« Secrets d’écrivain et mystère de la lecture » : rencontre avec Marc Sony Ricot

Marc Sony Ricot est journaliste et chroniqueur littéraire au quotidien Le Nouvelliste. Présentateur du podcast « Des fous et des dieux » sur Palmes Magazine. Il a travaillé comme bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Tabarre et au Centre Pen Haïti. Blogueur chez Mondoblog de RFI, il se considère comme un amateur de jazz et de littérature. Paraîtra bientôt sous sa direction « Secrets d’écrivain et mystère de la lecture » chez C3 éditions, avec la participation d’une trentaine d’écrivains haïtiens et étrangers. Nous l’avons rencontré pour en parler.

 

Witensky Lauvince : Votre passion pour la lecture et votre désir de partager cette passion avec un plus grand nombre est palpable, mais comment êtes-vous venu à la lecture ?

Marc Sony Ricot : Quand j’étais petit, ma mère ne me racontait pas d’histoires. Pas parce qu’elle n’avait pas envie, mais elle était trop occupée à "Dieu soit loué". Dieu soit loué, c’était le petit restaurant qu’elle gérait. Il était situé à la station-service de Dechaos, aux Gonaïves. Après mes classes à l’école nationale Saint-Valry, je passais la majeure partie de mon temps au restaurant, assis dans un coin à étudier, mais aussi à écouter les conversations de cette clientèle hétéroclite qui fréquentait Dieu soit loué. Pasteurs, bòkò, manbo, directeurs d’école, marchandes, chômeurs, voyageurs, et surtout des gens de la diaspora venus de Miami, de New York, de Montréal, des Bahamas et d’autres grandes villes à travers le monde. Ils avaient tous une histoire à raconter et souvent des plus intéressantes. Ma mère voulait que je me concentre sur mes leçons, mais le son de toutes ces voix et la magie qu’elles évoquaient me captivaient. Ce sont toutes ces histoires entendues à "Dieu soit loué" qui ont nourri mon imaginaire, car il n'y avait pas de livres à la maison ni à l’école nationale Saint-Valry où j’ai effectué une bonne partie de mes études primaires. La première fois que j’ai vu une bibliothèque, c’était durant des vacances d’été à Praville, chez une de mes tantes. Ce fut à ce moment que j’ai réalisé que ce n’était pas seulement les voyageurs qui ont des histoires à raconter et que les livres aussi pouvaient me raconter des histoires. C’est donc chez cette tante-là qu’est née ma passion pour les livres et la lecture. Aux Gonaïves, où je suis né et grandi, des milliers de jeunes n’avaient pas accès aux livres. Aujourd’hui la situation s’est améliorée, surtout grâce au Centre culturel Amaranthe, mais beaucoup reste encore à faire. Après plus d’une décennie, j’ai visité l’école nationale Saint-Valry, en avril 2023, et elle ne possédait malheureusement toujours pas de bibliothèque. Je reste persuadé que si tous les enfants de ce pays avaient accès aux livres, la situation dans laquelle nous vivons actuellement serait meilleure. Cela devrait être une priorité nationale.

 

Selon vous, qu’est-ce qui rend une histoire intéressante ?

L’émotion. La sensibilité. Le style. J’aime les livres qui me choquent et qui m’émerveillent en même temps. Les livres qui me donnent envie de tourner la page, les livres qui m’enchantent, qui me font réfléchir, qui m’habitent après les avoir lus, qui me donnent envie de les relire. J’aime les livres qui me font voyager. C’est pourquoi je n’oublierai jamais À la vitesse de la lumière de Javier Cercas, Madame Bovary de Flaubert, La promesse de l’aube de Romain Gary, Les raisins de la colère de Steinbeck, Tours et détours de la vilaine fille de Mario Vargas Llosa, L’étranger de Camus, Les brasseurs de la ville d’Evains Wêche, Si c’est un homme de Primo Levi, Saisons sauvages de Kettly Mars, Bicentenaire de Lyonel Trouillot et j’en passe... Il y a dans ces livres beaucoup de sensibilité, d’émotion et puis un style. Un écrivain, c’est comme un bon musicien : dès qu’on ouvre la première page, on doit faire face au style, à l’élégance. J’aime les livres qui apportent un nouveau souffle dans nos cœurs et dans nos pensées. Ces temps-ci, je lis beaucoup de nouvelles et de poésie. Je viens de relire plusieurs nouvelles de Marie-Célie Agnant. Pour moi, c’est actuellement l’une des plus grandes écrivaines haïtiennes.

 

Que serait pour vous le lecteur idéal ?

Le lecteur ou la lectrice idéal.e est la personne qui consomme des livres comme il consomme de la nourriture. Il ou elle considère que la lecture est non seulement essentielle à son bien-être intellectuel, mais aussi à son bien-être physique. C’est la personne curieuse de faire des découvertes littéraires, qui respecte les livres, je dirais même qui les vénère. C’est aussi la personne capable d’insuffler à d’autres sa passion pour les livres.  

 

Vous venez d’annoncer la parution prochaine d’un ouvrage collectif sous votre direction. Que pouvez-vous nous dire de « Secrets d'écrivain et mystère de la lecture » ?

« Secrets d'écrivain et mystère de la lecture » est un livre collectif sur la lecture avec la participation de plus d’une trentaine d'écrivains et écrivaines d’horizons divers. Ce qui est intéressant dans ce livre, c’est la diversité des voix qui y résident. On y retrouve de grands noms de la littérature haïtienne, des auteurs émergents, mais aussi des lieux différents qui se croisent. Il y a même la participation de Nicolas Beth-Sara, une jeune écolière qui a déjà écrit un roman. Un livre collectif sur la lecture ; c’est, je crois, une première dans l’histoire des lettres haïtiennes. Je pense que les lecteurs et lectrices du pays, surtout les jeunes, avaient besoin d’un livre de ce genre. Un livre capable de les guider, de les informer et de leur faire découvrir des auteurs et auteures qu’ils ne connaissaient peut-être pas. Qu’est-ce que la lecture ? Pourquoi lire ? Comment devient-on écrivain ? Autant de questions auxquelles ce livre répond et qui, à mon avis, intéresseraient les lecteurs et lectrices, grand.e.s et petit.e.s. 

 

Comment est née l'idée de ce livre ?

Le livre est né d’une rubrique que je dirige au quotidien Le Nouvelliste : "La bibliothèque idéale". Chaque jeudi je donne la parole à une personnalité littéraire autour de la lecture. Une bonne partie des réponses sont dans ce livre. Il y a aussi plusieurs interviews inédites. C’est une idée que j’ai eue en décembre 2022. J’ai écrit à Dany Laferrière pour lui faire part de mon intention de lancer une rubrique intitulée La bibliothèque idéale. Il m’a encouragé. Il a même cité mon projet dans un article et c’est Dany Laferrière qui a proposé le titre de ce livre. J’en profite pour aussi remercier tous les écrivains et écrivaines qui ont accepté de répondre aux questionnaires et donc de participer à la naissance de ce livre. Depuis plus d’un an, je dirige cette rubrique au Nouvelliste et durant mes cinq ans de collaboration avec le quotidien, la page culture n’a jamais arrêté de fonctionner et ce, malgré les différentes crises qu’a connues le pays. Je suis très fier de faire partie d’un journal qui valorise depuis plus d’un siècle la culture et le savoir. Dany Laferrière a écrit dans Un certain art de vivre (Grasset, 2024) « Quand tout tombe, il reste la culture ».

 

Quels sont les principaux thèmes de cet ouvrage ? À qui s'adresse-t-il ?

Cet ouvrage parle des livres, de l’écriture, de la littérature et de l’univers des écrivains. Il s'adresse à tous ceux et toutes celles que la littérature intéressent, qu’importe là où ils/elles se trouvent. On le sait, les livres peuvent changer des vies et c’est toujours intéressant et important d’en parler. Aussi, ce livre vise à démystifier, ne serait-ce qu’un peu, l’univers et le parcours de ceux et celles qui font la littérature. 

 

Pouvez-vous nous donner un aperçu des contributions des auteurs et lecteurs de ce livre ?

Le livre rassemble des réflexions profondes sur la lecture et l'écriture. Dans ce livre, les auteurs offrent des perspectives variées sur l'importance des livres et de la lecture dans la formation de l'imaginaire et de la pensée. Chacun et chacune partage des anecdotes personnelles, des conseils de lecture et des réflexions sur leur parcours en tant que lecteur et écrivain, créant ainsi une riche mosaïque d'expériences et de savoirs.

 

« Secrets d’écrivain et mystère de la lecture », quelles sont vos attentes par rapport à cette publication ?

J’espère que ce livre deviendra un best-seller et surtout sera accessible aux étudiants de tout le pays et ailleurs. Je veux préciser que les droits de ce livre seront attribués à la Bibliothèque Georges Castera du Limbé et au Centre culturel Amaranthe. C’est donc un livre qui vise à contribuer au rayonnement de la littérature en Haïti. Une fois de plus, je tiens à remercier tous les auteurs et auteures pour leur participation à ce projet. Je remercie aussi Fred Brutus. C’est un visionnaire. Depuis plus d’une décennie C3 Editions a donné un nouveau souffle aux lettres haïtiennes. J’espère fortement que ce livre donnera aux jeunes le goût de la lecture et qui sait, à se lancer dans le domaine littéraire.

 

Quand et où pourra-t-on se procurer « Secrets d'écrivain et mystère de la lecture » ?

Je crois que le livre sera bientôt disponible. C3 Editions n’a pas encore annoncé une date de parution précise.

 

Avez-vous d’autres projets littéraires en vue ?

Je pense déjà à un tome II de « Secrets d’écrivain et mystère de la lecture ». Outre mon travail de journaliste, en ce moment, je travaille sur un roman. Mon travail de journaliste et mes activités littéraires me laissent peu de temps pour écrire. La littérature est exigeante et demande du temps. « L’art est difficile. L’écriture est un apprentissage. Une école de patience », m’avait dit un jour Kettly Mars lors d’un interview. Je crois qu’elle a parfaitement raison. En attendant de compléter mon roman, je me consacre à parler de la littérature dans mes chroniques, à propager ma passion pour la littérature, à faire en sorte que de nouvelles voix émergent et qu’on connaît davantage les autres qui ont déjà fait leur preuve.

 

Propos recueillis par Witensky Lauvince

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES