Restitution des biens culturels: la Coordination du programme de maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine de l’UEH/IERAH-ISERSS ouvre un débat longtemps occulté en Haïti

La Coordination du programme de maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine (HMP) de l’Institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH/ISERSS) de l’Université d’État d’Haïti (UEH), en partenariat avec le Centre d’études sur le patrimoine et le tourisme en Haïti (CÉPAT-H), a soulevé, le dimanche 29 mai 2022, lors d’une conférence-débat, la question de la restitution des biens culturels. Cette question, selon le professeur Midson Jean Batard, principal intervenant de ladite conférence, doit intéresser la presse, l’État et le champ universitaire.

À un moment où le dossier de la restitution de la dette de l’Indépendance haïtienne refait surface dans les actualités nationale et internationale, la Coordination du programme de maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine de l’IERAH/ISERSS et le CÉPAT-H cherchent à y insérer une autre facette : celle de la restitution des biens culturels. Pour Midson Jean Batard, la demande de la restitution des biens culturels doit se faire avec beaucoup de diplomatie. Car, a-t-il expliqué, derrière les biens volés se cachent des intérêts économiques et de grands enjeux politiques.

Il a avancé, lors de son intervention, plusieurs raisons pour lesquelles le dossier de la restitution du patrimoine culturel haïtien doit occuper le devant de la scène. « Haïti est frappée par une série de catastrophes naturelles, dont le puissant séisme du 12 janvier 2010 qui a dévasté la région de Port-au-Prince et une partie du grand Sud. Dans La Plaine du Cul-de-sac, particulièrement à Croix-des-Bouquets, par exemple, où il y a beaucoup d’habitations coloniales, plusieurs gangs rivaux s’y affrontent. Ces conflits armés et/ou catastrophes naturelles seraient une occasion pour faciliter des fouilles des objets culturels », a-t-il expliqué au cours de cette conférence à laquelle notre rédaction a pris part.

Pour reprendre Midson Jean Batard, les interventions étrangères, considérées comme d’autres moments de transactions des biens culturels, ne sont pas le fruit du hasard. Sans nul doute des biens culturels haïtiens ont-ils été volés au cours des interventions de l’Armée américaine. «En 2020, plus de 400 objets taïnos, a mentionné le professeur Jean Batard, ont été restitués à Haïti par les États-Unis. » Mais comment retracer les biens culturels pillés ? Après la traçabilité, à partir de quoi Haïti peut demander de lui retourner ses biens volés ?

À ces questions du National, Midson Jean Batard, détenteur d’une maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine à l’Université d’État d’Haïti, a répondu qu’il n’existe aucun texte de loi, en Haïti, sur la restitution des biens culturels. Cependant, la Convention de l’UNESCO de 1970, qui a tranché sur ce débat, est un accord sur lequel l’État haïtien peut s’appuyer. Pour ce faire, il a fait savoir que la première démarche à adopter est la recherche de provenance. « Étudier la provenance d’un bien culturel, c’est donner son histoire, vérifier son authenticité, établir son itinéraire, identifier son propriétaire légitime et montrer comment le bien aurait changé de mains ainsi que les contextes d’acquisition. (…) La qualité de cette recherche reflète son degré de certitude de l’origine de l’œuvre, le statut de ses anciens propriétaires, le mode d’acquisition et par la force de documentation – certificat d’authenticité, techniques de comparaison, opinion d’experts et résultats scientifiques », a-t-on souligné dans un document qu’il a partagé avec les participants.

Ce document poursuit que « ce travail de documentation des collections devrait en principe permettre de déterminer si ces objets ont été acquis de manière légale ou non par les institutions culturelles ou les détenteurs actuels ». 

La question de la restitution des biens culturels est longtemps occultée dans la société haïtienne. En d’autres termes, cette question n’est jamais insérée dans l’actualité en Haïti et fait très peu d’objets de recherches scientifiques. Or les biens culturels, comme ressources patrimoniales, portent les traces de l’histoire d’un peuple. Dans ce cas, Midson Jean Batard lance un appel à l’État haïtien qui, dit-il, doit mettre sur pied une commission d’experts en vue d’inventorier les biens culturels spoliés. Si les résultats d’un tel travail prouvent que des biens culturels ont été déplacés de façon illégale, leur retour sera possible par la voie du dialogue puisque la Convention de l’UNESCO de 1970 a signalé les « mesures à prendre pour interdire et empêcher l’exportation, l’importation et le transfert de propriété illicite des biens culturels (…) ». Le champ universitaire, a-t-il ajouté, doit embrasser ce problème en réalisant des travaux de vulgarisation, c’est-à-dire des colloques et des conférences-débats.

Le pillage des biens culturels ne date pas d’hier. Sur ce, M. Jean Batard rappelle que « 70 ans avant Jésus-Christ, Cicéron plaidait déjà en faveur d’une protection du patrimoine et de la restitution des œuvres d’art spoliées à la province de Sicile par Verrès, gouverneur romain accusé d’abus de pouvoir, de détournement de fonds et de vols d’œuvres d’art ».

Cette conférence-débat, qui s’est réalisée sous le thème : « La restitution des biens culturels : Histoire, débat et actualité », s’inscrit dans le cadre d’une série de réflexions dont le but est d’inciter les chercheurs, les étudiants et les autorités étatiques à réfléchir sur la problématique du trinôme « savoirs locaux, tourisme et développement en Haïti ». Initiées par la Coordination du programme de maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine à l’IERAH/ISERSS, ces conférences-débats ont lieu tous les derniers dimanches autour du thème principal : savoirs locaux, tourisme et développement en Haïti.

 

Wilner Jean

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