HAÏTI-DROITS-HUMAINS

William O’Neill plaide pour le déploiement d’une force internationale spécialisée

L’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Haïti, William O’Neill a dressé un sombre tableau notamment concernant  la situation sécuritaire et le non-respect des droits humains dans le pays,  lors d’une conférence de presse tenue ce mercredi 28 juin à Pétion-ville. Durant sa visite de dix jours en Haïti, le spécialiste des droits de l’homme dit retrouver un pays meurtri par la violence des gangs armés.

 

«L’absence de l’État se fait sentir pour tous les droits économiques, sociaux et culturels. L’accès à la santé, à l’eau, à l’alimentation, à l’éducation et au logement, sont sérieusement entravés par le manque de réponse étatique qui a pourtant le devoir de fournir une réponse adaptée dans la limite de ses capacités», déplore l’expert des droits humains en Haïti.

 

William O’Neill, dans son bilan, a également fait savoir que l’insécurité, notamment dans les zones les plus marginalisées de la capitale, exacerbe encore davantage la défaillance des institutions dans ce domaine. Pour cause, des quartiers entiers sont livrés à leur sort, sans accès à aucun service public, contribuant à e accroître des inégalités déjà insupportables et alimentant des schémas d’exclusion à l’origine même de la violence. L'expert indépendant qui n'a pas caché sa peine face à la situation chaotique qui gangrène Haïti a laissé entendre que cette situation contribue notamment au recrutement croissant d’enfants et de jeunes dans les gangs. 

 

Droits humains 

 

 

Selon le spécialiste, la situation des droits humains en Haïti est catastrophique. Tous les droits y sont bafoués et les gangs armés ne cessent de faire des victimes, plus particulièrement au niveau des zones de non-droit, a-t-il indiqué lors de cette conférence de presse. Parallèlement, il a dénoncé l’aggravation de la situation carcérale dans le pays notamment dans la prison civile du Cap-Haitien et au sein du Pénitencier de Port-au-Prince. « La situation carcérale illustre le manquement et le dysfonctionnement du système judiciaire à tous les niveaux. J'ai été témoin des conditions extrêmement difficiles et inhumaines dans lesquelles évoluent les détenu.e.s. 219 détenus sont décédés en détention  en 2022 à cause de la malnutrition ou par manque d’accès aux médicaments et plus de 83% des personnes incarcérées sont encore en détention préventive prolongée, sans avoir eu accès à un juge ou à un avocat, certains depuis plus d’une décennie, y compris des mineurs», a informé l'expert qui souligne avoir malheureusement retrouvé un pays meurtri par la violence, la misère, la peur et la souffrance. 

 

À cet effet, il appelle les autorités à déployer tous leurs efforts pour permettre aux détenus de vivre dans la dignité, tout en incluant l’accès immédiat et constant aux besoins élémentaires.« J’appelle les autorités à fournir les preuves des engagements pris avec une augmentation significative des dossiers traités de personnes en détention provisoire.»

 

Pour le défenseur des droits humains, un système judiciaire efficace est essentiel pour lutter contre la corruption et l'impunité qui alimentent le cycle de la violence et qui paralysent le pays depuis des décennies. Au cours de cette conférence de presse, il a attiré l’attention sur le manque de contrôle, de responsabilité et de sanctions des fonctionnaires dans le domaine judiciaire qui  a créé un terrain fertile pour la corruption et l’impunité. De ce fait, il dit souhaiter que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et les inspections judiciaires redoublent d’efforts pour certifier les magistrats et assurer que tout manquement sera sanctionné, en conformité avec les standards internationaux en matière de droits humains, notamment le droit de recours pour les magistrats non certifiés. «Il est également urgent de rétablir le Tribunal de première instance de Port-au-Prince, qui n’est plus opérationnel depuis plus d’un an», a-t-il ajouté.

 

Bwa Kale

 

Cette réaction de la population haïtienne pour se faire  justice, de manière organisée ou dans un sursaut de désespoir, est aussi un symptôme de la faillite du système judiciaire, a fait savoir William O’Neill. «L’histoire a montré que la justice populaire et ses nombreuses dérives n’avaient jamais permis de résoudre la violence. Néanmoins, la population pourrait contribuer à endiguer les gangs en fournissant des renseignements précieux à la police», a poursuivi le spécialiste de droit de l’homme qui estime que le régime de sanctions de l'ONU est aussi une étape importante pour lutter contre la corruption et l’impunité. Toutefois, il a mentionné lors de cette rencontre de presse que ce régime de sanctions doit s'accompagner de mesures visant à traduire les auteurs devant la justice haïtienne vu que la transparence de l’information, y compris des comptes publics, est un pré-requis essentiel pour lutter contre la corruption.  «L'effort d’assainissement du service public et de reddition de comptes doit être accompagné d’un cadre juridique permettant un accès à l’information sans entrave. Il est aussi nécessaire que l’État puisse protéger les journalistes, Haïti étant le deuxième pays de la région le plus dangereux pour cette profession.»

 

Crise haïtienne 

 

Toujours en ce qui a trait à la crise multidimensionnelle qui ronge le pays, le spécialiste de droit de l’homme, William O’Neill pense que la solution doit particulièrement être haïtienne et doit à tout prix passer par la mise en place de systèmes de performance et de surveillance pour veiller à la responsabilité et à l’intégrité de tous les acteurs et  à chaque niveau de la chaîne hiérarchique. Néanmoins, il dit avoir aussi été encouragé par les efforts réalisés par la PNH qui opère dans des conditions difficiles avec des moyens limités. 

 

Selon M. William O’Neill, l’ampleur de la crise est telle que le soutien adapté et coordonné de la communauté internationale sera fondamental pour accompagner la transition vers une meilleure gouvernance. En ce sens, l’expert qui a aidé à établir la Police nationale d’Haïti en 1995, croit que le déploiement d’une force internationale spécialisée aux côtés de la Police nationale d’Haïti est vital pour rétablir la liberté de mouvements de la population haïtienne qui ne sait à quel saint se vouer. Cette  force internationale spécialisée doit être coordonnée en étroite collaboration avec la police, afin de permettre de renforcer ses capacités sur le long terme, avec toutes les garanties de diligence en matière de droits humains. Des transferts de technologies et de connaissances ciblées seront essentiels, notamment dans le domaine du renseignement et de la lutte contre les gangs armés.

 

«Dans le même ordre, afin de limiter la violence des gangs, l’embargo sur les armes principalement en provenance des États-Unis, établi par le Conseil de sécurité des Nations Unies, doit être appliqué immédiatement. Aucune arme n’est produite en Haïti. Le Conseil de sécurité a exprimé à plusieurs reprises ses préoccupations concernant le trafic illicite et le détournement d'armes et de matériel connexe qui portent atteinte aux droits humains », a déclaré William O’Neill.

 

Tout compte fait, malgré les multiples actes de violences perpétrées sur la population haïtienne et l’absence d’actions concrètes des autorités concernées, William O’Neill croit qu’Haïti peut redevenir ce qu'elle a été dans le temps. «Malgré ce sombre tableau, j’ai trouvé des signes prometteurs pour contribuer au changement. J’ai été impressionné par les résultats obtenus par un directeur départemental de la PNH pour endiguer l’insécurité dans le département du Nord. J’ai noté les avancées rapides déjà obtenues par le nouveau Commissaire du gouvernement de Port-au-Prince qui a suivi de près de nombreux dossiers et qui s’est engagé personnellement à rendre des comptes périodiquement sur les progrès réalisés. J’ai pu rencontrer des avocats du Bureau d’assistance légale (BAL) du Cap-Haïtien, soucieux de faire avancer les dossiers et de pousser le système judiciaire vers des objectifs de performance. Je suis aussi admiratif devant le courage de juges, tels que le juge Morin, qui a récemment survécu à une tentative d’assassinat pour son travail, qui continuent à prôner haut et fort leur engagement en faveur de l’intégrité du service public et contre la corruption», a martelé William O’Neill qui a aussi salué les progrès accomplis par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) pour poursuivre les présumés auteurs de cas emblématiques.

 

Vladimir Predvil 

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