« Astres et désastres », le dernier recueil de Jonel Juste : Entre nostalgie et dépaysement

Poète d’une sensibilité attachante, Jonel Juste porte dans ses recueils de poèmes un regard attendrissant sur lui-même et sur le monde qui l’entoure aux fins de découvrir les reflets de son âme et la beauté de l’autre. Son nouveau recueil de poèmes « Astres et désastres » dit l’attachement de sa terre d’origine qu’il porte dans son corps, dans son cœur et dans sa tête et dit dans un lyrisme frémissant l’exil autrement. L’entretien avec le journal Le National est pour lui l’occasion de présenter son tout dernier livre.

Le National : Vous êtes journaliste et poète ; l’écriture a toujours été pour vous une façon de dire le monde et d’établir des liens de rapprochement avec les autres. Vous venez de sortir un nouveau recueil de poèmes intitulé Astres et Désastres. Je vous laisse le soin de le présenter aux lecteurs du journal Le National ?

Jonel Juste : Astres et Désastres a été publié en mai dernier aux Éditions Marginales à Miami, Floride. C’est un recueil de poèmes en français et en créole. Certains textes témoignent de mon attachement à ma terre natale ; d’autres parlent de mon expérience d’immigré aux États-Unis où j’évolue depuis quelques années.

Je considère Astres et Désastres comme un recueil de la diaspora dans le sens où tous les textes qui y sont inscrits ont été produits en dehors d’Haïti, contrairement aux recueils précédents (Carrefour de Nuit et Solèy Solèy) qui ont été écrits totalement ou partiellement en Haïti. Cependant, cela ne signifie pas que mon pays d’origine n’est pas présent dans le nouveau livre, au contraire. Plusieurs évènements venant d’Haïti y font écho comme les meurtres crapuleux de l’avocat Monferrier Dorval et de la poétesse Farah-Martine Lhérisson. Je n’avais pas vécu personnellement ces événements tragiques, mais avec l’aide de la technologie aujourd’hui, c’est comme si j’étais sur place. C’est la même émotion qui traverse les frontières. Haïti n’est pas un pays qu’on quitte facilement. Où que vous alliez, il vous rattrape.

LN : Votre recueil de poèmes Astres et Désastres témoigne de votre attachement à la mère patrie Haïti et vous avez aussi parlé de votre expérience d’immigré. Pourquoi de tels choix ?

JJ : me demande si j’ai vraiment fait un choix conscient ou si la nécessité s’est imposée à moi. Comme je l’ai dit tantôt, on n’échappe pas à Haïti, surtout aujourd’hui avec les nouvelles technologies. Peut-être les immigrés des années précédant l’Internet et les réseaux sociaux ont pu prendre leur distance du pays et n’en prendre que rarement des nouvelles, mais aujourd’hui, c’est presque impossible, surtout pour moi qui suis journaliste et qui fait partie d’un groupe de confrères haïtiens sur WhatsApp (Zanmi Laprès). C’est comme si je vivais tout en direct. Bien sûr que cela allait avoir une certaine incidence sur ma poésie. Quand on est poète et journaliste, le journalisme informe parfois la poésie. D’ailleurs, plusieurs des poèmes de ce recueil sont datés et se réfèrent à un évènement particulier. Par exemple, j’ai écrit « Lazil sou kè m » qui fait allusion au séisme qui avait détruit le Grand Sud en 2021.

Quant à mon expérience d’immigré, je dirais qu’elle s’est aussi imposée à moi. S’il est une chose dont j’étais incapable, c’était d’écrire des poèmes qui feraient croire au lecteur que j’étais en Haïti. Mon expérience d’immigré devait faire partie intégrante de ma production poétique comme c’est le cas de nombreux poètes de la diaspora. Je devais dire mon vécu et mon ressenti en terre étrangère que ce vécu soit doux ou douloureux. Je devais parler de mes découvertes, dire mon étonnement face à ce qui m’étonne. Mes textes poétiques devaient parler de technologie étant donné qu’ils se produisent dans un pays qui est très avancé en cette matière. Je devais dire ce que l’humain fait de la technologie et ce que la technologie fait de l’humain dans un texte comme Hommes-Machines par exemple.

LN : En tant que poète, humaniste, et citoyen du monde, permettez-moi ces qualificatifs, comment avez-vous vécu votre dépaysement ?

JJ : C’est vrai qu’Haïti me manque parfois, mais je ne me considère pas vraiment dépaysé. Peut-être est-ce dû au fait que je vis dans une région tropicale (le sud de la Floride) où se trouve l’une des plus grandes communautés haïtiennes de la diaspora. Ça parle beaucoup créole et ça mange créole (les restaurants haïtiens sont nombreux dans mon quartier). Pour l’instant, je profite de l’expérience, j’apprends, je m’adapte à la réalité migratoire. Et, au risque de me répéter, la diaspora est plus connectée à Haïti que jamais par le biais des réseaux sociaux. Beaucoup d’immigrants ont encore des parents en Haïti avec lesquels ils communiquent, prennent des nouvelles du pays, de leur quartier. D’autres font partie de groupes WhatsApp qui leur permet de garder contact avec des proches, des amis, des collègues, etc.

LN : La question de l’immigration est l’un des thèmes récurrents dans la littérature haïtienne contemporaine. Citons par exemple Mur Méditerranée de Louis Philippe Dalembert. Y a-t-il une certaine complémentarité entre vos textes et ceux qui ont été déjà écrits avant sur ce thème ?

JJ : Dalembert est l’un de mes auteurs préférés de la diaspora ; c’est un excellent poète et romancier qui dit l’errance, le déracinement. Pour moi c’est l’un des écrivains qui traitent le mieux le sujet de l’immigration et j’espère suivre ses traces. En lisant ses textes ou ceux d’autres écrivains de la diaspora, on remarque certains rapprochements de thèmes, des vécus qui s’entremêlent, des aspirations, des nostalgies, des souvenirs du pays natal, des souvenirs d’enfance. En un sens, les histoires que ces écrivains racontent ou leurs poèmes se recoupent, se font écho. Je n’échappe pas à cette règle. 

LN : Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce livre ?

JJ : J’avais envie d’écrire quelque chose de nouveau, quelque chose qui corresponde à ma nouvelle réalité. En lisant mes précédents recueils, je me suis dit que c’était bien beau, mais que cela ne correspondait pas à ce que je vis maintenant. Ce serait dommage qu’une expérience aussi importante que l’immigration ne serve pas de trame à de nouveaux textes. Il fallait les inclure dans ma production comme pour archiver la vie. Et il faut dire aussi que ce recueil ne s’était pas écrit en un jour. Plusieurs des textes qu’il contient sont le résultat de dix ans de vécu et d’observation dans mon pays d’accueil.   

LN : Vos poèmes sont dans les deux langues officielles d’Haïti. Parlez-nous brièvement de certains poèmes et donnez à nos lecteurs un extrait ?

JJ : L’un de mes poèmes préférés de ce recueil est Hommes-Machines qui décrit le rapport de l’homme avec la technologie aujourd’hui. Je trouve que la poésie de notre temps ne parle pas assez de notre temps. Parfois on écrit comme si on vivait encore au 19e siècle. C’est bien de parler de femmes, de fleurs et de ciel bleu dans sa poésie, mais rien n’interdit d’y inclure l’Internet, les réseaux sociaux, les voitures, les avions, les Smartphones ou l’exploration spatiale.  C’est ce que je voulais faire dans des textes comme Temps Magiques ou Hommes-Machines don’t voici un extrait :

C’est l’ère des hommes-machines

Cela fait bien longtemps

Que nous sommes moins hommes et plus machines

Plus machines et moins hommes (…)

Cela fait longtemps que nous ne rêvons plus que par

Écrans interposés (…)

Cela fait longtemps que l’homme

Ne demande plus à l’homme ni l’heure ni le temps

Qu’il fait

Ni le mystère de la femme

Mais j’ai aussi des poèmes d’amour tels que “Odeur d’Amour” :

 Si l’amour avait une odeur

Il aurait l’odeur de la terre

Qui monte au nez

Aux premières gouttes de pluie (…)

L’amour aurait l’odeur d’Anaïse

Qui revient du marché

Pressée de retrouver Manuel son amoureux

Sous les buissons

Aux sources de la vie

 

LN : Où est ce qu’on peut trouver le livre ?

JJ : Pour l’instant le livre est disponible à Miami à Libreri Mapou et sur le site Amazon.

Le National : Avez-vous un message particulier à faire passer ?

Juste Jonel : La poésie est toujours vivante et elle ne doit pas mourir. J’encourage les lecteurs à continuer à lire des poèmes ou à en écouter sur le podcast Carrefour Poésie disponible sur les plateformes Spotify, Anchor, Apple Podcasts, etc. Ils peuvent suivre le lien https://anchor.fm/jonel-juste

Et que vive la poésie !

Propos recueillis par :

 Schultz Laurent Jr.

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES