si Gail avait passé la journée sans qu’il ne pointe le bout de son nez, il y a de plus fortes chances qu’il ne soit pas à la maison. Se rappelant qu’il avait passé une bonne partie de la journée d’hier sans se montrer. Où passe-t-il son temps? Pourquoi se cache-t-il? Les rôles se sont-ils inversés? Judy se lève doucement, elle prie pour qu’il ne soit pas là. Là, maintenant, elle a une seule idée en tête : vérifier s’il ne se trouve pas dans les parages, alors elle pourra prendre la poudre d’escampette, dire bonjour à la liberté, et adieu à la séquestration.  

Un moment, Judy hésite avant de poser la main sur le verrou. Et s’il la surprenait? Elle se mord la lèvre. Tant pis, elle aura essayé. Elle y pense tellement…

Devant le grand lit vide étendu devant elle, Judy est en proie à une vive anxiété. Comme prise d’une paralysie soudaine, elle est incapable de bouger.

-Mais, qu’est-ce qui m’arrive? chuchote-t-elle comme pour elle-même. On dirait qu’elle faisait quelque chose de mal. Brusquement, elle sent son cœur se serrer, c’est comme si elle s’apprêtait à abandonner une partie d’elle… une partie de son histoire… Elle jette un coup d’œil et aperçoit Rose roulée en boule sur un divan.

-Rose… murmure-t-elle presque. Viens là dans mes bras.

La féline se lève et fait le gros dos paresseusement.

-Rose, fait Judy une seconde fois d’un ton pressant.

Rose est là à la regarder, si parfaite avec ses yeux jaunes splendides et son port aristocratique. Judy eut un mouvement d’épaules et fait quelques pas en direction de la chatte qui se sauve. Le comble!

Judy court après elle, ouvre la porte, espérant qu’elle se serait blottie sur le seuil, mais non! Elle n’y est pas. Impulsivement, elle se met à marcher le long du sentier éclairé par la lumière du soleil couchant, en lançant de vains appels.

Et, un instant, elle s’arrête, un peu effrayée elle-même par la façon dont elle se laisse emporter. C’est à peine croyable. Si Rose ne se résout pas à venir la rejoindre, elle n’a que deux choix : soit elle accepte de l’abandonner, soit elle se fait prendre par Gail. Et la dernière solution n’enchante guère la jeune femme, déterminée à sauter sur sa chance. Comment laisser tomber Rose? Son amie! Son bébé! Lentement, elle lève les yeux au-dessus de l’arbre, d’où lui provient le doux miaulement. À son grand désespoir, Judy voit sa chatte perchée sur une branche. Un instant, elle hésite à l’appeler de peur qu’elle ne s’enfuie encore plus loin.

-Chérie, sois une bonne chatte, sois gentille. S’il te plaît, descends, murmure Judy en levant les bras vers elle.

Lentement, Rose incline la tête vers sa maîtresse en agitant nonchalamment la queue.

-Bon, tant pis pour toi, dit Judy sévèrement. Si tu veux rester en compagnie de cet homme, soit! Moi, c’est à regret que je dois te dire que je vais partir sans toi. Adios señorita!

Judy s’arrête un moment et regarde la chatte comme pour une dernière fois.

-Vraiment, je ne vois pas ce que tu lui trouves.

À ces mots, Judy tourne les talons. Elle n’a exécuté que deux pas seulement que Rose saute d’un bond sur son épaule. Oh, cette féline capricieuse! Pourquoi a-t-il fallu qu’elle lui fasse perdre tout ce temps? À cette heure, elle serait déjà loin de cette maison.

Avec des tremblements de mains, frénétiques, Judy ouvre la portière de sa voiture et s’y engouffre. Une paix intense règne à l’intérieur. À cette sérénité, elle y pensera tout à l’heure, à présent, il lui faut trouver les clés. Oui, les clés. Son sac. Oui, il y a son sac. Tremblante, comme une voleuse, elle le vide de son contenu. Non, pas de clés. Ah, la providence! Son téléphone. Elle l’allume.

-Plus vite! dit Judy comme si cela pouvait faire monter plus vite le réseau, tout en continuant à chercher ses clés.

-Oh, Seigneur! Merci! Merci! crie-t-elle emportée de joie.

Elles sont là, tout juste au-dessus de la visière. Les miracles existent! Elle jette à nouveau un œil à l’écran de son portable. Rien!

-Toujours aucun signal? Ce n’est pas vrai! s’esclaffe la jeune femme furieuse tout à coup en balançant le matériel sur le siège, avant de passer le contact. Le moteur démarre en vrombissant.

-Oh, la vache! pense Judy à voix haute, s’il avait pensé une seconde qu’elle serait capable d’un tel coup, il n’aurait jamais laissé les clés dans la voiture.

Judy a déjà parcouru presque la moitié de cette maudite, et interminable domaine, lorsque Gail Duncan se plante sur son chemin les mains sur les hanches, sorti de nulle part, comme tomber du ciel. Déterminée, Judy continue sa route. Non, elle ne va pas s’arrêter. Lui devra se déplacer, mais le désir de se déplacer ne semble pas du tout l’effleurer. Il ne bouge pas d’un poil.

Pestant, Judy s’arrête, se penche par la vitre et lui dit avec assurance :

-Ôtez-vous de mon passage!

-Vous allez rapidement descendre de cette voiture, menace Gail d’un ton péremptoire qui fait frissonner la jeune femme dont l’assurance s’est vite volatilisée.

-À votre avis, qu’est-ce qui vous fait croire que je vais vous écouter? rétorque-t-elle non sans colère.

-Parce que vous n’avez pas d’autres choix que de m’obéir!

A suivre

Isabelle Théosmy

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