Hommage : « un pays foutu » me disait Jean Saint-Vil, avait-il raison ou n’avait-il pas raison ?

Au Rectorat de l’Université d’Etat d’Haïti en 2005, j’ai rencontré un puriste Mapou de la rédaction revenu de la terre mère, après un temps de vie, autant que moi de retour d’ailleurs, pour répondre aux cris de détresse d’Ayiti, notre terre natale. Commandé en 2005-2006 par le Vice-recteur aux Affaires Académiques, Wilson Laleau, il a préparé un catalogue de référence volumineux qui, jusqu’à date inédit, a retracé l’historicité de l’UEH et campé ses différents programmes académiques.

Devenus de bons amis-collègues, j’ai vu naître en ce géographe de profession un poète prolifique qui ne passait pas un jour sans me donner à lire et critiquer sa nouvelle création. Réciproquement, il lisait et corrigeait mes textes de propositions de sortie du pays du marasme économique et de l’imbroglio politique.

En effet, nous nous lisions religieusement et critiquions la qualité de nos écrits ; si pour lui, je lisais cinq poésies par semaine, pour moi, il lisait un ou deux textes par semaine. C’était pour lui le temps de rêver et de jongler avec les mots afin de décrire les impressions de tout ce qu’il vivait et observait dans son milieu immédiat.

Ce qui allait de la copulation du jour et de la nuit, de la gifle de l’air, des larmes du corps, de la respiration de l’âme, du train-train des amoureux, de la fusion du bien et du mal, de l’insouciance des dirigeants à la bêtise Ayitienne. Que n’avait-il pas envie de photographier ou de peindre avec son regard perçant et l’esquisse de son sourire jovial-moqueur à ses heures ?

M’y ayant devancé de quelques années et pour avoir vécu les bêtises des dirigeants des institutions publiques et privées du pays depuis des lustres, il a pu vite tirer conclusion du devenir d’Ayiti.  Buté à son pessimisme éprouvé, mon optimisme fraîchement moulu nous mettait toujours en désaccord surtout quand réagissant à mes textes, qui posaient les problèmes et proposaient des pistes de sortie, en lecture critique pour correction auprès de lui, avant leur publication dans les colonnes de « Le Nouvelliste » ou « Le Matin. »

Il crachait toujours sa déception en me disant que je prêchais dans le désert parce que « ce pays est foutu », rien qu’à voir le comportement de nos dirigeants et hommes politiques.

 

Avait-il raison ?

Oui, s’il faut en juger par la durée de sa vie, pendant laquelle il n’a vu que des bêtises depuis son retour d’Afrique où il a travaillé pendant longtemps avant celui définitif au pays natal jusqu’à la fin de ses jours en février 2024.

Gratifié de son respect et de son appréciation en dépit de nos divergences d’opinions, il a honoré deux de mes dessins abstraits comme couverture de ses deux premiers recueils de poésies.

Abondant dans une touche transversale depuis, en marge de ses évasions poétiques, il abordait différents thèmes hors de la géographie, son champ d’expertise, et voulait toujours avoir mes points de vue, surtout si le sujet abordé touche mon champ d’intérêt.

Notre franc et sincère rapport d’amitié nous a couronnés d’un respect mutuel pour nos efforts dans la marche du temps et nous a rendus disponibles l’un pour l’autre quand le besoin se déclare. Il me tenait toujours informé de son état de santé depuis qu’il a été diagnostiqué et je saluais toujours ses prouesses physiques pour son âge sur les places publiques pour pratiquer du sport.

Depuis la vague du vol de personnes, il ne voulait plus s’y aventurer, ne sortait plus, et pour ne pas être témoin des sempiternelles bêtises de nos dirigeants ni enfler le décompte statistique des victimes. Son retrait obligé des activités sportives, a-t-il précipité son départ ? Etre inactif physiquement ne lui a pas favorisé un kilomètre de plus sur le cas propre de sa santé en alerte. Un ou deux mois avant sa mort, étant hospitalisé en urgence après une longue perte de connaissance, il m’a appelé pour me dire qu’il était sur la ligne d’arrivée.

Sans attendre, je suis allé lui rendre visite et pendant près de 2 heures nous avions discuté de tout et de rien sans oublier ses prédictions pessimistes sur le devenir d’Ayiti au début des années 2000. Heureusement, deux jours après, il est rentré chez lui avec ses conditions améliorées. On s’appelait de temps en temps après jusqu’à son récent départ définitif pour l’orient éternel ce février 2024.

Lors de nos réminiscences, je lui ai dit que ses prédictions tombent justes, parce que nous ne vivons actuellement que de la bêtise humaine, ce qui rencontre ses dires de tout temps. A lui de reprendre son pitoyable refrain : « ce pays est foutu » que je n’ai pas osé contredire comme avant.

Maintenant que mon ami-collègue, Jean Saint-Vil, est parti pour l’au-delà, et toujours animé de cette même fièvre optimiste, j’ose espérer malgré tout parce que j’y suis encore. C’est mon espoir contre sa vérité absolue clôturant ses randonnées sur notre terre de vie submergée dans le puits de la bêtise humaine qui ne cesse de polluer nos institutions publiques et privées.

Ce puriste Mapou de la rédaction n’y est plus, mais laisse ses écrits, les traces indélébiles de son passage, pour la postérité Ayitienne qui en jugera.

RIP Jean Saint-Vil, mon sincère Ami-Collègue puriste Mapou d’Ayiti

 

Jean Poincy

Vice-recteur aux Affaires Académiques

Université d’Etat d’Haïti

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES