Redécouvrir l’inoubliable Jean-Claude Charles

Poète, romancier, essayiste, journaliste, scénariste, il était tout cela à la fois. Dans Je découvre Jean-Claude Charles, un livre pour enfants publié chez Legs Édition (maison fondée à Port-au-Prince en 2012), on célèbre la vie et l'œuvre de cet écrivain haïtien qui fut un véritable monument national.

Voilà enfin un livre qui met en lumière Jean-Claude Charles, plus de quinze ans après sa disparition à Paris. Un hommage bien mérité, car l’homme mérite que l’on s’y attarde, car en plus d’être un immense écrivain, il fut aussi un grand patriote nationaliste qui descendait dans l’arène pour prendre la défense de ses compatriotes, notamment lorsque les autorités américaines établissaient un distinguo entre les réfugiés cubains et haïtiens. Plus qu’un hommage, c'est une réhabilitation que Stéphane Saintil a entreprise avec son texte. Son ouvrage tombe à pic, à un moment où l’actualité particulièrement autour de l’écrivain haïtien se révèle foisonnante.

Le portrait qu’en fait Saintil a la vertu de plonger n’importe quel lecteur en immersion dans l’œuvre colossale de ce forçat de la plume. Dans l’introduction, l’auteur évoque les connaissances du journaliste mais aussi de l’homme, cet exilé qui traînait sa savate triste dans les rues de Paris avec une pipe toujours collée à ses lèvres : « Reconnu par ses pairs comme l'un des plus brillants écrivains de sa génération, Jean-Claude Charles a marqué la littérature haïtienne par sa voix singulière en abordant, souvent avec humour, certaines questions existentielles qui dessinent la toile de fond de la littérature haïtienne de la diaspora : le mal du pays, la difficile adaptation au pays d'accueil, la critique de la dictature des Duvalier, l'impossibilité du retour au pays natalJean-Claude Charles fait partie d'une génération d'écrivains marquée par le départ de la terre natale. »

 

Réhabilité grâce à Legs édition

Dans sa belle collection « Je découvre », la maison d’édition Legs vient de placer l’auteur de Manhattan Blues très haut de l’affiche. Les responsables dont l’objectif est de publier des livres afin de familiariser nos enfants à l’histoire et à la littérature haïtiennes viennent de frapper un grand coup, d’autant plus que l’un des plus grands écrivains haïtiens est méconnu d’une grande partie de la population haïtienne lettrée.

Conformément aux critères de cette collection, le parcours de Jean-Claude a été résumé de manière très succincte avec des informations très pointues étalées dans moins de 200 pages.

Jean-Claude Charles est en train de remonter tout doucement la pente des écrivains haïtiens oubliés de son vivant. Sa disparition dans les agendas culturels des uns et des autres était aussi injuste qu’injustifiée. Lors du festival « Étonnants voyageurs » en 2003, personne ne pensait à mettre son nom parmi les invités . Pourtant il était bel et bien chez lui dans le Marais. On l’avait tout simplement oublié en tant qu’écrivain. Le pire dans toutes ces escarmouches très françaises d’ailleurs dont la sélection par copinage est une seconde nature, c’est qu’il n’avait pas suffisamment fait commerce de la littérature tiers-mondiste et du sang plein les pages, encore moins celle du créolisme à tout bout de champ qui fait la fortune de certains travailleurs de la plume. Son impeccable style était suspect pour un Nègre, d’où sa non-récompense puis sa disparition de la scène littéraire. C’est l’Académicien Dany Laferrière qui a su résumer le mieux le désarroi dans lequel était plongé l’écrivain haïtien avant de quitter cette vie. « Ce qui rendait la chose plus triste, déclarait-il, c’est que, souvent, on nous (écrivains haïtiens) invitait à Paris ou en province à des festivals littéraires, des tables rondes, des colloques, et Charles n’y était pas. Alors que c’est lui, le premier qui s’était imposé dans cet univers si difficile à percer : le Paris littéraire. C’est lui qui nous avait ouvert la route. C’est bien lui qui connaît tous les journalistes du Monde, du Nouvel Observateur, de L’Express. C’est lui l’intellectuel parisien par excellence »

Parmi d’autres personnages illustres d’Haïti que la maison d'édition dirigée par Mirline Pierre et Dieulermesson Petit-Frère, a déjà son actif, on peut citer un excellent Je découvre Charlemagne Péralte où le pèlerin de « l’encinerrance » a été superbement portraituré.

 

De l’enfer duvaliérien à Paris

Jean-Claude Charles a laissé Haïti à l’âge de 21 ans, comme tous ceux qui ont obligés de quitter l’enfer duvaliérien. Toujours à l’affût de la moindre information sur Haïti, depuis son lointain exil parisien, le journaliste n’avait de cesse de penser à ce pays. Un traumatisme qu’il n’avait pas cessé d’exprimer dans ses œuvres.

Il était avant tout un grand journaliste, et exerçait ce noble métier en parcourant le monde pour nous informer. Ce patriote qui a écrit dans presque tous les grands journaux de Paris, était sans aucun doute, le premier à avoir fait son entrée dans le système médiatique français où il brillait de mille feux : L’événement du jeudi, Le Monde, Le quotidien de Paris. Dans France culture, on le retrouve scénariste où sa voix a charmé les auditeurs nocturnes pendant plus de dix ans.

Comme il disait lui-même dans ses articles, il faisait de la poésie en contrebande, mettant cet art dans tout ce qu’il faisait. Son premier recueil Négociation donne le signal de départ d’une œuvre où l’humain est omniprésent. Ce que Saintil a d’ailleurs démontré à coup d’arguments : pour lui, l’œuvre centrale est un combat contre toutes les formes d’abrutissement de l’homme. D’un ouvrage à l’autre, cette obsession éthique est présente, comme lorsqu’il a défendu avec fouge dans un essai rageux sur la situation de ses compatriotes enfermés dans des conditions infrahumaines dans les prisons de Krome.

Avec De si jolies petites plages publié en 1982, un cri de révolte, c’était aussi la première fois qu’une voix haïtienne se lève pour non seulement dénoncer le racisme des autorités américaines mais aussi faire connaître le drame des boat people haïtiens à travers le monde. Un écrivain pleinement engagé, comme l’a si bien décrit l’auteur, en rappelant qu’il fut un « homme d'idées et d'action qui a beaucoup réfléchi sur la condition humaine ». De ses quatre essais, deux traitent essentiellement de questions sociales et politiques.

 

Champion de l’antiracisme aussi

Il a toujours rêvé d'un monde meilleur, libéré de la dictature des frontières où les hommes et les femmes puissent voyager selon leur volonté. C'est au nom de cette conviction qu'il va mener pendant plusieurs années une enquête sur la condition des migrants haïtiens aux États-Unis.

Mais c’est dans le dossier du racisme en France que l’Haïtien s’était pleinement engagé. C’est lui qui avait inventé la méthode de testings dans les boîtes de nuit pour débusquer les racistes empêchant les jeunes noirs et arabes d’y entrer. 

Seize ans depuis que le théoricien de « l’enracinerrance » s’est éteint, laissant beaucoup d’inconsolables, car c’était un homme avec lequel on pouvait entretenir des relations humaines et instructives. Mais il est encore parmi nous, car ses livres restent et font encore autorité. Avec Le corps noir, thème au cœur de l’élection présidentielle française de 2022, Jean-Claude peut être considéré comme un champion de l’antiracisme, mettant sa belle plume au service d’une cause, qui était aussi celle de son pays, dont il voulait être l’héritier par excellence et celle des laissés-pour-compte.

 

Maguet Delva

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES